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Sur toute la terre, des millions d'écrans reproduisaient la scène. Le reporter continua

– Encadré de deux gardes, suivi du bourreau tenant à la main le casque transparent qu'il va tout à l'heure lui visser sur les épaules, voilà le condamné. Il marche à pas comptés, il vient vers nous. La cloche grave de la peine capitale rythme sa marche, tous les deux pas. L'homme est pâle. Il avance toujours.

Il lui reste environ cinquante mètres à parcourir pour arriver au tube de lancement, vers l'enfer lunaire… quarante mètres… la cloche sonne toujours, trente mètres… vingt… Suivi du bourreau, il grimpe l'échelle métallique, on ne voit plus que les jambes du scaphandre. On ne verra plus jamais le visage de cet homme banni de la terre.

Jâ Benal entra dans la cabine et se tourna vers le bourreau. Celui-ci s'apprêtait à lui poser son casque. Jâ Banal l'arrêta du geste.

– Dites-moi franchement: j'ai combien de chances d'y rester?

– Trente pour cent, en principe, dit le bourreau. Mais d'après le rapport du médecin, vous avez un organisme exceptionnel. Je pense que vous arriverez vivant.

– C'est la phrase que vous dites à tout le monde, hein?

Le bourreau haussa les épaules, plaça le casque et commença à serrer les boulons.

– Adieu, dit Jâ derrière la vitre. Sa voix résonna comme du fond d'une boîte.

– Serrez les bras et les jambes, cria le bourreau.

Jâ obéit, les bras du scaphandre s'encastrèrent exactement dans les dépressions latérales du torse cylindrique, les jambes se collèrent étroitement l'une à l'autre. L'ensemble prit une forme vaguement ovoïde. Jâ essaya un peu d'écarter un bras, mais c'était impossible, un puissant magnétisme solidarisait l'ensemble.

– Tout est réglé pour que vous retrouviez votre mobilité dans trois jours, cria encore le bourreau.

Puis il sortit sans se retourner et la porte claqua derrière lui. Jâ se trouva seul dans la cabine dans le noir absolu. Son cœur battait. Une sueur glacée lui coulait dans le dos. Un sifflement se fit entendre. «Ils aspirent l'air autour de moi, pensa Jâ». Il attendit. Au bout d'un moment, il se sentit doucement soulevé. Le plancher montait peut-être depuis quelques minutes, d'une façon si graduée qu'il ne s'en était pas aperçu.

IL décela un léger chuintement tout autour de lui. «Je suis déjà dans le tube, pensa-t-il, les parois frottent sur le scaphandre». Il monta plus vite, à la vitesse d'un ascenseur. Puis encore plus vite. Il eut une nausée. Il lutta pour ne pas s'évanouir, se raccrocha à la petite lueur de conscience qui lui restait et qui lui disait: «C'est la fin». Et ce fut la nuit.

CHAPITRE III

Quand il reprit conscience, il se vit entouré d'un halo blanchâtre. Il voulut remuer, mais ses membres ne purent effectuer que des mouvements de très faible amplitude à l'intérieur du scaphandre. Les souvenirs lui revenant brusquement, il comprit que le halo était dû à la condensation qui avait recouvert l'intérieur du casque d'une couche de glace. Il inclina la tête en arrière et appuya fortement sa nuque sur le bouton placé derrière lui, pour mettre en marche le dégivreur. La glace se mit à fondre et l'eau lui coula désagréablement dans le cou.

Petit à petit, la vitre redevint transparente et il fut captivé par le spectacle. A ses pieds, il vit la Terre, comme un énorme ballon emplissant presque tout l'espace. Il eut l'impression de pouvoir la toucher en avançant la main. Il renversa la tête en arrière pour apercevoir la Lune et devina une masse bleuâtre, frangée d'un croissant d'une luminosité intense, au milieu d'un amoncellement d'étoiles larges comme des soucoupes.

Il reporta son attention sur lui-même. IL entendait un bruissement continu, comme si son scaphandre était extérieurement passé à la toile émeri par la poussière cosmique. Il ne pouvait pas distinguer les flammes jaillissant des tuyères placées sous ses talons, mais une légère vibration lui remontait tout le long des jambes. A part le malaise de ne pouvoir remuer, il se sentait parfaitement bien, un peu comme dans un lit.

Il eut faim et, tournant la tête de côté, prit dans sa bouche l'extrémité d'un tube de plastique; il aspira trois pilules nutritives surconcentrées. IL les avala facilement en aspirant un peu de Drinil par un autre tube. Le bien-être l'envahit.

Captivé par l'aventure, il oublia momentanément sa mère, son ami Bôd, Flore et la Terre. Il chantonna pour lui tout seul. Le plus dur était passé. Dans à peu près vingt-quatre heures il arriverait sur la Lune. Cette perspective le souleva d'enthousiasme, réveilla en lui l'atmosphère des jeux de son enfance. Il avait toujours secrètement regretté que le gouvernement de la Terre ait remis à des siècles plus tard une exploitation raisonnée du satellite. Il avait dévoré les rapports de la petite centaine d'hommes ayant pris pied sur cette planète à l'époque de l'exploration. Et voici que le hasard (ou la chance) l'envoyait là. Il se rappela une chanson qui courait les rues quand il avait vingt ans: «Conquistador de l'Espace». Il la hurla à pleins poumons, d'une voix abominablement fausse. Une fièvre l'envahit, il sentait ses oreilles devenir chaudes et comprit que son régulateur d'oxygène était détraqué. A cet instant, il vit autour de lui un tourbillon de planètes, terre, lune, étoiles, terre, lune… Sa tête dodelina et heurta fortement la cloison transparente de quintuplex.

Il resta hébété plusieurs minutes et sentit peu à peu son état normal revenir. Et brusquement, il eut très peur. La Lune, aussi grosse que la Terre, à présent, se trouvait sur sa gauche; la Terre à droite. Sa course était déviée. Son tournoiement de tout à l'heure devait être dû au passage brutal de météorites qui avaient influencé sa trajectoire. Ce malheur était néanmoins heureux dans un sens, son régulateur d'oxygène paraissait redevenu normal.

Après de longues heures d'angoisse, il constata que la Terre et la Lune paraissaient rapetisser. Son angoisse s'accrut. Il lutta pour garder les yeux ouverts, mais la fatigue l'emporta, et il sombra dans un profond sommeil.

* * *

Au bout d'un temps indéterminé, un violent mal de tête le réveilla. Il ouvrit les yeux et les referma aussitôt devant la lumière crue et insupportable. Avec ses dents, il tira le cordon placé à dix centimètres de son menton. Le quintuplex du casque se teinta de vert et il put ouvrir les yeux sans larmoyer. La face éblouissante de la Lune était devant lui, avec ses cirques, ses cratères, ses craquelures. Il se demanda comment il avait pu s'en rapprocher alors qu'il s'en éloignait encore au moment où il s'était endormi. Plusieurs explications étaient plausibles: passage d'autres météorites ayant redressé la situation? Dérèglement providentiel du parallélisme des tuyères?…

Une vive démangeaison au bout du nez l'agaça. Instinctivement, il leva la main pour se gratter et frotta sottement le casque vitré avec le polyaimant qui terminait le bras gauche du scaphandre. Quand il s'aperçut de son geste inutile, il éclata de rire et se frotta vigoureusement le nez contre la vitre.

Et soudain, il comprit…