Une voix parla
– Ici, laboratoire d'enmicrobainie.
– Ici, Professeur Kam. Où en sont vos essais en cabine?
– Nous avons eu quelques difficultés, mais nos ingénieurs ont réussi à les surmonter. Tenez-vous bien, Professeur, ce matin, nous avons réussi à réduire une cabine contenant dix hommes à la taille de deux microns.
– C'est le miracle que j'attendais. Pas d'accidents?
– Un incident, tout au plus. L'un des volontaires a perdu connaissance pendant le retour. A part lui, les autres ont très bien supporté l'expérience.
– Dites à votre patron que j'aimerais le voir rapidement.
– Ne quittez pas, Professeur.
Le savant attendit quelques minutes. Une grosse voix de basse se fit entendre.
– Ici Terol, comment va, Kam? Vous vouliez me parler?
– C'est important, Terol! On vient de me dire que vous avez réduit une cabine à deux microns, ce matin.
– Qu'est-ce que vous dites de ça?
– J'admire, mon vieux, j'admire sans comprendre; je ne suis pas physicien. Félicitations!
– N'en jetez plus!
– Mais il se trouve que l'application pratique de vos expériences m'intéresse, sur le plan médical. Excusez-moi si ma question est idiote, et dites-moi, pouvez-vous réduire une cabine de n'importe quelle forme?
– Comment ça?
– Les vôtres sont cubiques. Vous serait-il possible de réduire des cabines de forme ovoïde, par exemple?
– Du moment qu'elle est construite en stillite, je peux vous réduire une cabine de n'importe quel aspect: en forme de poire, de verre à dent ou de bigorneau, peu importe. Pourquoi me demandez-vous ça?
– J'ai un essai à tenter sur un cas désespéré. Pourrions-nous nous voir
– Bien sûr, Kam! Je vous attends tout de suite si vous voulez.
– Merci, mon vieux. J'arrive!
CHAPITRE XIV
Cinquante étudiants en médecine étaient assemblés dans l'amphithéâtre. A l'entrée du Professeur Kam, ils se levèrent respectueusement. Celui-ci avait le visage fatigué, ayant travaillé deux nuits de suite avec le physicien Terol à établir les plans d'une cabine à usage médical.
– Asseyez-vous, mes enfants, dit-il d'une voix faible due à son grand âge.
Les étudiants obéirent. Le professeur resta debout un bon moment à les considérer. Enfin, il parla.
– Mes amis, laissez-moi d'abord vous dire que le spectacle de votre jeunesse fait plaisir à voir. Vous avez tous le regard enthousiaste de ceux qui commencent leur vie. Je peux me permettre de vous parler avec cette bonhomie paternelle, puisque le plus âgé d'entre vous dépasse à peine quarante ans. Je devine que vous vous demandez où je veux en venir. Eh bien, voilà…
«Je vous ai choisis parmi les plue doués parce que j'ai besoin de vous pour une mission de confiance. J'ai pour vous un travail qui sort de l'ordinaire, un véritable travail de gladiateurs, où vous aurez besoin de toute votre force physique.»
«Ne vous demandez pas si je deviens fou et mettez-vous bien dans la tête que je vais vous former en véritable commando. Vous allez être transformés en chevaliers de légende pour affronter des monstres redoutables. Prenez mes paroles au sens propre.»
«Vous devez penser que j'aurais pu m'adresser à des soldats de métier pour cette tâche. Eh bien, non! Il importe que ma petite armée soit constituée de médecins, car les monstres que vous serez chargés de détruire seront des microbes géants. Le théâtre des opérations sera le corps d'un malade.
«Je m'explique:
Vous connaissez tous la chlorotrichocystie, seule maladie lunaire que notre science n'ait pas encore vaincue. Vous connaissez la raison de cet échec. L'agent de cette maladie, le trichocyste, est protégé des attaques leucocytaires par une membrane graisseuse non saponifiable.»
«D'autre part, il provoque un chimiotactisme négatif: les leucocytes le fuient comme la peste et laissent se faire l'invasion.»
«Une méthode, simple en laboratoire, consisterait à blesser la membrane protectrice des microbes, afin que les globules blancs puissent les attaquer facilement. Encore faudrait-il que le chimiotactisme négatif disparût…»
Le professeur parla longtemps. A mesure que la conférence avançait, les visages devenaient plus tendus.
– Voilà pourquoi, mes amis, j'ai été conduit à adopter une thérapeutique nouvelle qui va assimiler votre travail de médecins à celui de chasseurs de fauves. Vous serez divisés en cinq groupes de dix, plus un physicien chargé de manœuvrer la cabine que nous avons mise au point, le Professeur Terol et moi. Chaque groupe aura une cabine à sa disposition. Vous serez réduits chacun à la taille approximative de deux microns, ce qui vous permettra d'attaquer en corps à corps les microorganismes.
«Maintenant, je vais vous familiariser avec l'aspect de vos ennemis. J'ai fait installer par le Professeur Terol une section d'enmicrobainie attachée à la faculté. Un groupe de ses élèves a capturé pour nous un trichocyste dans une lymphe du malade et l'a ramené dans notre monde, c'est-à-dire à notre échelle. Venez avec moi.»
Le Professeur Kam sortit de l'amphithéâtre, suivi de ses étudiants, dans un brouhaha de voix excitées. Il pénétra dans une vaste salle au milieu de laquelle trônait une espèce d'immense aquarium. Tout le monde fit cercle autour; quelques physiciens de l'équipe du Professeur Terol étaient présents.
– Voilà le monstre, dit le Professeur.
Dans le liquide ambré, un être inquiétant s'agitait en tous sens, une espèce de serpent annelé d'une dizaine de mètres de long, de vingt-cinq centimètres d'épaisseur, dont la tête était formée d'une pointe effilée en forme de clou. Il se tortillait, visiblement irrité, et faisait résonner l'épaisse paroi de l'aquarium sous ses coups de pointes.
– Vous avez là un trichocyste géant dans une goutte de macro lymphe. C'est ainsi que vous le rencontrerez dans le corps du malade. Ce serait un adversaire redoutable si vous deviez l'aborder sans protection. Mais vous serez revêtus de scaphandres et munis d'armes blanches, les seules utilisables en raison des ravages que vous pourriez occasionner dans l'organisme du malade avec des moyens plus modernes.
Le Professeur s'approcha de l'aquarium:
– Voyez, dit-il, les deux lymphocytes morts qui reposent sur le fond.
Deux masses hyalines gisaient en effet. On distinguait très bien leurs gros noyaux arrondis. Elles avaient au moins sept mètres de diamètre.
– Et maintenant, mes enfants, il est indispensable que je vous donne l'exemple. Vous allez me voir combattre cette chose. Qu'on m'apporte un scaphandre.
L'un des étudiants protesta:
– Non, Professeur, ce n'est pas indispensable. Vous êtes là pour nous diriger, non pour mettre la main à la pâte.
– Merci, mon petit, je sais très bien qu'au point de vue pratique, je prends un risque inutile. Mais moralement, cette démonstration est nécessaire. Je ne pourrai pas vous accompagner dans votre micro voyage. Il faut donc que votre général en chef prouve physiquement qu'il est digne de vous commander.
Il revêtit lentement le scaphandre que lui présentait un physicien, saisit une espèce de lame d'acier pourvue d'une poignée et la brandit.
– Cette arme est très primitive, dit-il. Il y a des milliers d'années, elle portait le nom de glaive. Les anciens hommes de la Terre ne connaissaient guère d'autre moyen de combattre.
Il grimpa l'échelle qui menait au haut du bocal et se laissa tomber dans la macro lymphe.
Le trichocyste, surpris, se replia dans un angle. Puis, lentement, avança sa tête pointue vers Kam qui l'attendait, le glaive haut. Brusquement, le monstre fonça et sa pointe heurta violemment le scaphandre en pleine poitrine. Kam tomba en arrière, non sans décocher à la bête un violent coup de tranchant à la jonction de la tête et du corps. Le trichocyste recula de nouveau, ce qui laissa au professeur le tempe de se relever sur un genou.