Ils s'approchèrent d'une fusée.
– Nous perdons la tête, fit remarquer Jâ. Pourquoi n'allons-nous pas directement dans l'appareil qui est déjà placé dans le tube de lancement.
– Il faut croire que l'originalité de notre situation nous fausse l'esprit, dit Terol. Allons, en route vers le tube! Ce tube si proche de nous, mais que nous allons mettre une demi-heure à atteindre avec nos petites jambes.
«Lunaires, patientez quelques jours, la Terre veille sur vous!»
A cette voix, les trois compagnons avaient plaqué leurs mains sur leurs oreilles.
– Bon sang, dit Jâ. J'ai cru que mes tympans allaient éclater.
– Vous avez bien fait les choses, remarqua Terol, mais vous n'avez pas pensé à tout. Votre propre voix va vous incommoder toutes les quatre heures.
Jâ sauta vers un globe planant à proximité et l'attrapa par les ailes, il l'approcha de son oreille et entendit susurrer: «La Terre ne vous veut aucun mal, la Terre vous offre la liberté.»
– Ils sont tous en excellent état de marche, dit-il.
Il fronça les sourcils.
– Mais c'est bizarre!
– Quoi donc? demanda Nira.
Jâ montra le poste.
– Tout à l'heure, ils me semblaient gros comme des balles d'enfant. Celui-là est plus petit. Est-ce que la réduction n'aurait pas été uniforme?
Terol jeta un regard sur sa montre, puis observa d'autres postes qui s'élevaient ou descendaient au gré des faibles remous d'air.
– Non, dit-il, ils sont tous absolument identiques, c'est nous qui grandissons. J'avais calculé que nous reprendrions notre taille normale en trois jours. J'ai dû faire une erreur.
– Vous avez trouvé le moyen de…
– Oui, excusez-moi de ne pas vous avoir mis au courant dans la précipitation des événements, nous n'aurons pas besoin de cloches d'enmicrobainie pour retrouver notre aspect naturel. Nous avons mis au point une petite technique empêchant la réduction d'être définitive et en limitant l'action à un délai prévu.
– Le garde va sentir sa poche se gonfler, sourit Nira.
– Oui, dit Terol. L'antigé va grossir aussi. C'est pourquoi il nous faut agir vite. Nous allons passer par la période dangereuse où nous serons trop grands pour échapper aux regards et pas assez pour nous défendre. Ils arrivèrent auprès du tube de lancement.
– Dire que de loin je croyais voir le métal d'un poli parfait. Regardez, comme la surface en est granuleuse pour des êtres de notre taille, nous avons toutes les prises voulues pour grimper facilement jusqu'au sas.
– Comme des fourmis marcheraient tranquillement sur un mur vertical, dit Nira.
– Exactement.
– Mais comment ouvrirons-nous 1a porte?
– Tout est prévu de ce côté-là. J'ai une polyclémettrice, dit Terol en brandissant l'objet. Que nous arrivions jusqu'à la tache rouge de la serrure et la porte s'ouvrira. C'est quelquefois utile d'être physicien.
Ils entreprirent la longue ascension. Plus ils montaient, plus la tâche s'avérait difficile, les anfractuosités du métal offraient de moins en moins de prise. Jâ en fit la remarque.
– Dépêchons, dit Terol. Je crois que nous grandissons encore, c'est là la raison de nos difficultés. Si nous nous attardons à mi-chemin, nous allons nous casser figure.
– Nous sommes décidément idiots, déclara Jâ. Vous auriez dû rester tous les deux beaucoup plus bas. Je serais monté tout seul jusqu'à cette maudite serrure. Il était inutile de multiplier les risques. Passez-moi la clé, Terol.
– Je crois que vous avez raison, dit Terol haletant. Venez, Nira, redescendons. Laissons faire l'athlète de service.
– Fais attention, mon chéri, dit Nira inquiète.
– Ne vous en faites pas pour moi.
CHAPITRE XXXII
Jâ continua seul. Il vit ses compagnons disparaître peu à peu vers le bas, comme au flanc d'une montagne au versant abrupt. Il leva la tête, la serrure n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres, à son échelle. Mais les reliefs de la porte géante s'amenuisaient. Jâ calcula que s'il continuait à grandir à la même vitesse, il n'aurait jamais le temps d'atteindre son but. Il chercha autour de lui et se traita mentalement d'imbécile. A une centaine de mètres à gauche il voyait le joint de caoutchouc de la porte étanche, dont les irrégularités étaient beaucoup plus rassurantes que celles du métal. Il profita d'une rainure horizontale et progressa le plus vite possible vers la gauche. Il atteignit enfin le bord de la porte et soupira de soulagement.
L'ascension devint beaucoup plus facile. Le jeune homme arriva rapidement à la hauteur de la serrure. Il examina la cloison et s'aperçut qu'il lui serait désormais impossible de s'accrocher au métal, les prises n'étant plus suffisantes. Il prit la polyclé et, risquant le tout pour le tout, la lança en direction de la serrure.
La petite tige métallique fila vers la tache rouge, commença à retomber avant de l'atteindre et, tournoyant, en frôla l'extrême bord inférieur. La porte s'ouvrit avec un déclic et Jâ faillit être déséquilibré par la secousse.
Heureux, il s'empressa de redescendre. Le sas était ouvert. Il allait falloir s'attaquer à la deuxième porte.
Quand Jâ eut rejoint Nira et Terol, il se sentit fatigué. Une sensation d'épuisement le contraignit à s'asseoir sur le sol. Comme dans un rêve, il remarqua que ses compagnons paraissaient également affectés. Il sombra dans une demi-inconscience.
Après un temps indéterminé, il ouvrit les yeux et vit Terol occupé à essayer de faire revenir à elle la jeune femme. Jâ joignit ses efforts à ceux du physicien et Nira s'éveilla enfin.
– Que nous est-il arrivé? demanda-t-elle.
– Regardez-vous, bougonna Terol. Cette sensation d'étouffement était symptomatique, nous avons grandi trop vite.
Jâ compara sa propre taille à celle de la grande porte.
– Je mesure bien dix centimètres, il me semble.
Oui, et nous pouvons nous dépêcher si nous ne voulons pas nous faire prendre. Nom d'un chien!…
– Quoi?
– J'allais oublier autre chose, dit Terol en se fouillant fébrilement.
Il tira de sa poche une petite boîte et en vida le contenu dans sa main.
Il tendit aux autres de petites pilules blanchâtres.
– Avalez-en chacun une, ordonna-t-il…
– Pourquoi faire? demanda Jâ après avoir obéi.
– Pour modifier votre type de bio-ondes, malheureux! Je m'étonne qu'ils ne nous aient pas encore trouvés.
– Vous êtes plein de ressources, Terol, dit Nira.
– C'est possible, avoua le physicien, mais je n'ai guère de présence d'esprit. Eh bien, Jâ, si vous fermiez cette porte derrière nous.
Jâ passa dans le sas, suivi de ses compagnons. Sa taille lui permettait maintenant des prouesses. Sans se fatiguer inutilement à grimper jusqu'à la serrure, il jeta la polyclé en l'air et atteignit la tache rouge du premier coup. Mais la porte ne se ferma pas.
– Elle a touché du mauvais côté, dit Terol, Recommencez!
Au quatrième essai, la porte claqua derrière eux et le sas se vida automatiquement de l'air qu'il renfermait.
Ce fut presque un jeu d'enfant de franchir la deuxième porte et de pénétrer dans la fusée par la même méthode.
– Nous n'avons plus qu'à partir, dit Terol. Mais il faudra attendre d'avoir grandi encore. Je n'aurai jamais la force d'appuyer sur le bouton de départ.
– Nous avons vécu des heures fatigantes, dit Benal. Je propose que nous cherchions une cachette à notre taille en attendant le moment d'agir. D'ici là, n'importe qui pourrait nous surprendre et tout serait à l'eau.