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Moi qui ai déjà beaucoup mis en pratique et quelquefois même innové quand il s’agit d’amour, je trouvais dans cette chambre digne de Murger, comme disent les grands romanciers qui ont des lettres (mais sur les rayonnages de leur bibliothèque), le climat subtil, la touffeur stimulante qui fait d’une poignée d’abats une bite royale, belle comme le Kilimandjaro, et d’un esprit modéré un ordinateur chargé de programmer des copulances à grand spectacle et à moustaches frisées.

Ce que nous perpétrions céans est très mal racontable, ou alors dans un ouvrage qu’il faudrait vendre sous Cellophane, avec simplement la photo de Mme Thatcher sur la couverture pour faire diversion. Elle aimait tout et je le lui accordais volontiers. Elle en redemandait, et je lui en redonnais. Elle me criait : « Je t’ahémaheû », au plus intense de ses frénésies, avec l’accent de Georges Guétary quand il chante en duo avec la soprano légère qui bouffe des escarguinches à la parigote au lieu de prendre le thé. Et je lui répondais : « Moi z’aussi », car notre liaison était si totale qu’elle s’accommodait de toutes les autres et jusque z’aux plus intempestives.

Bref, ce fut une très belle période de ma vie sensorielle et si je ne fais pas brûler un cierge pour remercier sainte Pétasse d’avoir placé cette personne sur la route de mon sexe, c’est parce que ma Caroline en ferait un meilleur usage.

Ayant fortement préambulé, et tu voudras bien m’en excuser de la cave au grenier, il serait peut-être temps d’entrer dans le vif d’un sujet qui comporte pas mal de morts.

Nous y voici donc.

C’était en mai : le mois des premières communions, des chats et de la fermeture annuelle des huîtres.

Une après-midi, mais si « e » te dérange, on peut situer la chose un après-midi, je lui pratiquais une ingénieuse figure que m’a enseignée l’archevêque de Canterbury et qui consiste, pour la dame à se déguiser en « Y » et pour le monsieur à former le « F ». Le « Y » se place en travers du lit, et le « F » perpendiculairement à celui-ci. On imagine alors, pour la beauté de l’histoire, que le « Y » est un avion appartenant au Strategic Air Command en vol depuis lulure ; le « F » en est un autre venant de décoller de sa base de Houston (ou Rouston, je m’en souviens mal) et chargé de ravitailler en plein vol l’avion « Y ». Pour donner à l’opération tout son prix, le « F » met ses bras dans le dos, le raccordement s’opère donc de visu et de tâtu, mais jamais de manu. De même, le « Y » garde ses bras collés le long de ses jambes. Un délicat ballet aérien se déroule jusqu’au transbordement intégral du carburant ; après quoi l’avion « F » est autorisé à rejoindre sa base après avoir remis son pantalon. Je dois dire que mon pote Ernest, l’archevêque de Canterbury, est un prélat riche d’idées et s’il cherche à développer le goût de la difficulté chez ses Anglicons, c’est pour leur indiquer que les voies qui doivent les conduire à Dieu ne passent pas fatalement par l’autoroute de l’Ouest.

J’étais donc à jouer assez brillamment les « F » (majuscules, s’il vous plaît) et ma chère camarade « Y » soucieuse de garnir ses réservoirs glapissait à voix de volaille : « Tout ! Tout ! Je veux tout » (comme s’il avait été dans mes intentions de lui causer le moindre préjudice !) lorsque l’affaire éclata.

Et tu vas voir que le verbe a été soigneusement sélectionné, puisque fectivement, une salve de mitraillette retentit au-dessus de nos têtes ; elle fut suivie d’un grand cri, puis d’une galopade sur le revêtement de zinc du toit.

Suivit encore un bruit sourd et nous entendîmes, à travers les tribulations de ce ravitaillement en vol, une masse dévaler la pente. N’écourtant que mon bourrage, j’abandonnai mon « Y » pour me ruer sur la fenêtre basse que la température nous avait incités à laisser ouverte. Comme je l’atteignais, une masse sombre passa devant, en laquelle je reconnus un homme, jeune, habillé d’un jean et d’un blouson en faux cuir, chaussé de baskets. Cet individu avait la gueule en sang.

Il s’affala sur un replat du toit bordé par le chéneau, un pied dans le vide. Quelque part, dans les hauteurs environnantes, d’étranges merles sifflaient éperdument.

L’homme avait planté ses ongles dans un rebord de la feuillure de zinc. Il ne tenait que par ses pauvres griffes et je compris que sa chute ne pouvait tarder.

Je me défenestrai, tout nu, la bite au vent, encore riche de sève malgré l’événement. Les pieds posés à plat sur le toit de zinc, ma pogne gauche fortement nouée à la barre d’appui, je présentai la droite au malheureux.

— Essaie de saisir ma main ! lui dis-je.

Mais il avait morflé plusieurs balles un peu partout dans la tête et dans le buste. L’ultime effort physique qui lui était encore permis consistait à garder ses ongles fichés dans cette rainure. La bordure à vif du métal cisaillait la peau de ses doigts. Il saignait de partout.

— Je l’ai dans le cul, balbutia-t-il, preuve qu’il appréhendait parfaitement sa situation.

Il ajouta d’une voix chuintante :

— Dans la poche de mon blouson, à gauche, prends !

J’essayai de me pencher plus avant, au risque de m’emporter dans les abysses, en priant le Seigneur pour que cette foutue barre d’appui ne fût pas trop vermoulue.

— Tu peux ? haleta le blessé.

La poche comprenait une fermeture Eclair que je parvins à actionner.

Dans la carrée, la mère « Y » bramait comme une harde de cervidés, soit qu’elle eût peur de ma défenestration, soit que ce coup interrompu eût mis à mal son système glandulaire.

— Tu y arrives, bordel ? me demanda l’homme.

Une sombre fureur l’habitait. Il se sentait foutu et en voulait à la Terre entière dont il s’apprêtait à prendre congé.

— Voilà, dis-je.

Je parvins à cueillir, avec mon index et mon médius en pince, une boîte plate, comme celles qui contiennent des pastilles pectorales ; elle était fermée par un fort élastique plusieurs fois enroulé autour d’elle.

— Si tu es un homme, tu porteras ça à ma mère ! me lança le blessé.

Ses yeux, sur lesquels passait le voile de la mort, comme aurait écrit mon excellent camarade Alexandre Dumas, plongeaient désespérément dans les miens.

— Comment s’appelle-t-elle ? demandai-je.

Il bredouilla :

— Tu le sauras… journaux…

Puis de gros coquelicots rouges naquirent sur ses lèvres et éclatèrent comme des bulles. D’ailleurs, c’étaient des bulles ! Je voulus lui attraper le bras, mais pour cela j’aurais dû me dessaisir de la boîte. Je la plaçai entre mes dents afin de libérer ma main. Le temps que j’opère ce geste pourtant bref, le mec lâcha prise et disparut très vite dans la tranchée sombre de la rue de Richelieu.

Ça continuait de siffler et de gueuler au-dessus de moi. J’eus beaucoup de peine à réintégrer la chambrette où Mimi Pinson tutoyait l’hystérie en agitant le fion comme un C.R.S. sa matraque un soir de manif’ trop turbulente.