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On enquille un canal, des canaux, des chacals, des shakos, tout bien.

Et c’est quand même pas commun de se laisser emballer ainsi, dans Venise la folle, en doublant des gondoles, en longeant de fastueux palais aux fastes mités, mais si altiers dans leur misère de temps, si tellement plus beaux de mourir ainsi, les pieds dans l’eau, comme un cerf à la noble ramure s’enlise dans le marécage.

On arrive.

Des flics font les cent et quelques pas sur un perron bordé par un ponton-parking bien achalandé en canots marqués polizia.

Un immense porche barbatif, où tourniquent des fraîcheurs de cave inondée. Des escaliers. Voilà, on raccroche avec l’habituel. On cesse d’être lacustre pour plonger dans l’administration traditionnelle. Des couloirs merdiques, des bancs luisants d’usure, des gens incertains entre des poulagas fringants, des portes avec des trucs peints au pochoir dessus. Des fenêtres poussiéreuses. Des odeurs d’humanité négligée. Partout c’est kif, ou presque. Même dans les bâtiments flambant neufs tu retrouves ces remugles et ces abandons, ces gens perdus ou fonctionnarisés, selon qu’ils sont flics ou malfrats.

Un bureau plein de gus en bras de chemise qui font un bousin de salle de rédaction un soir d’assassinat de Kennedy. Des qui tapent à la machine, ayant devant eux un type menotté, d’autres qui téléphonent en changeant à tout bout de phrase le combiné de main pour pouvoir parler à l’aide de l’autre, des en cercle qui conciliabulent à haute voix. Des qui vont et des qui viennent, et d’autres qui vont et viennent. Et puis, bien sûr, ceux qui lisent le journal, ceux qui mangent, ceux qui racontent la manière royale qu’ils ont limé la veille et celle, impériale, qu’ils limeront ce soir.

On nous convoie jusqu’à une sorte de box vitré, espèce d’îlot (vous en êtes un autre !), dont le Robinson est un énorme type à trois mentons dont chacun est deux fois gros comme çui à Béru, non mais tu te rends compte, mon gamin ? C’est plutôt rare que les Italiens soyent obèses. Leurs nanas, oui, quand elles bichent du carat, mais les julots se démaverdavent pour rester sveltes malgré les pâtes qu’ils s’entiflent.

Ben ce Rital-là, pour lui faire le tour de taille, faudrait qu’une bonne partie de tous les gars du monde se donnent la main, espère ! Ses joues, c’est comme une gigantesque barbe de chair qui lui tombe sur le poitrail. Il a des cheveux noirs, épais, coiffés par une raie médiane. Son pif, tu dirais une tomate, sa bouche deux entrecôtes superposées, avec un cigarillo pestilentiel (mon mari !) fiché entre.

L’un des sbires lui déclare que c’est nous.

Le gros nous détronche comme si on était deux vilaines mouches à merde en pleine noyade dans son minestrone. Puis il rote autour de son cigare et bredouille un truc qu’il faut drôlement être habitué à cézigue pour piger, en plus, bien sûr de savoir le vénitien sur le bout des doigts.

Son ordre — car c’en est un, et même plutôt deux qu’un — est bien reçu par nos escorteurs, lesquels nous enjoignent de plaquer nos mains contre la cloison.

Ce qu’on, après que j’eus traduit à Bérurier, lequel ne sait en italien que les mots : Campan, Cinzano, Martini, mortadelle et spaghettis.

Lorsque nous avons appliqué nos chères papattes au mur, on nous dit alors de reculer les jambes. Coup classique. Ainsi posturé, tu es obligé de maintenir ton équilibre avec les mains et donc tu ne peux rien entreprendre d’autre.

Dès lors, une fouille très scientifique s’opère. Elle porte ses fruits, juge-z’en plutôt, puisque ces bons messieurs déballent de la doublure de nos vestes plusieurs sachets de cocaïne.

* * *

Oh, y en a pas gros : une centaine de grammes, mais ça suffit amplement pour faire mauvais effet auprès de nos collègues. Naturliche je proteste. Je m’écrie qu’il s’agit d’une machination, d’un truc infâme destiné à me perdre. Que moi, l’Antonio, je suis un tout grand flic français. Je leur supplie d’appeler le Vieux à Paris.

Mais le gros lard au cigare en rote de plus en plus fort tellement qu’il me méprise et refuse de faire droit à ma moindre requête. On m’embastille ainsi que Béru dont on soupçonne qu’il est mon complice, entre guillemets, comme c’est la mode de dire ces temps-ci. « Entre guillemets », tu remarqueras : la téloche, radio, la presse, les nœuds volants dans les restaurants, à tout bout de champ ils s’en gargarisent de cet « entre guillemets ». Les formules naissent, sont adoptées, puis se périment. Un con en invente une autre. Je soupçonne des gonziers dans l’ombre, qui tissent des choses à snobiner du crachoir. Des humbles, des grammairiens, des obscurs décortiqueurs de langue. Ce sont les gagmen de la mode causée. Ils mettent au point un mot, un cliché. Un jour c’est « motivé », un autre « entre guillemets » ; demain ils risqueront un néologisme, le piqueront peut-être en loucedé dans un de mes books, pas la première fois qu’on me met à contribe. Mais moi, j’réclame rien. C’est cadeau. Le crottin de bourrin, dans la rue, il appartient plus au cheval, non plus qu’au charretier. Il est tombé dans la communauté (réduite au saké, comme disent les Japonouilles). Puisez, les mecs, mes poubelles débordent. Tout me tombe : le pognon, les idées, le foutre. Je suis le donneur type. Le pélican prodigue. Y a qu’à se baisser, y a qu’à demander, voire simplement faire semblant d’en vouloir et je donne… Tiens, prends ! Tiens, fume ! Tiens, suce ! Les premiers voulants sont les premiers comblés. Prenez et mangez car ceci est mon paf !

Et moi, dis, fulminant, le naseau en geyser islandais, je trépigne de m’être laissé repasser ainsi par la môme Marika. Pas étonnant qu’elle ait voulu baiser debout, la gueuse, dans le couloir. Ça lui permettait de m’agripper la fringasse à loisir. De craquer ma doublure pour y couler ses sachets. Oh, mince, comment j’vais me tirer d’une telle compote de merde maintenant ? T’as une idée, petit loup ? C’est dramatique comme situation.

On nous entraîne en nous bourrant de coups de coudes sournois dans le burlingue. Le Gros mugit qu’il a rien fait, lui. Qu’on n’a pas le droit. Il veut son consul, ou au moins la femme de ménage d’icelui. Se placer sous la protection bleu-blanc-rouge de ses natives autorités, le Bérurier Alexandre-Benoît.

Mais ses criminations ne font qu’attiser la hargnerie de nos sbires. On retraverse la vaste salle populeuse. Je vois dans l’encadrure de la lourde un très beau jeune homme aux manières tellement efféminées qu’il doit fatalement prendre sa température avec des braques. Un policier en uniforme lui désigne notre gros lardon au cigare. Le beau jeune dandy se dirige vers l’obèse, se fait connaître, et l’autre faille renverser son bureau à trop se hâter de se lever. Il est obséquieux, dégoulinant de servilité. On s’arrache à la pièce.

Le couloir encombré, sonore, voûté…

Le Gravos me dit :

— Du temps qu’on n’a pas encore les menottes, on pourrait p’t-êt’ bien s’envoler, non ?

Tiens, l’idée ne m’en venait seulement pas.