Выбрать главу

Brusquement, de tout mon corps je heurtai un obstacle invisible. Une vitre parfaitement transparente. L’entrée se trouvait juste à côté. A l’intérieur quelqu’un rit et me montra du doigt aux autres. J’entrai. Un homme était assis de biais près d’une table, son tricot noir ressemblant un peu à mon pull-over, mais bouffant aux épaules, comme si le col en était gonflé. Un verre à la main il me regardait. Je m’arrêtai devant lui. Le rire se figea sur ses lèvres entrouvertes. Je restai immobile. Tout le monde se tut. Seule de la musique nous parvenait à travers un mur. Quelqu’un, une femme, émit un bruit bizarre ; je jetai un coup d’œil aux visages figés et sortis. Déjà dans la rue je m’étais rappelé que je devais m’enquérir d’un hôtel.

J’entrai dans un passage. Des agences de voyages, des magasins de sport, des mannequins dans des poses bizarres. En fait ce n’étaient pas des vitrines, car tout reposait sur les deux côtés du trottoir surélevé. Plus d’une fois je pris des silhouettes qui se mouvaient au fond pour des humains. Ce n’étaient que des poupées publicitaires qui effectuaient sans fin toujours les mêmes mouvements. Je regardai pendant un long moment l’une d’elles — presque aussi grande que moi, jouant de la flûte, les joues gonflées de façon caricaturale. Elle le faisait si bien que j’avais envie de lui adresser la parole. Plus loin, il y avait des salles de jeux, des ronds immenses de toutes les couleurs y viraient, de petits tubes argentés suspendus au plafond se heurtaient avec des sons cristallins de grelots, des miroirs prismatiques tournaient lentement, mais tout cela était désert. Tout au fond du passage, je vis une inscription ICI HAHAHA. Elle disparut. J’avançai. De nouveau apparurent les lettres ICI HAHAHA qui s’estompèrent comme les flammes soufflées d’une bougie. A la lumière de l’éclat suivant j’aperçus l’entrée. J’entendis des voix. J’entrai à travers un rideau d’air chaud.

Au fond, il y avait deux de ces voitures sans roues, quelques lampes, sous lesquelles trois hommes gesticulaient vivement comme s’ils se disputaient. Je m’approchai d’eux.

— Bonjour messieurs !

Ils ne se retournèrent même pas. Ils continuaient à parler très rapidement, je n’en comprenais pas grand-chose :

— Alors souffle, alors souffle, répétait d’une voix perçante le plus petit et le plus ventru. Il portait un chapeau très haut.

— Messieurs, je cherche un hôtel. Où est-ce que …

Ils ne m’accordèrent pas un regard, comme si je n’existais pas. Je devins furieux. Sans rien dire je me mêlai à eux. Le plus proche — je distinguais l’écarquillement stupide de ses yeux et ses lèvres remuantes — zézéya :

— Comment ? Pourquoi moi ? Souffle toi-même !

Tout à fait comme s’il s’adressait à moi.

— Pourquoi faites-vous les sourds ? demandai-je, et, tout à coup, exactement à l’endroit où je me trouvais — comme du milieu de ma poitrine — explosa un cri :

— Moi, je te … Moi, je vais tout de suite te …

Je bondis en arrière et vis alors le propriétaire de cette voix, le gros au chapeau … Je voulus le saisir par le bras, mes doigts le traversèrent et se refermèrent sur du vide. J’étais abasourdi. Eux, ils continuaient à bavarder ; tout d’un coup il me sembla que l’on me regardait de dessus les véhicules, là où l’obscurité était plus profonde. Je m’approchai jusqu’à la limite de la clarté et vis des taches blafardes de visages. Là-haut il y avait comme un balcon. Aveuglé, je ne le voyais pas distinctement, mais suffisamment pourtant pour comprendre combien je m’étais rendu ridicule. Je m’enfuis comme si l’on me poursuivait. La rue suivante conduisait en montant vers un escalator auquel elle se heurtait. J’avais pensé y trouver un infor et j’empruntai les marches couleur d’or pâle. Je débouchai sur une place ronde, pas trop grande. Au milieu s’élevait une haute colonne transparente. Quelque chose dansait en elle : des masses pourpres, brunes et violettes, ne ressemblant à rien que j’eusse déjà connu, comme des sculptures abstraites vivantes — très drôles. Les couleurs augmentaient en intensité, se concentraient l’une après l’autre, prenaient les formes les plus comiques ; bien que privées de têtes, de visages, de bras et de jambes, le tiraillement de leurs formes semblait très humain, même assez caricatural. Après quelque temps je compris que le violet était une sorte de bouffon — imbu de luimême et orgueilleux, mais en même temps trouillard. Quand il se fut transformé en un million de bulles dansantes, le bleu se mit à l’œuvre. Lui était angélique, modeste et appliqué, mais à la façon d’un Tartuffe, comme s’il s’adressait des prières à lui-même. Je ne sais combien de temps je demeurai à les regarder. Je n’avais encore jamais vu de chose pareille. Il n’y avait personne à part moi, seulement de plus en plus de ces autos noires. Comme elles n’avaient pas de fenêtres, je ne pouvais pas voir si elles étaient occupées. Six rues débou-chaiert sur cette place, les unes montaient, d’autres descendaient, leurs perspectives s’étendaient en une mosaïque délicate de lueurs colorées, sur des kilomètres entiers peut-être. Pas un seul infor. J’étais déjà très fatigué, non seulement physiquement — j’avais le sentiment de ne plus pouvoir emmagasiner d’impressions. Par moments, en marchant, je m'assoupissais un peu, sans toutefois m’endormir ; je ne me rappelle plus quand ni comment je débouchai sur une large allée ; je ralentis près du carrefour, levai la tête et vis les reflets de la ville dans des nuages. Cela m’étonna car je me croyais sous terre. J’avançais toujours, plongé maintenant dans un océan de lumières mouvantes, de vitrines dépourvues de vitres, entre les mannequins gesticulant, tournant comme des toupies, répétant avec acharnement leur gymnastique ; ils se tendaient des objets luisants, gonflaient quelque chose — mais je ne leur accordai pas un seul regard. Loin devant moi marchaient quelques personnes. Néanmoins, n’étant pas sûr que ce ne fussent des poupées, je ne voulus pas les poursuivre. Les maisons s’écartèrent et je vis une grande inscription PARC TERMINAL et une flèche lumineuse verte.

L’escalier roulant démarrait entre deux maisons, s’engageait brusquement dans un tunnel argenté avec des pulsations dorées dans les murs, comme si le métal précieux coulait vraiment derrière une pellicule de mercure qui les recouvrait. Je sentis un souffle d’air chaud, tout s’étcignit — j’étais dans un pavillon vitré. Il avait la forme d’une coquille, son plafond plissé diffusait une clarté verte à peine perceptible. Cette lumière provenait de petites marbrures délicates, comme la luminescence d’une seule feuille tremblotante agrandie. Il y avait des portes de tous côtés. Derrière, l’obscurité n’était troublée que par les filaments des petites lettres parc Terminal, parc Terminal.

Je sortis du pavillon. C’était vraiment un parc. Des arbres bruissaient doucement, invisibles dans les ténèbres. Je ne sentais pas le vent, il devait survoler les cimes, et la voix régulière, digne et imposante des arbres me couvrit de sa voûte invisible. Pour la première fois je me sentis non pas solitaire dans la foule mais vraiment seul, et je me sentis bien. Pourtant il devait y avoir beaucoup de monde au parc, j’entendais des murmures, parfois j’apercevais la tache claire d’un visage, je faillis même frôler quelqu’un. Les ramures des arbres se rejoignaient là-haut et l’on ne pouvait qu’entrevoir les étoiles entre leurs branches. Je me rappelais que, pour arriver là, j’avais dû gravir pas mal de niveaux, or, déjà en bas, là où il y avait cette place avec des couleurs dansantes et des rues avec des mannequins, j’avais vu le ciel, nuageux d’ailleurs, au-dessus de ma tête. Alors par quel miracle pouvais-je voir maintenant un ciel étoilé ? Je ne pus me l’expliquer.