– Nous n'avons pas d'ordres directs, dit un garde. La consigne est de rester dans cette pièce.
– Laissez-moi seul avec ces malades, dit Kam, avec hauteur et fermez la porte derrière moi. Que pouvez-vous craindre?
Les gardes se regardèrent, hésitants. Enfin, ils sortirent.
Le professeur s'approcha des jeunes gens.
– Alors, dit Jâ, vous allez nous sauver, Professeur? Des petits scaphandres vont encore se balader dans notre anatomie?
– Mais pas du tout, sourit Kam. Pensez-vous que nous avons dormi depuis votre opération? Nous avons un sérum à présent. Une simple injection dans la cuisse va liquider vos trichocystes.
– Vous êtes un as, Professeur.
– Que vous dites! Nous nous heurtons encore à des difficultés. C'est une maladie déroutante. Par exemple, voyez: vous avez déjà triomphé de l'invasion microbienne, il n'y a pas longtemps. Je m'étonne que vous soyez de nouveau réceptif. L'immunité ne dure sans doute que quelques mois. Enfin, notre sérum est déjà un progrès.
Il baissa la voix.
– Difficile de me débarrasser de ces gardes! Nous allons faire semblant de vous opérer ce soir. Comme je vous l'ai dit déjà, l'opération est inutile. Je viendrai vous faire une injection, soi-disant pour vous endormir. En fait, ce sera votre injection de sérum antitricho. Vous ferez semblant de dormir profondément. Une fois dans la salle d'enmicrobainie, vous disparaîtrez. Les gardes ne vous trouveront plus. Faites-moi confiance.
Il sortit en mettant un doigt sur ses lèvres.
CHAPITRE XXXI
– Ce Benal nous a trompés sur toute la ligne, dit l'Excellence. On vient de me communiquer le résultat des vérifications de ses calculs, sur la fonction Z, ils sont faux, volontairement faux. Quand pourrons-nous l'interroger, Professeur?
– Demain, dit le professeur Kam. Pour l'instant, lui et sa complice dorment; nous allons les opérer tout à l'heure.
– Sauvez-les à tout prix, Professeur. Je dois vous avouer que la dernière chance de notre civilisation repose sur vous. Il importe que nous connaissions tous les renseignements qui se cachent dans le cerveau de cet espion.
– Je les sauverai, dit Kam sans mentir.
– Ils ne seront pas trop faibles pour supporter une spectrographie cérébrale?
– Certes non. Rassurez l'Ancêtre à ce sujet.
Il coupa la communication. Le visage adipeux de l'Excellence disparut. L'écran reprit son opacité. Le professeur quitta son bureau et entra dans la salle d'opération. La porte en était gardée par des policiers. Kam leur fit signe de rester dans le couloir et ferma derrière lui. La salle était remplie d'étudiants. Jâ et Nira étaient allongés sur deux tables d'opération jumelles.
Dès que la porte fut close, Kam leur fit signe d'aller se placer dans une cabine d'enmicrobainie qui n'était autre chose qu'une antigé revêtue de stillite et ayant subi quelques modifications. Les deux faux endormis s'empressèrent d'obéir. Le physicien Terol monta avec eux pour piloter l'engin.
– Alors, vraiment, Kam, vous ne voulez pas nous accompagner? demanda-t-il au professeur.
– Non, dit Kam.
Il désigna les étudiants.
– Je ne veux pas que ces jeunes gens qui sont dévoués à notre cause soient soupçonnés de complicité. Je veux tout prendre sous ma responsabilité au cas où nous serions accusés. Essayez de faire vite.
Il leur serra la main avec émotion et referma la cabine. Le rideau de verre se baissa. La moitié de la salle s'illumina d'une lueur orange et la cabine rapetissa. Quand elle fut grosse comme une boîte d'allumettes, le rideau se releva. Kam saisit la petite cabine avec précautions et la regarda de près pour en distinguer les trois minuscules occupants. Il leur fit un signe d'adieu et alla déposer la cabine sur le bord d'un hublot ouvert. L'antigé s'envola comme un étrange insecte et disparut.
Le professeur Kam se tourna vers les étudiants.
– Et maintenant, voici la version officielle. Terol est un traître qui nous a endormis pour s'enfuir avec les prisonniers. J'espère que les Terriens viendront nous tirer d'affaire avant que la police ait poussé à fond son enquête.
Kam s'empara d'un objet ressemblant à une balle d'enfant et le projeta sur le sol où il explosa, libérant un gaz verdâtre. Tous les hommes, Kam compris, s'écroulèrent sur le sol, plongés dans un profond sommeil. Il serait impossible de les interroger avant trois jours.
Au bruit de l'explosion, les gardes envahirent la salle et donnèrent l'alerte.
La petite antigé prit de la hauteur. Elle s'éleva jusqu'à la dernière terrasse du Palais, celle qui menait au tube de lancement des fusées interplanétaires. Elle se posa près de la porte métallique donnant accès au hangar des astronefs. Jâ voulut- Attendez, dit Terol, revêtez d'abord vos scaphandres.
Il désignait trois tenues de voyage spatial qu'il avait eu la précaution d'emporter. Ses compagnons obéirent.
Enfin équipés, les trois lilliputiens sortirent de la minuscule antigé. Courbés en deux, ils passèrent sous la lourde porte qui surplombait le sol de quelques millimètres et se trouvèrent dans le hangar.
Un bruit de tonnerre les fit sursauter. Cela venait de la terrasse. Jâ regarda sous la porte et vit, adossé au parapet, un garde gigantesque qui, désœuvré, raclait paresseusement un de ses cothurnes sur le sol. Le garde paraissait avoir trois cents mètres de haut. Il bâilla bruyamment et Jâ crut entendre le rugissement d'un monstre. Le jeune homme eut un recul en voyant le regard distrait du géant se diriger vers lui. Puis il réfléchit que sa propre taille et l'ombre de la porte le mettaient à l'abri de tout risque d'être remarqué.
Cependant, le garde ouvrit de grands yeux. Jâ suivit la direction de son regard et sentit son cœur battre d'angoisse. Le géant avait vu l'antigé. Il s'approcha pesamment, chacun de ses pas ébranlant le ciment de la terrasse. Il se baissa. Jâ vit sa grosse main velue ramasser le petit appareil.
– Ça alors! chuchota le garde pour lui-même.
Il examina l'antigé sur toutes les coutures.
– C'est un jouet! conclut-il, un joli petit jouet. Ça doit être à Slod, il a un gosse.
Le garde mit l'antigé dans sa poche et retourna s'adosser au parapet en étouffant un nouveau bâillement.
Jâ fit signe à ses compagnons que le danger était passé.
– Je crois que nous pouvons parler à haute voix, fit remarquer Terol.
En fait, nous chanterions à tue-tête que nos voix seraient encore trop faibles pour attirer l'attention d'un homme de taille normale. Le seul danger est qu'il nous marchent dessus par mégarde ou qu'ils nous aperçoivent. Et encore! On ne prendra pas garde aux trois pucerons que nous sommes devenus.
– Oh, regarde, Jâ! dit Nira.
Elle désignait un nuage d'une centaine de globes ailés flottant au-dessus d'eux. Ils descendaient lentement et commençaient à rebondir sur le sol lorsqu'un léger courant d'air passant sous la porte les chassa comme des bulles de savon.
– Ce sont vos postes de radio, dit Terol. Nous en avons déjà croisé des milliers tout à l'heure, en antigé.
Il poursuivit en souriant
– Mais vous étiez trop occupés l'un de l'autre pour les remarquer.
Il se tourna vers les énormes fusées interplanétaires.
– Dire qu'il va falloir s'introduire là-dedans. Je me demande comment nous allons faire. La porte du sas est au moins à vingt mètres au-dessus de nos têtes. Enfin… disons vingt millimètres.