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Il avait pu remuer un bras… La force magnétique avait cessé d'emprisonner ses membres pendant son sommeil. Le bourreau lui avait dit qu'elle était réglée pour trois jours; était-il possible que tant de temps soit déjà écoulé? Il ne possédait aucun moyen de le vérifier. Le parallélisme des tuyères! En effet! Il avait dormi Dieu sait combien de temps, les membres écartés au hasard. Encore une chance qu'il ne se soit pas retrouvé dans la voie lactée! Et maintenant, il s'agissait d'alunir. Jâ craignait fort, d'après sa position, d'avoir été satellisé par le satellite, car il ne se trouvait plus entre Lune et Terre. Il était sur la face de la Lune qui reste toujours invisible aux Terriens. Cette position ne pouvait s'expliquer que par un vaste mouvement tournant.

Jâ réfléchit un instant. Membres écartés dans le vide, il semblait planer. Puis il ramena doucement ses jambes devant lui, à angle droit avec son corps. Cette position lui fit faire trois rapides sauts périlleux qui lui donnèrent le vertige. Il s'empressa de reprendre une position allongée et décida d'agir plus prudemment. Il recommença la manœuvre. Étendant les bras, il s'inclina légèrement en avant, son torse formant un angle obtus avec ses cuisses. Il pivota doucement et se retrouva la tête la première en position de plongée vers la planète. Les tuyères réussissaient à vaincre lentement la force centrifuge.

Se retenant de bouger pendant de longues heures, il vit peu à peu les détails de la Lune se préciser. Puis il eut la sensation d'un arrêt. Le cirque grandiose qu'il avait pris comme point de repère dérivait très lentement vers la gauche, mais Jâ ne se rapprochait absolument plus du satellite. Il regarda ses pieds avec précautions et s'aperçut que les tuyères ne donnaient plus.

CHAPITRE IV

Au poste d'observation de Desperado, le fonctionnaire lunaire observa un minuscule point brillant sur son écran radar. Il le centra au milieu, à l'intersection des deux lignes en croix et tourna une manette pour rapprocher la vision. Il regarda quelques instants et parla dans le micro attaché à son torse.

– Ici Desperado, ici Desperado. Un condamné nous arrive, toute énergie épuisée. Situation: 47-22-1200. Direction: 50-25 Vitesse: 3 km-seconde. Dois-je le capter?

Une voix nasilla dans ses écouteurs

– Laissez-le se débrouiller, c'est Jâ Benal, un savant atomiste. Nous étions prévenus de sa condamnation par nos agents. Quel est le point de chute probable?

– Un instant, dit le fonctionnaire.

Il appuya sur un bouton, quelques lampes s'allumèrent et trois cartes perforées tombèrent dans un tiroir. Il s'en empara et les glissa dans trois fentes différentes d'un bloc hérissé de compteurs et de rhéostats. Il tira une poignée: la machine ronronna un instant et cracha par une ouverture une feuille imprimée.

Le fonctionnaire la ramassa et lut

– Point de chute: Flanc nord du Mont Circé, dans sept heures dix minutes quarante-cinq secondes. (Il ricana.) Je lui souhaite bien du plaisir, il va tourner en spirale de plus en plus rapidement et touchera la surface après dix tours de planète à toute vitesse.

Il faudra qu'il soit débrouillard pour s'en tirer. Il a tout de même de la chance pour son point de chute. Le Mont Circé est spongieux, je crois.

Il hésita un instant et poursuivit:

– Dites, Chef. J'ai entendu parler de ce Jâ Benal. C'est quelqu'un! Une fameuse recrue! Il faudrait peut-être le capter. Même un surhomme n'aurait aucune chance, c'est plein de gôrs par là-bas!

– Pas question. C'est une règle absolue. Tout arrivant doit se débrouiller par ses propres moyens pendant quinze jours terrestres. Les plus faibles y restent, les autres passent au travers. C'est pourquoi nous sommes les survivants d'une sélection naturelle, la future élite de cette grosse Terre encombrée par le poids mort de ses bouches inutiles. J'avoue que même pour nous, il serait bien difficile de survivre quinze jours dans cet enfer de Circé. Le sort lui a peut-être réservé l'endroit le plus affreux de la Lune pour en faire un héros; s'il s'en tire, il sera très haut placé, surtout comme savant, mais je doute qu'il puisse résister aux gôrs. Je vais quand même en référer an Conseil.

* * *

Jâ Benal voyait défiler sous lui les paysages fantastiques dont il avait tant entendu parler. «Tu es content, se dit-il, la voilà, ta lune. Tu as tout le temps de la regarder maintenant, profites-en car dans six mois tu n'auras plus rien à manger ni à boire. Tu mourras d'inanition en continuant à décrire des cercles idiots autour ce caillou antipathique. Il est vrai que la folie te prendra avant.»

Malgré son inquiétude, au début, il s'était passionné pour le spectacle. Maintenant, désespéré, il aurait bien voulu rentrer à la maison. Il lui sembla qu'il allait plus vite, il approchait d'une zone de nuit. Un froid pénétrant le torturait, quoiqu'il eût poussé son auto-chauffage au maximum. Il aspira quelques pilules nutritives et but un peu de Drinil pour se donner des forces.

Bientôt, il fut plongé dans le noir absolu. Il supprima le tamisage antisolaire de son casque, mais ne vit pas mieux pour cela. Il alluma son phare pour distinguer au moins ses bras étendus devant lui, pour se raccrocher à un contact visuel quelconque. Mais il était trop loin de la Lune pour que la lumière éclairât rien d'autre. Il éteignit bientôt pour essayer de ne penser à rien et se résigna à l'attente. Loin, très loin sur les côtés, des étoiles semblaient des yeux inhumains guettant sa fin prochaine.

Après un temps interminable, coupé de somnolence et de cauchemars, il vit la Terre se lever dans un halo bleuâtre. Cette vue le réconforta. Bientôt il la vit tout entière. Avec passion, il regarda un point précis sur l'immense mappemonde: «Staleve! pensa-t-il. Là est ma mère, là sont mes amis». Puis il se souvint que, pour la plupart des hommes de la Terre, il était un criminel. Ceci lui sembla d'une injustice affreuse, et toutes ses émotions l'ayant moralement épuisé, il eut envie de pleurer comme un enfant.

Le clair de Terre inondait le satellite d'une lumière très suffisante pour qu'il pût distinguer les reliefs du sol. Et il s'effraya de constater que sa vitesse s'était accrue dans des proportions incroyables. Il comprit qu'il irait plus vite, toujours plus vite autour de la Lune tout en s'en rapprochant et que le choc final le pulvériserait, car il n'avait aucun moyen de freiner sa chute, ses tuyères ne donnant plus.

Tout compte fait, cela était peut-être préférable à une mort affreuse dans ce cercueil ambulant qu'allait devenir le scaphandre.

*
* *

Combien de fois fit-il le tour de la Lune? Combien de fois passa-t-il, en cercles infernaux, de la température accablante de la face exposée au soleil, au froid rigoureux de la nuit? Il n'aurait su le dire. Et maintenant, il tombait: il tombait debout, pieds en avant, entraîné par le poids des tuyères inutiles; il voyait le sol se rapprocher, encore, encore. Cette Lune qui, de la Terre, paraît à peu près lisse, lui offrait une vision dantesque, avec ses pics, ses ravins, ses failles profondes. Du haut de l'espace, il était précipité droit sur une énorme montagne d'une blancheur aveuglante, au sommet incroyablement effilé et légèrement incliné, comme un bonnet de nuit, dans le ciel d'un noir d'encre.

Et brusquement, le désespoir lui donna une idée; il écarta les jambes et frappa violemment ses talons l'un contre l'autre. Le miracle attendu eut lieu. Un maigre morceau de cuivre bloqué dans le moteur par l'oxygénation, descendit de quelques centimètres et la tuyère droite cracha une longue flamme rouge. Une dure secousse ébranla le scaphandre, mais la chute ralentit. Jâ se maudit d'avoir eu son idée trop tard. Le sol approchait à vue d'œil et la vitesse était encore considérable. Au bout de deux longues minutes, la tuyère s'éteignit. Jâ eut beau renouveler son geste, lancer des ruades frénétiques, le moteur n'eut pas une réaction.