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— C’est bon ? demanda-t-elle.

— Oui.

Ça aussi, c’était peut-être une boisson rituelle. Pour des élus, par exemple, ou, au contraire, pour dompter les personnages particulièrement dangereux. Mais je m’étais promis de ne plus rien demander.

— Tu es mieux lorsque tu es assis.

— Pourquoi ?

— Tu es si grand …

— Je le sais.

— Tu le fais exprès d’être désagréable ?

— Non, ça vient tout naturellement.

Elle se mit à rire doucement.

— Je suis aussi spirituel, fis-je. Un tas de qualités, hein ?

— Tu es différent, dit-elle. Personne ne parle comme toi. Dis-moi, comment ça se passe ? Qu’est-ce que tu ressens ?

— Je ne comprends pas.

— Tu dois faire semblant. Ou alors tu as menti — non, ce n’est pas possible. Tu n’aurais pas pu comme ça …

— Sauter ?

— Je ne pensais pas à ça …

— A quoi alors ?

Ses yeux se rétrécirent.

— Tu ne sais pas ?

— Et alors, fis-je. Ça ne se fait plus ou quoi ?

— Si, mais pas aussi …

— Tiens, tiens, le saurais-je si bien ?

— Non, certainement pas … seulement c’était comme si tu voulais …

Elle s’interrompit.

— Quoi donc ?

— Tu le sais très bien. Je l’ai senti.

— J’ai mal agi … avouai-je.

— Mal agi ! fit-elle avec mépris. Je pensais que … Je ne sais plus ce que je pensais. Personne n’aurait osé le faire, tu sais ?

Je commençai à sourire légèrement.

— C’est donc ça qui t’a tellement plu …

— Mais tu ne comprends rien ! Le monde ne connaît pas de peur et toi, tu es capable d’effrayer.

— Tu en veux encore ? demandai-je. Ses lèvres s’écartèrent, elle me dévisageait de nouveau comme une bête imaginaire.

— J’en veux.

Elle s’avança vers moi. Je pris sa main et la posai sur la mienne, à plat, ses doigts dépassaient à peine ma paume.

— Pourquoi ta main est-elle si dure ? demanda-t-elle.

— C’est à cause des étoiles. Elles sont rugueuses. Et maintenant demande : Pourquoi as-tu de si terribles dents ?

Elle sourit.

— Elles sont tout à fait ordinaires, tes dents.

Ce disant, elle souleva ma main, si attentivement que je me rappelai ma rencontre avec les lions et au lieu de me vexer, je souris, car finalement c’était complètement idiot.

Elle se souleva et, par-dessus mon bras, se versa à boire d’un petit flacon sombre, elle en but.

— Sais-tu ce que c’est ? demanda-t-elle en fermant les yeux et en grimaçant comme si le liquide la brûlait.

— Non.

— Tu ne le diras à personne ?

— Non.

— C’est du perto.

— Hum ! hum ! fis-je à tout hasard.

Elle ouvrit les yeux.

— Je t’avais vu bien avant. Tu marchais avec un horrible vieillard et puis tu es revenu tout seul.

— C’était le fils d’un jeune copain, répondis-je. « Le plus drôle, c’est que c’était presque vrai », pensai-je.

— Sais-tu que tu attires l’attention ?

— Que faire ?

— Pas seulement parce que tu es tellement grand. Tu as une façon différente de te mouvoir — et tu regardes comme si …

— Comme si quoi ?

— Comme si tu te méfiais.

— De qui ?

Elle ne répondit pas. Son visage changea d’expression. En respirant plus à fond elle regarda sa propre main. Les bouts de ses doigts tremblaient.

— Ça va … fit-elle doucement et elle sourit, mais pas à moi. Son sourire devint comme inspiré, ses pupilles s’élargirent en absorbant l’iris, elle se pencha lentement en arrière, jusqu’à ce qu’elle reposât sur le chevet gris ; ses cheveux cuivrés se relâchèrent, elle me regardait dans une sorte d’hébétement triomphant.

— Embrasse-moi.

Je l’enlaçai. C’était affreux, car à la fois je la voulais et je n’en voulais pas, j’avais le sentiment de ne plus être moi-même. Comme si à tout instant elle pouvait se transformer en autre chose. Elle enfonça ses doigts dans mes cheveux, son souifle quand elle se détachait de moi était comme un gémissement. « L’un de nous deux est faux, lâche, pensai-je, mais qui, elle ou moi ? » Je l’embrassais, son visage était douloureusement beau, terriblement étranger ; puis il n’y eut que le plaisir, un plaisir insupportable, mais même alors persista en moi l’observateur froid et taciturne, je ne me laissai pas aller entièrement. Le chevet, docile, comme s’il comprenait nos pensées, devint un lit pour nos têtes, c’était comme la présence d’un tiers, une vigilance humiliante, et nous, comme si nous l’eussions su pendant tout ce temps, n’échangeâmes pas une seule parole.

Je m’endormais déjà la tenant par le cou et j’avais toujours le sentiment d’être épié, d’être espionné par quelqu’un …

Lorsque je me réveillai, elle dormait. C’était une autre chambre. Non, la même. Mais elle avait un peu changé, une partie du mur s’était écartée en laissant apparaître l’aube. Une petite lampe très fine brillait comme oubliée au-dessus de nos têtes. En face, par-dessus la cime des arbres encore presque noirs, le jour se levait. Doucement je me déplaçai jusqu’au bord du lit ; elle murmura quelque chose comme « Allan … » et continua à dormir.

Je traversai les grandes salles désertes. Leurs fenêtres donnaient sur l’est. Une lueur rougeâtre pénétrait à travers elles et remplissait les objets transparents, frémissant d’une flamme couleur de vin rouge. Au bout d’une enfilade de chambres j’aperçus une silhouette qui passait là-bas, c’était un robot gris perle, sans visage, son torse rayonnait faiblement, une petite flamme couleur de rubis brillait en lui comme une veilleuse devant une icône.

— Je veux sortir, dis-je.

— Oui, Monsieur.

Des escaliers argentés, verts, bleus. Je fis mes adieux à tous les visages d’Aen dans le hall haut comme une nef d’église. Le jour battait déjà son plein. Le robot ouvrit une porte devant moi. Je lui demandai d’appeler un glider.

— Oui, Monsieur. Vous ne désirez pas utiliser celui de la maison ?

— Soit. Je veux aller à l’hôtel Alcaron.

— Bien sûr, Monsieur. A votre disposition.

Quelqu’un m’avait déjà parlé ainsi. Mais qui ? Je n’arrivais pas à m’en souvenir.

Nous descendîmes ensemble l’escalier abrupt — pour qu’on se rappelle jusqu’au bout que ce n’était pas une maison mais un palais ; je montai dans l’engin sous les rayons du soleil levant. Quand il eut démarré, je me retournai. Le robot demeurait dans son attitude humble, ressemblant un peu, avec ses pinces-bras croisés, à une mante religieuse.

Les rues étaient presque désertes. Des villas reposaient dans des jardins, comme d’étranges vaisseaux abandonnés, oui, justement, elles reposaient, comme si elles s’étaient accroupies un moment parmi les haies et les arbres en repliant leurs ailes anguleuses et chamarrées. Le centre-ville était plus animé. Des tours-aiguilles aux sommets échauffés par le soleil, des maisons-palmeraies, des maisons géantes sur des pieds de travées largement écartés. La rue les entrecoupait, se prolongeait dans l’espace bleuté ; je ne regardais plus rien. A l’hôtel je pris mon bain et téléphonai à l’agence de voyages. Je commandai un houlder pour midi. Cela m’amusait un peu de me servir si aisément de ces mots, alors que je n’avais pas la moindre idée de leur signification.

Encore quatre heures devant moi. J’appelai l’infor de l’hôtel et demandai des renseignements sur les Bregg. Je n’avais pas de frère ni de sœur, mais le frère de mon père avait laissé deux enfants — un garçon et une fille. Même s’ils n’étaient plus vivants, leurs enfants peut-être …