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Un policier alluma sa torche. Rien ne bougea. Un autre trouva un commutateur et alluma. En dépit de la fumée de la grenade, on y voyait vaguement. Le couloir ne comportait que trois portes : une en fer, au bout, fermée. Deux autres vitrées, sur le côté. Malko s’approcha du corps étendu et l’éclaira : c’était l’une des jumelles. Elle avait reçu une balle dans l’œil gauche et une dans la poitrine. Une large tache de sang salissait sa combinaison blanche. Elle serrait encore un pistolet mitrailleur très court dans sa main droite, avec un long chargeur courbe.

Laissant les policiers enfoncer la porte métallique, Malko ouvrit l’une des portes vitrées. C’était une salle d’opération, vide. Il ouvrit l’autre. C’était un grand local de vingt mètres de long, éclairé par des ampoules nues. Au fond, il y avait une grande armoire métallique, et les seuls meubles consistaient en dix tables bizarres.

Malko s’approcha et reconnut des tables de montage de cinéma, permettant de coller des films et de les visionner en même temps. Il y en avait pour une petite fortune.

Jones était entré derrière lui :

— Qu’est-ce que c’est que ça ? fit-il. Ils fabriquent des films pornos ?

Sur une table, il y avait une boîte de films. Malko l’ouvrit et déroula un morceau du film. Il était impressionné.

Il le rembobina pensivement. Dans ces boîtes se trouvait tout le secret de l’opération « Persuasion Invisible ». Il avait hâte de savoir. Dans le couloir, il se heurta aux policiers qui venaient d’explorer ce qu’il y avait derrière la porte métallique : c’était un tunnel qui, par un puits, débouchait au fond du cimetière dans un mausolée. La seconde Chinoise s’était enfuie par là. Cela n’étonna pas Malko. Elle avait dû rester jusqu’à la dernière minute, espérant peut-être que leur laboratoire ne serait pas découvert. Il regarda froidement le cadavre de la jumelle. Lili Hua aussi était morte, d’une façon beaucoup moins rapide.

Les gorilles chargés de boîtes de films et Malko remontèrent à la surface. Richard Hood était assis dans sa Lincoln, téléphonant à son quartier général.

— Trouvez-moi une salle de projection tout de suite, dit Malko, je crois que nous touchons au bout de nos peines.

— Ça va, dit Hood, montez avec moi. J’espère que vous avez raison.

Deux hommes du F.B.I. les accompagnèrent.

Une fois de plus, ils se retrouvèrent dans un sous-sol. Cela sentait le cigare froid et la sueur. C’est là qu’on projetait aux huiles de la police les films soupçonnés de pornographie saisis dans les cinémas clandestins. Un projectionniste en uniforme vint prendre la première bobine et ils s’installèrent. La lumière s’éteignit.

Un visage apparut sur l’écran. Un homme d’une quarantaine d’années, sympathique, qui dit :

« Bonjour mesdames, bonjour mesdemoiselles, bonjour messieurs. Il fait beau aujourd’hui sur l’ensemble de la Baie et je vais vous donner les prévisions pour les jours qui viennent… Oakland, par contre, est dans le brouillard…»

Un énorme éclat de rire interrompit la projection. Richard Hood avait failli avaler son cigare :

— Mais c’est le bulletin météo que vous avez été chercher au péril de votre vie…

Malko ne comprenait plus. Après la météo, il y eut plusieurs publicités, un morceau de feuilleton… Puis la lumière se ralluma.

— Essayez une autre bobine, proposa Malko.

On éteignit encore. Cette fois, ce fut un court métrage western, The Avengers.

— C’est passé sur K.T.V.U., channel 2, remarqua Hood. C’est con à mourir, mais je ne vois pas ce que ça a de subversif.

Ils coupèrent le western, d’un commun accord, et on ralluma. Mais un déclic s’était fait dans le cerveau de Malko. Il se tourna vers Hood :

— K.T.V.U., c’est une station locale de télévision, n’est-ce pas ?

— Oui, dit Hood. Elle émet pas loin d’ici d’ailleurs. On peut la prendre jusqu’à Oakland, mais peu dans le Nord, à cause des collines. L’émetteur n’est pas très puissant.

Malko avait encore dans la tête la carte des troubles, la zone où se produisaient les mystérieux lavages de cerveau. Il la superposa mentalement à la zone de diffusion de K.T.V.U.

— Vous n’avez pas remarqué, dit-il doucement, que la zone couverte par K.T.V.U. couvre presque exactement celle où ont lieu les troubles ?

Il y eut une minute de silence. Puis Hood fit :

— Nom de Dieu, mais vous avez raison ! Il faut examiner ces films de plus près.

Ils se ruèrent tous vers la cabine de projection. Malko prit la première bobine et commença à l’examiner image par image, à la lueur du projecteur. Il n’eut pas à aller loin. Au bout de quarante centimètres environ, il trouva une image qui ne se raccordait pas aux autres. Il y avait une simple phrase qu’il lut à l’envers à haute voix :

« Les communistes ont raison. »

Hood arracha le film des mains de Malko et lut lui-même. Les yeux lui sortirent de la tête. Malko reprit le film et continua à l’examiner. Vingt-cinq images plus loin, le même slogan revenait, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la bobine.

— Mais bon sang, dit Hood, c’est de la magie, on n’a rien vu quand le film a été projeté.

Malko secoua la tête. Il venait de comprendre.

— Ce n’est pas de la magie, dit-il. C’est ce qu’on appelle de la « Publicité Invisible ». Un procédé qu’on a essayé et interdit. Voilà en quoi cela consiste. Vous savez que l’on projette un film à la vitesse de 24 images à la seconde. C’est ce qui reconstitue le mouvement à l’image. Or, si vous projetez, comme c’est le cas ici, une image 1/25 de seconde seulement, l’œil n’a pas le temps de l’enregistrer, donc vous ne la voyez pas, de même que l’oreille n’entend pas les ultrasons qui pourtant pénétrant le cerveau peuvent détruire les cellules.

« Mais si votre œil ne voit pas cette image, votre cerveau l’enregistre car elle revient toutes les secondes. Que se passe-t-il alors ? C’est votre subconscient qui assimile cette image et ce qu’elle représente. Une grande marque de boisson avait fait l’expérience : elle intercalait dans des films des images comme celle que nous venons de voir recommandant de boire leur marque. Les gens qui regardaient ces films ne se rendaient pas compte qu’ils regardaient de la publicité mais leur subconscient, influencé, les dirigeait vers cette marque plutôt que vers une autre. C’est ce qui s’est passé ici. On a seulement remplacé le slogan publicitaire par des slogans politiques. À leur insu les gens qui regardaient souvent K.T.V.U. se sont trouvés intoxiqués. »

Un des types du F.B.I. interrompit Malko.

— C’est quand même pas avec des slogans qu’on leur a appris à faire des émeutes ?

— Non, dit Malko, c’est plus complexe que cela. Dans la zone de « contamination » un certain nombre de gens qui regardaient régulièrement la TV se sont découverts mutuellement des idées politiques communes. Ils ont parlé entre eux, ont approfondi leurs idées, et, poussés par leur subconscient ont exprimé et mis en pratique leurs idées. Un peu comme deux inconnus qui se rencontreraient, découvriraient qu’ils adorent la voile et décideraient de fonder un club de voile et d’y faire venir le plus grand nombre de gens possible. Mais dans notre cas, tous ignoraient que le germe de l’idée leur était imposé à leur insu.

L’homme du F.B.I. était encore sceptique.

— Vous croyez que de simples slogans suffisent à changer la mentalité d’un individu ? demanda-t-il.

— Souvenez-vous des prisonniers de la guerre de Corée, dit Malko. Combien sont revenus communistes ? On ne les a jamais brutalisés, mais on leur a lavé le cerveau. On leur a répété indéfiniment des slogans simples, parfois à l’apparence inoffensive qui à la longue ont pénétré leur subconscient. Les Russes ont souvent procédé ainsi d’ailleurs. Je suis sûr qu’on trouvera sur les films de K.T.V.U. un certain nombre de slogans différents, tous axés dans le même sens. D’ailleurs examinons l’autre film.