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– Repose-toi, mon petit, lui dit-il. Il n'y a plus de danger, nous filons vers la Terre.

– Je… Ça va, Jâ. Je me sens de mieux en mieux. Quelle secousse!

Elle regarda le physicien allongé.

– Jâ, dit-elle, est-il…?

Jâ inclina lentement la tête. Les yeux de la jeune femme s'embuèrent.

– Pauvre Terol!

Jâ prit Nira par les épaules.

– Ma chérie, dit-il, s'il pouvait nous voir et nous parler, je sais ce qu'il dirait: «Jeunes gens, ne vous occupez pas de moi. Ça ne servirait plus à rien. Dépêchez-vous de neutraliser le garde qui est encore vivant à l'étage au-dessus et accomplissez votre mission. Prévenez la Terre le plus vite possible, pour éviter de perdre d'autres vies humaines»

Nira s'essuya les yeux.

– Tu as raison, dit-elle. Il n'en reste qu'un là-haut?

– Oui, et je l'ai désarmé. Malgré notre petite taille, nous sommes les maîtres à bord. Viens m'aider à le tenir en respect.

Ils s'empressèrent de remonter. Le garde s'était assis et tenait à deux mains sa tête douloureuse. Il jeta sur les deux petits êtres qui le tenaient en joue un regard hébété.

– Levez-vous, dit Jâ.

L'autre obéit et se dressa péniblement.

– Vous allez m'aider à nous débarrasser des cadavres. Ouvrez le sas à déchets. Continue à le tenir en joue, Nira.

Les deux morts eurent bientôt disparu dans le vide. Jâ ne voulut pas se séparer de la dépouille de Terol.

– Nous l'inhumerons sur la Terre, dit-il. Il peut rester trois jours avec nous sans nous incommoder. Asseyez-vous aux commandes et n'oubliez pas que je vous surveille étroitement.

Le garde s'exécuta avec humeur.

– Vous croyez vous en tirer, ricana-t-il. L'Ancêtre aura tôt fait de trouver votre type de bio-ondes. Vous serez désintégrés.

– Pas du tout, sourit Jâ. Nous avons passé 1e grand X, les rayons ne nous atteindront plus. D'ailleurs, nos types de bio-ondes ont été changés, il n'aura pas le tempe de capter notre nouveau type, nous serons trop loin.

* * *

– Ils ont passé le grand X? dit l'Ancêtre. Très bien, attendez mes ordres.

Il éteignit l'écran, resta immobile un instant et éclata d'un rire bref. Puis il marcha de long en large dans la pièce, le front plissé par d'amères réflexions.

La partie était perdue. Si le gouvernement terrien était mis au courant de la situation sur la Lune, il s'empresserait d'envoyer une armada de fusée à la conquête du satellite et n'aurait aucune peine à faire la loi chez une nation privée de tout moyen de défense, ou presque.

Il était inutile d'organiser une résistance quelconque. La majorité des Lunaires étaient déjà acquis à la cause terrienne. C'était la fin de plus d'un siècle d'efforts tendus vers un seul but.

Les Terriens n'auraient aucune pitié pour l'Ancêtre. Il aurait d'ailleurs ressenti cette pitié comme une injure. Quelle issue lui restait-il sinon la mort, la mort volontaire? L'Ancêtre passa devant un miroir et se regarda.

– Tu es le grand rebelle! dit-il à son image. Le plus grand homme ayant existé. Tu n'accepteras pas une défaite humiliante. Tu auras une fin digne de toi. Comme ces anciens souverains qui entraînaient dans la mort toute leur famille et tous leurs esclaves à leur suite, tu vas anéantir avec toi l'humanité tout entière.

Il fit encore un petit rire sec. Une étincelle de folie brillait dans ses prunelles. Face au miroir, il leva les bras, dans une pose théâtrale. Puis il avança vers le mur, l'air inspiré, un sourire figé au coin des lèvres. Une porte secrète se dématérialisa; le vieillard descendit les nombreuses marches d'un escalier monumental. Un halo lumineux naissait sous ses pas et mourait derrière lui.

Il parvint à une vaste salle ronde et, très droit, s'avança vers l'estrade de basalte qui trônait au milieu et supportait une espèce de sarcophage.

– Voici mon dernier lit, psalmodia le dément. Voici mon dernier séjour. A l'instant où ma tête s'appuiera sur ce coussin, le couvercle claquera sur mon corps et l'enfermera pour toujours. A l'instant même où le couvercle claquera, la Lune, ma belle Lune éclatera en milliards de corpuscules désintégrés, fuira en poudre étincelante à travers l'espace, enroulera la Terre dans une ronde insensée avec moi au milieu, intact dans mon sarcophage.

«Et pendant des millénaires, je mènerai autour de la Terre une ronde infernale. Autour de la Terre qui va basculer sur son axe, autour de la Terre haïe et morte, éternellement prisonnière de l'anneau lumineux formé des glorieux débris de ce qu'elle avait de plus grand et de plus précieux.»

L'Ancêtre s'approcha à pas lents de l'estrade, en gravit les degrés d'une façon solennelle. Il s'allongea dans le sarcophage, inclina lentement la tête en arrière, la posa sur le coussin d'étoffes précieuses. Le couvercle claqua sur lui.

Une seconde de calme effrayant s'ensuivit, puis la pièce parut basculer, les murs se lézardèrent, un océan de flammes multicolores submergea tout.

CHAPITRE XXXIV

Le garde, pilote malgré lui, avait été lié aux commandes. Jâ et Nira s'étaient installés derrière lui sur le rebord d'un hublot, position facilitée par leur taille réduite.

– Nous ne grandissons plus du tout, s'inquiéta Nira.

– C'est gênant évidemment, répondit Jâ, mais Terol avait calculé que nous serions revenus à notre taille normale dans trois jours. Nous ne sommes qu'à la fin du deuxième jour.

– Je suis un peu inquiète malgré tout. Il avait été obligé de travailler vite pour réussir à limiter l'action enmicrobainique. Les à-coups de notre croissance prouvent que sa technique n'était pas au point.

– Quand la Terre sera intervenue, une fois la paix retrouvé, nous aurons tout le temps de nous faire grandir au cas où nous serions stoppée à dix centimètres.

Nira regarda la Lune par le hublot. Elle pâlit, posa sa main sur le poignet de Jâ et le serra de toutes ses forces.

Étonné, Jâ suivit la direction de son regard. Il serra les dents: la Lune se scindait en trois morceaux, qui se subdivisaient eux-mêmes en une multitude de grumeaux laiteux. Puis les débris du satellite prirent l'aspect d'une nuée lumineuse qui s'effilochait à une rapidité folle en amorçant une ellipse autour de la Terre.

Des blocs rendus incandescents par leur vitesse grossissaient à vue d'œil, arrivaient comme la foudre vers cette minuscule poussière qu'était la fusée dans le vide.

– Vitesse maximum! hurla Jâ à l'adresse du pilote figé par la stupeur.

Ce cri lui fit l'effet d'une douche froide, il se cramponna aux commandes et accéléra en direction de la Terre. La fusée tangua fortement, fit un tour complet sur elle-même et dévora l'espace.

Jâ et Nira roulèrent sur le sol. Le jeune Terrien se releva aussitôt et consulta les cadrans du tableau de bord.

Puis il grimpa le long du maillot du pilote et se percha sur son épaule.

– Vous ne l'avez pas fait exprès, lui cria-t-il dans l'oreille, mais vous avez pris la bonne direction. Continuez à foncer dans le sens de gravitation tout en vous rapprochant progressivement de la Terre.

Les vibrations des réacteurs emplissaient la cabine d'un bruit de tonnerre. Jâ sauta sur le plancher et prit Nira étourdie dans ses bras.