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— Je vois ça pour la première fois … une cigarette tu dis ? Mais comment peux-tu aspirer la fumée comme ça ? Non, attends, c’est plus important. Brytt, ce n’est pas du tout du lait. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans, mais on donne toujours du brytt à un inconnu.

— A un homme ?

— Oui.

— Et alors, qu’est-ce que ça fait ?

— Ça le rend plus sage … Si tu demandais ça à un biologiste ?

— Au diable, les biologistes. Est-ce que ça veut dire qu’un homme qui a bu du brytt ne peut rien faire ?

— Naturellement.

— Et s’il refusait de le boire ?

— Comment pourrait-il refuser ?

— Tu ne vas pas le forcer, me mis-je à lui expliquer patiemment.

— Un fou pourrait ne pas vouloir en boire, dit-elle tout bas, mais je n’en ai jamais entendu parler, jamais …

— C’est une sorte d’usage ?

— Je ne sais quoi te répondre. Est-ce par habitude que tu ne te promènes pas tout nu ?

— Ah ! oui. En quelque sorte oui. Mais sur une plage on pouvait se déshabiller.

— Complètement ? demanda-t-elle avec un soudain intérêt.

— Non, pas tout à fait. Un maillot de bain … mais il y avait des groupes de mon temps, des nudistes, qui …

— Je sais. Non, ce n’est pas ça, je pensais que vous tous …

— Non, non. Alors, boire ça, c’est comme porter des vêtements ? C’est aussi nécessaire ?

— Oui, quand un homme et une femme sont ensemble.

— Et après ?

— Quoi après ?

— La seconde fois ?

La conversation était vraiment stupide et je me sentais très bête, mais il fallait que j’apprenne, à la fin.

— Après, ça dépend. Certains boivent toujours du brytt.

— Ah ! la soupe noire, m’exclamai-je.

— C’est quoi, ça ?

— Non, rien. Et si la fille va chez l’homme, que font-ils ?

— Il en boit chez lui.

Elle me regarda comme si j’éveillais en elle la pitié. Mais j’étais tenace.

— Et s’il n’en a plus ?

— Comment peut-il ne pas avoir de brytt ?

— Je ne sais pas. Ou bien il n’en a plus … Ou bien il peut … mentir.

Elle éclata de rire.

— Parce que tu croyais que je gardais toutes ces bouteilles à la maison ? Ici ?

— Non ? Et où alors ?

— Je ne sais même pas d’où elles viennent. Ça existait de ton temps, les canalisations ?

— Ça existait, acquiesçai-je, morose. Naturellement, il pouvait ne pas y en avoir ! Je pouvais être monté dans ma fusée directement d’un arbre ! Un instant la colère me prit, mais je me calmai. Finalement ce n’était pas sa faute.

— Alors, tu vois, est-ce que ça t’intéressait de savoir d’où venait l’eau avant de …

— Ne termine pas, j’ai compris. Bon, alors c’est un moyen de sécurité ? Bizarre …

— Je ne le pense pas, dit-elle. C’est quoi ce truc blanc, là, sous le chandail ?

— Une chemise.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Tu n’as jamais vu de chemise ? C’est du linge, quoi. En nylon.

Je retroussai ma manche et lui montrai.

— Intéressant, fit-elle.

— C’était une habitude … que pouvais-je dire d’autre ? En effet ils m’avaient dit à l’Adapte de ne plus m’habiller comme il y a un siècle ; je n’avais pas voulu. Néanmoins je ne pouvais ne pas admettre ses raisons, le brytt était pour elle ce qu’une chemise était pour moi. Car personne ne nous forçait à en porter, cependant tout le monde le faisait. Apparemment, c’était pareil pour le brytt.

— Combien de temps ça agit, ton brytt ?

Elle rougit un peu.

— Tu n’es pas pressé ? Je ne sais pas encore si …

— Je n’ai rien dit de mal, me défendis-je, je voulais juste savoir … Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Qu’est-ce que tu as ? Nais ! ?

Elle se leva lentement. S’abrita derrière un fauteuil.

— Combien de temps, m’avais-tu dit ? Cent vingt ans ?

— Cent vingt-sept. Et alors ?

— Est-ce que tu as été bettrisé ?

— C’est quoi ça encore ?

— Tu ne l’as pas été ?

— Je ne sais même pas de quoi tu parles. Nais ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Non … tu ne l’as pas été … murmurait-elle. Si tu l’avais été, tu saurais probablement …

Je voulus m’approcher d’elle. Elle leva les mains.

— Ne t’approche pas. Non ! Non ! Je t’en supplie !

Elle recula jusqu’au mur.

— Tu disais toi-même que ce brytt … voilà, voilà, je m’assieds. Là, tu vois, je suis assis, calme-toi. C’est quoi cette histoire de bé … machin-chose ?

— Je ne sais pas exactement. Mais … tout le monde est bettrisé, à la naissance …

— Et qu’est-ce que c’est ?

— Il me semble qu’on introduit un produit dans le sang …

— A tout le monde ?

— Oui. Parce que sans ça … le brytt, ça ne … marche pas. Bouge pas !

— Allez, ne sois pas ridicule.

J’écrasai ma cigarette.

— Je ne suis pas une bête féroce … Ne te fâche pas mais … moi, j’ai l’impression que c’est une obsession chez vous tous … C’est tout à fait comme si on mettait des menottes à tout le monde sous prétexte qu’il y ait des voleurs. Enfin … on peut avoir un peu de confiance, n’est-ce pas ?

— T’es formidable. Elle donnait l’impression de s’être calmée un peu mais elle restait debout. Alors pourquoi cela t’a-t-il tant étonné que j’amène un étranger chez moi ?

— C’est autre chose.

— Je ne vois pas de différence. Tu es sûr de ne pas avoir été bettrisé ?

— Je ne l’ai pas été.

— Peut-être maintenant ? Depuis ton retour ?

— Je ne sais pas. Ils m’ont fait toute sorte de piqûres … Mais, quelle importance ?

— Ça en a. Ils t’ont fait des piqûres ? C’est bien.

Elle s’assit.

— Je voudrais te demander une chose, dis-je le plus calmement possible. Tu vas me l’expliquer.

— Quoi ?

— Ton effroi. Tu avais peur que je te saute dessus, ou quoi ? C’est absurde !

— Non, quand on y réfléchit, non — mais ce fut très fort, tu comprends ? Un choc. Je n’avais jamais vu d’homme qui ne fût pas …

— Mais comment peut-on le reconnaître ?

— On peut. Et comme c’est facile !

— Comment ?

Elle ne répondit pas.

— Nais …

—  …mais …

— Oui ?

— J’ai peur …

— De le dire ?

— Oui.

— Mais pourquoi ?

— Tu comprendrais si je te le disais. Tu vois, la bettrisa-tion, ce n’est pas seulement pour le brytt …le brytt, ce n’est qu’un effet secondaire … Il s’agit d’autre chose …

Elle était pâle. Ses lèvres tremblaient. « Quel monde, pensai-je, quel monde ! »

— Je ne peux pas. J’ai atrocement peur.

— De moi ?

— Oui.

— Je te jure que …

— Non, non, je te crois … seulement … non. Tu ne peux pas le comprendre.

— Tu ne me le diras pas ?

J’avais dû trouver le ton juste pour l’apaiser. Son visage prit une expression sévère. Je voyais dans ses yeux combien cela lui coûtait.

— C’est pour … pour qu’on … ne puisse pas … tuer.

— Pas possible ? ! Tuer un homme ?

— Personne …

— Pas même un animal ?

— Pas même. Personne …

Elle croisait et décroisait les doigts, ne me quittant pas du regard — comme si, par ces paroles, elle m’avait délivré d’une chaîne invisible, comme si elle m’avait donné un poignard pour la transpercer.