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— Douze minutes environ, me répondit-on.

Ce n’était donc pas la peine de me mettre à lire. L’intérieur du houlder rappelait celui de la fusée expérimentale Thermo-Fax que j’avais jadis pilotée, mais en plus confortable. Lorsque la portière se referma sur le robot qui m’avait poliment souhaité bon voyage, les murs devinrent d’un seul coup transparents et, comme j’occupais un des quatre premiers sièges (les autres étant vides), j’avais l’impression de voler assis sur une chaise installée dans un grand verre.

C’était bien amusant, encore que ça n’avait rien à voir avec une fusée ou un avion ; plutôt un tapis volant moderne. Le véhicule s’éleva d’abord à la verticale, sans la moindre vibration, émettant seulement un sifflement strident, et s’élança horizontalement. Il se passa exactement le phénomène que j’avais déjà remarqué : l’accélération du mouvement ne fut pas suivie de l’augmentation de l’inertie. L’autre fois, à l’aérogare, j’aurais pu me croire victime d’une illusion mais maintenant j’étais sûr de moi-même. Il est difficile d’expliquer le sentiment qui m’envahit — car s’ils avaient vraiment réussi à rendre l’accélération indépendante de l’inertie, alors toutes les hibernations, tous les essais, les sélections, les corvées et les peines de notre voyage s’avéraient totalement inutiles. Je me sentais un peu comme le conquérant d’un sommet de l’Himalaya qui, après l’effort indescriptible de l’ascension, découvrirait là-haut un hôtel plein de touristes car, durant sa dure escalade solitaire on aurait construit du côté opposé un téléphérique et un parc d’attractions. Le fait que restant sur Terre je n’aurais probablement pas vécu jusqu’à cette découverte ne me consola guère — ce fut plutôt l’idée que peut-être ce système-là ne serait pas adaptable à la navigation cosmique qui adoucit mon amertume.

C’était bien entendu un symptôme de pur égoïsme et je m’en rendais compte mais le choc fut trop fort pour que je pusse manifester l’enthousiasme approprié.

Pendant ce temps le houlder poursuivait son vol, et cela sans le moindre bruit ; je regardai en bas. Nous étions en train de survoler le Terminal qui se déplaçait lentement vers l’arrière comme une forteresse de glace. Sur ses étages supérieurs, invisibles de la ville, noircissaient d’énormes goulots d’entrées pour fusées. Puis nous passâmes relativement près de la tour-aiguille, celle rayée en blanc et noir ; elle dominait le houlder. Vue de la Terre elle n’apparaissait pas si haute. Elle était comme un pont-tuyau unissant la ville au ciel et les « rayonnages » qui en sortaient grouillaient de houlders et d’autres machines plus grandes encore. Les gens qui se trouvaient sur ces terrains d’atterrissage avaient l’aspect de graines de pavot clairsemées sur un plat en argent. Nous survolâmes des colonies de maisons blanches et bleues, des jardins ; les rues devenaient de plus en plus larges, sur leurs chaussées colorées dominaient également le rose pâle et l’ocre. La mer des bâtiments s’étendait jusqu’à l’horizon, séparée rarement par des bandes de verdure et je me demandais anxieusement si cela durerait jusqu’à Clavestra même.

Mais l’engin accéléra, les maisons se dispersèrent, cédèrent la place aux jardins ; apparurent alors d’immenses virages et les lignes droites des routes ; elles s’étalaient sur plusieurs niveaux, se rencontraient, se croisaient, s’enfonçaient sous terre, convergeaient en étoiles et leurs rayons jaillissaient sur la surface plate et grise sous le soleil, grouillante de gliders. Ensuite, parmi les carrés des arbres émergèrent d’énormes bâtisses aux toits en forme de miroirs concaves ; des lueurs rougeâtres couvaient dans leurs centres. Plus loin encore les routes divergeaient et de la verdure leur succédait, émaillée de temps en temps de rectangles de végétations différentes — rouges, bleues — ce ne pouvaient être des fleurs, leurs couleurs étaient trop intenses.

« Le Docteur Juffon serait content de moi », pensai-je. « A peine trois jours et voilà. Et quel début ! Pas n’importe qui. Une grande actrice, une célébrité. Elle avait juste eu un peu peur et d’ailleurs cette peur même lui a aussi donné du plaisir. Pourvu que ça dure … Mais pourquoi parler d’intimité ? Qu’est-ce que leur intimité ? Comme c’était héroïque de sauter dans cette cascade. Un gorille généreux. Et puis la beauté adulée par les foules l’a récompensé largement ; que ce fut sublime de sa part ! » Mon visage entier me brûlait. « Espèce d’imbécile, me répétai-je doucement, que cherches-tu au fait ? Une femme ? Tu en as eu une. Tu as déjà eu tout ce qu’on peut posséder ici, y compris une proposition de jouer au réal. Maintenant tu auras une maison, tu te promèneras dans le jardin, tu liras des livres, regarderas les étoiles et tu te diras doucement et en toute modestie : j’y suis allé. Et j’en suis revenu. Et les lois de la physique ont elles-mêmes travaillé pour toi, veinard ; tu as encore une moitié de vie devant toi. Et rappelle-toi à quoi ressemble Roemer, de vingt ans ton puîné … » Le houlder commença à descendre. Revint le sifflement, la contrée traversée d’innombrables routes blanches et bleues dont la surface luisait comme vernie et grandissait à vue d’œil. De grands étangs et de petites piscines carrées renvoyaient des reflets ensoleillés. Les maisons, parsemées sur de douces collines, devenaient de plus en plus grandes et de plus en plus vraies. A l’horizon s’étendait une chaîne de montagnes aux sommets enneigés que l’air rendait bleuâtres. Je vis encore des sentiers couverts de gravier, des parterres de fleurs et des plates-formes de verdure froide, de l’eau dans des encadrements de béton ; des sentiers, des arbustes, un toit blanc, tout cela se retourna lentement, m’entoura et s’immobilisa, prenant, en quelque sorte, possession de ma personne.

4

La porte s’ouvrit. Un robot orange et blanc attendait sur la pelouse. Je descendis.

— Soyez le bienvenu à Clavestra ! dit-il et son petit ventre blanc retentit soudainement de sons musicaux, tel un cliquetis de verre ; on aurait cru entendre une boîte à musique.

Riant encore, je l’aidai à sortir mes affaires. Ensuite la porte arrière du houlder qui reposait dans l’herbe comme un petit zeppelin d’argent s’ouvrit et deux robots orange en sortirent ma voiture. La lourde carrosserie bleue brilla au soleil. Je l’avais complètement oubliée. Et puis tous les robots chargés de mes valises, boîtes et paquets partirent vers la maison en file indienne.

C’était un grand cube avec des murs-fenêtres. On y accédait par un solarium panoramique, ensuite il y avait le hall, la salle à manger et l’escalier — en bois ; le robot-boîte-à-musique ne manqua pas d’attirer mon attentioon sur cette particularité.

A l’étage il y avait cinq chambres. J’en choisis une, pas très bien située, donnant vers l’est car les autres, surtout celle avec vue sur les montagnes, étaient trop chargées d’or et d’argent, tandis que celle-ci n’avait que des traces de verdure, comme de petites feuilles froissées sur fond crème.

Les robots travaillaient adroitement et en silence, ils finirent de ranger tous mes biens dans des placards muraux, et moi, je me mis devant la fenêtre. « Un port, pensai-je. Un havre. » Je ne pouvais apercevoir qu’en me penchant la brume bleuâtre des montagnes. En bas s’étendait un jardin floral avec une quinzaine de vieux arbres fruitiers au fond. Leurs branches étaient noueuses et éreintées, ils ne donnaient probablement plus de fruits.

Un peu à côté, vers la route (je l’avais vue auparavant du houlder, elle était masquée par les haies), s’élevait la tourelle du plongeoir. Là-bas se trouvait la piscine. Lorsque je me retournai les robots étaient partis. Je déplaçai le bureau, léger comme un soufflé, vers la fenêtre. J’y déposai les paquets de revues scientifiques, des pochettes avec les livres cristallins et l’appareil de lecture ; j’y plaçai à côté mes dossiers encore vierges et le stylo. C’était mon ancien stylo — avec l’accroissement de la gravitation il s’était mis à couler et tachait tout, mais Olaf me l’avait très bien réparé. J’ouvris les dossiers pour les notes, écrivis dessus : « Histoire », « Mathématiques », « Physique ». Je fis cela très rapidement car j’avais hâte d’aller me baigner. Je n’étais pas sûr de pouvoir sortir seulement en maillot et j’avais oublié mon peignoir de bain. J’allai donc à la salle de bains dans le couloir et me fabriquai un monstre qui ne ressemblait à rien, en manipulant maladroitement une bouteille de mousse liquide. Je l’arrachai et me remis à l’œuvre. Le deuxième peignoir était un peu mieux réussi mais c’était toujours de la robinsonnade ; j’égalisai au couteau les manches et les bords, ce qui le rendit à peu près présentable.