Quand elle s'immobilisa, il lâcha les commandes et passa rapidement un scaphandre. Ce n'était qu'une simple combinaison lâche, l'enveloppant de la tête aux pieds. La trame de l'étoffe était constituée par un quadruple réseau de tubes capillaires très fins parcourus par la circulation rapide d'un liquide qui fournissait automatiquement le froid ou le chaud suivant la température extérieure. Devant son visage, l'étoffe était plus raide et absolument transparente. L'énergie nécessaire venait d'une simple boîte, grosse comme une pile de poche, attachée sur sa poitrine. Le vêtement, d'un fonctionnement quasi biologique dans sa complexité, lui laissait une entière liberté de mouvements. Mox se munit d'un objet ayant la forme et la taille d'une bouteille et sertit de l'appareil.
Son scaphandre gonfla autour de lui comme une outre sous l'effet du vide. Il enfonça jusqu'au genou dans la cendre grise. Il pointa vers le sol l'extrémité effilée (le goulot) de son bizarre engin et regarda l'écran placé à l'autre bout. Il se mit en marche. Deux points lumineux s'écartèrent sur l'écran. Il obliqua vers la droite, les deux points lumineux s'écartèrent un peu plus rapidement. Il alla vers la gauche, les deux pointa se rapprochèrent. Mox enjamba des rocs, glissa dans un trou, avança péniblement, presque entièrement plongé dans la cendre. Il dut porter son écran tout près de ses yeux pour le distinguer. Les deux points se rapprochaient toujours. Il sentit bientôt qu'il marchait dans une matière pâteuse qui retenait ses jambes à chaque pas, jeta un regard à ses pieds et se vit patauger dans la lave. Il y fut bientôt jusqu'à la taille et dut brasser largement devant lui pour avancer plus vite. Il traçait un large sillon rougeoyant dans la boue ardente. Sur l'écran, les deux points lumineux se touchèrent presque. Mox distingua des lumières et rencontra une dizaine d'hommes qui fouillaient la lave.
– Eh bien? demanda-t-il.
L'un des chercheurs lui dit quelque chose; on voyait ses lèvres bouger derrière la vitre.
Mais Mox n'entendait rien. Agacé, il porta la main à son oreille et comprit qu'il avait oublié son olive acoustique, dans sa hâte. Il désigna le sol. L'autre acquiesça de la tête et fit ensuite un geste d'impuissance. Mox se baissa et plongea les bras dans la lave, il tâta au fond et ne sentit que le plat du roc. Il interrogea l'homme du regard. Celui-ci lui fit comprendre par signes que la table rocheuse, d'une immense surface, n'offrait aucune solution de continuité.
Mox considéra pensivement son écran: il n'y vit plus qu'un seul point lumineux. «Et pourtant, il est là, se dit-il, juste en dessous. Et vivant! Puisque les bio-ondes continuent d'arriver.» Il fit un geste de lassitude et retourna vers sa fusée.
CHAPITRE XII
Jâ avait été roulé dans un infernal torrent de roches fondues. Il s'était senti entraîné à toute vitesse et n'avait eu que le temps de pousser son réfrigérateur au maximum. Malgré cette précaution, une chaleur suffocante régnait à l'intérieur du scaphandre. Aucun homme avant lui, certainement, n'avait dû connaître une pareille aventure. Si certains l'avaient subie, aucun ne l'avait vécue. A travers la paroi de son casque, il avait l'impression de contempler de tout près l'intérieur d'un four chauffé à blanc. Des grumeaux éblouissants s'écroulaient les uns sur les autres autour de lui dans une débâcle silencieuse, tandis qu'il tournoyait comme une épave.
Il lui sembla soudain que la vitesse s'accélérait prodigieusement et un choc fit retentir le scaphandre. Se félicitant que celui-ci ait été conçu pour subir les pires épreuves, il eut l'impression d'être coincé contre un corps solide par la pression de la lave. Ses bras explorèrent autour de lui. Un mur de roc l'empêchait d'aller plus loin. Il se hissa le plus haut possible, toucha un plafond inébranlable: le roc surplombait. Alors, il lui fallut se contraindre à des gestes calmes pour ne pas perdre son sang-froid. Un sourire artificiel crispa sa bouche tandis qu'il se répétait à haute voix
– Voyons, aucune raison de s'inquiéter. Mon scaphandre est une merveille de perfection. Je ne cours aucun danger. Ma situation est particulièrement excitante.
Le fleuve de lave continuait à couler devant lui avec une telle force qu'il lui fut impossible, malgré ses efforts, de vaincre le courant. A chaque fois qu'il essayait de sortir de l'espèce de grotte dans laquelle il était prisonnier, il se sentait violemment repoussé en arrière. Il fallut se résigner à l'attente. Se laissant couler, il s'accroupit sur le sol dur et patienta pendant des heures qui lui parurent des siècles.
Enfin, la nappe brûlante qui l'enveloppait sembla stagner. Jâ avança lentement dans l'enfer, frôlant de son gantelet levé le plafond de sa prison. Celui-ci parut s'élever. Bientôt sa présence ne fut plus perceptible, mais en admettant qu'il s'arrêtait là, Jâ n'en était pas plus avancé. Il était impossible de remonter, la viscosité de la lave retenant le scaphandre en bas. Jâ se résigna à avancer au hasard. Penché en avant, il poussait fortement des semelles sur le sol, tandis que ses bras effectuaient un mouvement de brasse au ralenti.
Une pensée l'effraya: et si la lave se solidifiait? Certes, la rapidité du torrent qui l'avait emporté indiquait qu'il était formé de laves basiques, devant en principe rester très longtemps fluides. Mais si la nuit tombait sur cette région de la lune, la surface pouvait très bien se figer sous l'action d'un froid terrible de moins cent degrés. Et il serait condamné à une mort lente dans une poche de feu, sous une gangue de roc: un fossile idéal à découvrir pour les générations futures.
Sous l'action de la fatigue, ses gestes devenaient plus lents. Quoique cette idée fût absurde, il s'imagina que la lave devenait pâteuse et lutta pour avancer le plus vite possible et trouver une issue quelque part. Sa marche provoquait des remous donnant naissance à de grosses bulles gazeuses, de l'hydrogène sulfuré sans doute, qui lui montaient le long des jambes.
Bientôt, il entendit crever ces bulles au-dessus de lui et en déduisit que la surface n'était pas loin. Redoublant d'ardeur, il parvint à grimper sur un renflement plus élevé du sol et son casque émergea. A cet endroit, la lave beaucoup moins liquide le retenait de toutes parts. Il eut à fournir de gros efforts pour s'extirper de la pâte gluante et réussit enfin à en sortir en faisant craquer des croûtes solides dans une poussée désespérée. Une fraîcheur délicieuse envahit le scaphandre. Mais elle se mua rapidement en un froid vif et Jâ coupa son réfrigérateur. Il s'étendit à quelques mètres de la coulée infernale et reprit son souffle.
Quand il fut plus calme, il se gorgea de Drinil et absorba deux pastilles. Il s'assit et alluma son phare pour observer les environs, car la nuit était très sombre. Sa déception fut vive de se trouver dans une grotte spacieuse. Une fatalité le ramenait toujours à explorer les entrailles de la Lune, alors qu'il n'aspirait qu'à la surface.