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Deux torrents de véhicules noirs glissaient le long du boulevard, entre ces palmiers charnus qui me déplaisaient magistralement. Je savais déjà que ces autos noires s’appelaient des gliders. Au-dessus des toits apparaissaient d’autres machines volantes — pas des avions, ni des hélicoptères, plutôt des crayons aiguisés aux deux bouts.

Il y avait un peu de monde sur les trottoirs, mais pas autant que dans les villes du siècle précédent. La circulation était très fluide et étalée, surtout en ce qui concerne les piétons, probablement grâce à la multiplication des niveaux, car UÜ-dessous de la ville que je contemplais s’étendaient plusieurs étages souterrains avec leurs rues, places, magasins — justement l’infor du coin de rue m’enseigna que pour faire les courses le mieux serait le niveau Serean. Ce devait être un infor génial, ou peut-être est-ce moi qui sus m’exprimer mieux, en tout cas il me fournit un petit dépliant en plastique avec quatre pages de cartes et de plans des moyens de communication de la ville. Quand je voulais me rendre quelque part, je touchais le nom imprimé avec des lettres argentées — de la rue, du niveau, de la place — et immédiatement s’éclairait sur mon plan le trajet à effectuer. Je pouvais prendre un glider. Ou un raste. Enfin — aller à pied ; c’est pourquoi il y avait quatre plans. J’appris vite que des promenades pédestres (malgré les trottoirs roulants et les escaliers mécaniques) prenaient souvent des heures entières.

Serean, c’était, je crois, le troisième niveau. Et de nouveau je fus surpris par la vue de la ville : sorti du tunnel, au lieu des souterrains, je regagnai une rue à ciel ouvert, ensoleillée qui plus est. Au milieu de la place poussaient des pignons géants, au loin bleuissaient des tours-aiguilles rayées, tandis que de l’autre côté, derrière un petit bassin où barbotaient des enfants roulant dans l’eau avec des bicyclettes colorées, s’élevait, entrelardé de bandes de verdure des palmiers, un gratte-ciel blanc coiffé d’un heaume bizarre — brillant comme du verre. Je regrettais de ne pouvoir demander à quelqu’un d’explication à ce sujet, quand je me rappelai — ou plutôt, mon estomac me rappela — que j’étais sorti sans prendre le petit déjeuner. J’avais complètement oublié qu’il avait dû m’être porté dans ma chambre d’hôtel et j’étais parti sans l’attendre. C’était peut-être le robot de la réception qui l’avait oublié.

Alors je me précipitai vers un infor ; je ne faisais plus rien avant de m’être informé précisément sur la façon de m’y prendre. D’ailleurs l’infor pouvait aussi commander un glider, ce que je n’osais encore lui demander, car je ne savais ni comment y entrer, ni que faire ensuite ; j’avais tout le temps d’apprendre.

Au restaurant, il me suffit de jeter un coup d’œil sur le menu pour voir que c’était du chinois. Alors, d’une voix résolue, je demandai à ce qu’on m’apporte un petit déjeuner ordinaire.

— Ozotz, qress ou herma ?

Ç’eût été un homme, j’aurais demandé au garçon de m’apporter ce qu’il voulait, mais c’était un robot. Il n’avait pas de préférences.

— Vous n’avez pas de café ? demandai-je inquiet.

— Si. Qress, ozotz ou herma ?

— Un café et … heu, ce qu’on prend avec le café, je veux dire, heu …

— L’ozotz, décréta-t-il et partit.

« Ça a marché. » Tout devait être prêt, car il revint aussitôt avec un plateau bien rempli, au point que je faillis soupçonner une farce ou une blague. Mais sa vue me fit réaliser que je n’avais rien dans le ventre depuis mon arrivée, sauf la bonce et un verre de ce fameux brytt.

Seul le café ressemblait à quelque chose de connu, encore qu’il eût l’aspect de goudron bouilli. La crème avait de petits points bleus et ne provenait certainement pas d’une vache. Je regrettai de ne pouvoir copier quelqu’un qui eût su comment manger tout ça, mais l’heure du déjeuner devait être révolue depuis longtemps, car j’étais seul au restaurant. Des assiettes en forme de croissants avec une substance fumante d’où dépassaient des bouts d’allumettes. A l’intérieur, une pomme cuite ; évidemment, ce n’étaient ni des allumettes, ni une pomme. Ensuite, ce que j’avais pris pour des flocons d’avoine, une fois touché avec la cuiller, se mit à monter. Je mangeai tout et vis alors combien j’avais eu faim, aussi la nostalgie du pain (dont il n’y avait même pas trace) ne vint que plus tard, sous forme de pensée furtive quand le robot réapparut et attendit, un peu en retrait.

— Combien vous dois-je ? demandai-je.

— Rien du tout, merci, dit-il. Plutôt qu’une poupée, il évoquait un ustensile. Il n’avait qu’un seul œil rond en cristal. Quelque chose remuait à l’intérieur, mais je n’eus pas le culot de regarder là-dedans. Il n’y avait même pas quelqu’un à qui laisser de pourboire. Je ne savais s’il me comprendrait si je demandais un journal. Ça n’existait peut-être plus. Aussi partis-je faire mes courses. En premier lieu je tombai sur une agence de voyages — ce fut comme une révélation. J’entrai.

La grande salle, argentée avec des consoles émeraude, était quasi déserte (je commençais à en avoir assez de ces couleurs). Des vitres opaques, d’immenses posters en couleurs — le canyon du Colorado, le cratère d’Archimède, les ravins de Déïmos, Palm Beach, Floride — tout cela avait non seulement de la profondeur, mais en plus les vagues de l’océan y bougeaient vraiment, comme si ce n’étaient pas des photos mais des fenêtres s’ouvrant sur des espaces. J’avançai vers un guichet marqué TERRE.

Naturellement c’est un robot qui y était assis. Cette fois-ci il était en or. Ou plutôt recouvert de poussière dorée.

— En quoi pouvons-nous vous être utile ? demanda-t-il. Sa voix était très profonde. Les yeux fermés j’aurais juré avoir en face de moi un homme de forte taille, aux cheveux bruns.

— Je voudrais quelque chose de simple, dis-je. Je viens de rentrer d’un long voyage, un très long voyage. Je ne veux pas de confort excessif. Le calme, l’eau, des arbres, des montagnes, peut-être — c’est tout ce que je désire. Que ce soit simple et vieillot. Comme il y a cent ans. Avez-vous quelque chose de ce genre ?

— Nous devons l’avoir si vous le désirez. Les Montagnes Rocheuses, Fort Plumm, Majorque, les Antilles ?

— Plus près, fis-je. Dans un rayon de … mille kilomètres. Alors ?

— Clavestra ?

— Où est-ce ?

J’avais déjà remarqué que je discutais sans difficulté avec les robots. Eux au moins ne s’étonnaient de rien. Ils ne le pouvaient pas. C’était bien conçu, ça.

— Une vieille bourgade minière pas loin du Pacifique. Des mines utilisées depuis presque quatre cents ans. Excursions intéressantes dans les galeries souterraines. Liaisons très commodes par houlders et gliders. Maisons de repos avec surveillance médicale, villas à louer — avec jardin, piscine, stabilisation climatique ; l’antenne locale de notre bureau organise toute sorte de distractions, excursions, jeux, rencontres. Sur place — réal, mutt et stéréon.

— Oui, dis-je, ça m’irait. Une villa avec jardin. Et de l’eau. Une piscine, par exemple, hein ?

— Bien sûr, Monsieur. Une piscine avec un plongeoir, mais aussi des lacs artificiels avec des grottes subaquatiques, un centre de plongée très bien équipé, des représentations sous-marines …

— Laissez tomber les représentations. Combien coûte tout ceci ?