Выбрать главу

Subitement je me rappelai l’incident sur l’appareil qui m’avait amené de Luna.

— Ils ne pouvaient plus le supporter ? … Je répétai ses paroles. C’était peut-être une sorte de … phobie ?

— Je ne suis pas psychologue, mais on pourrait l’appeler comme ça. D’ailleurs c’est déjà de l’histoire ancienne.

— Et il n’y a plus de tels robots ?

— Si, on en trouve sur des moyens-courriers. En avez-vous rencontré un ?

Je ne répondis pas à sa question.

— Aurez-vous encore le temps de faire vos courses ?

— Quelles courses ? …

Je me rappelai lui avoir parlé de choses à faire en ville. Nous nous séparâmes à la sortie de la sélectostation, il m’avait raccompagné, se confondant en remerciements pour l’avoir sorti de cette affaire.

Je flânai un peu dans les rues, entrai dans un réalon, en sortis avant la fin d’un spectacle débile et revins à Clavestra, j’étais d’une humeur massacrante. Je renvoyai le glider un bon kilomètre avant la ville et accomplis le reste du chemin à pied. « Tout va bien, me disais-je, ce ne sont que des mécanismes de métal, de fil et de verre, on peut les assembler et les démonter. » Mais je ne pouvais pas chasser le souvenir de ce hangar obscur résonnant de voix balbutiantes, de ce murmure désespéré trop signifiant, trop plein de ce sentiment quasi humain qu’est la peur. J’avais beau jeu de me répéter que je n’étais pas un spécialiste, ce sentiment-là, je ne l’ai connu que trop bien, l’effroi de la subite désintégration n’était point pour moi une fiction, comme pour eux, pour ces constructeurs nantis qui avaient si bien organisé le cycle : des robots s’occupaient des automates, du début jusqu’à la fin, sans que les hommes y interviennent. C’était un cercle fermé d’appareils de précision qui se créaient eux-mêmes, se reproduisaient et se détruisaient ; moi, je n’avais été que le témoin inutile d’une agonie mécanique.

Je m’arrêtai sur un monticule. Le paysage, dans la lumière rasante du soleil, était d’une beauté indicible. De temps en temps, comme un obus, noir et luisant, un glider survolait le ruban de la chaussée visant l’horizon au-dessus duquel s’élevaient les silhouettes bleutées, arrondies par la distance, des montagnes. Et brusquement je sentis que je ne pouvais les contempler ainsi ; je n’en avais pas le droit, comme s’il y avait un mensonge, un mensonge terrible me serrant à la gorge. Je m’assis entre les arbres, collai les mains contre mon visage — je regrettais d’être revenu.

Quand je rentrai à la maison un robot blanc s’approcha de moi. — On vous demande au téléphone, dit-il d’une voix qui me sembla confidentielle. Un appel longue distance : l’Eu-rasie.

Je le suivis rapidement. Le téléphone se trouvait dans le hall. Pendant que je parlais, je regardais le jardin à travers la porte vitrée.

— Hal ? entendis-je. Une voix lointaine mais distincte. Olaf à l’appareil.

— Olaf … Olaf ! ! ! répétai-je triomphant. Où est-ce que tu te trouves, mec ?

— A Narvik.

— Qu’est-ce que tu fais ? Comment vas-tu ? As-tu reçu ma lettre ?

— C’est évident. C’est comme ça que j’ai su où te trouver.

Un instant de silence.

— Qu’est-ce que tu fais ? répétai-je avec moins d’assurance.

— Rien. Qu’est-ce que je pourrais faire ? Et toi ?

— Tu es allé à l’Adapte ?

— Oui. Une seule journée. Après je me suis sauvé. Je ne pouvais pas, tu comprends …

— Oui, je sais. Ecoute, Olaf … j’ai loué une villa ici. Je ne sais pas moi-même, mais … Ecoute ! Amène-toi !

Il ne me répondit pas tout de suite. Il y avait de l’indécision dans sa voix.

— Je viendrai. Oui, je viendrai peut-être, Hal, mais tu te rappelles ce qu’ils nous disaient.

— Je me le rappelle. Mais ils ne peuvent rien contre nous. D’ailleurs, qu’ils aillent se faire voir. Amène-toi.

— Pourquoi faire ? Réfléchis, Hal. Ce sera peut-être …

— Quoi ?

—  … pire.

— Comment sais-tu que ça va mal ?

J’entendis son rire très bas, presque un soupir, il riait toujours en silence.

— Et pourquoi voudrais-tu que je vienne là-bas ?

Subitement une idée lumineuse me vint à l’esprit.

— Olaf ? Ecoute. C’est une sorte de villégiature ici, tu sais ? Villa, piscine, jardin. Seulement … Tu sais comment c’est, tu sais comment ils vivent maintenant, hein ?

— J’en sais quelque chose.

Le ton de sa voix m’en disait plus que ses paroles.

— Tu vois, alors écoute-moi bien. Amène-toi ici, mais avant — trouve des … gants de boxe. Deux paires. Nous allons lutter. Tu vas voir, ça va être extra !

— Hal ! Mec ! Où veux-tu que je les prenne, tes gants ? On n’en fabrique plus depuis des siècles.

— Alors, fais-en faire. Tu ne vas pas me dire qu’il est impossible de trouver quatre gants … Un petit ring — et on se cogne ! Nous deux, nous le pouvons. Olaf, tu as déjà entendu parler de cette bettrisation, j’espère ?

— Sûr. Je te dirai ce que j’en pense, mais pas au téléphone, ça pourrait choquer un robot.

— Ecoute. Arrive. Tu feras comme je te l’ai demandé ?

U se tut pendant un long moment.

— Je ne sais pas si ça a un sens, Hal.

— Bon, alors raconte-moi quels sont tes projets. Au cas où tu en aurais, je ne vais évidemment pas t’embêter avec mes caprices.

— Je n’en ai pas du tout, et toi ?

— Je suis venu ici soi-disant pour me reposer, pour apprendre, pour lire, mais ce ne sont pas des projets, c’est seulement … que je n’avais rien d’autre à faire.

• ♦ ♦

— Olaf ?

— Je crois que nous sommes partis du même pied, marmonna-t-il. Enfin, Hal, ce n’est rien. Je pourrai repartir à chaque moment, si jamais il s’avérait que ? …

— Arrête ! m’exclamai-je impatiemment. U n’y a pas de quoi fouetter un chat. Emballe tes affaires et viens ici. Tu arrives quand ?

— Je peux être là demain matin. Tu veux vraiment te battre ?

— Pas toi ? …

— Si, si, bien sûr mec, rigola-t-il. Et certainement pour les mêmes raisons que toi.

— Alors, c’est dans le sac, dis-je précipitamment. Je t’attends, salut.

Je remontai dans ma chambre. Je retrouvai dans une valise un rouleau de grosse corde. « Voilà le cordage du ring.

Maintenant encore quatre poteaux, du caoutchouc ou des ressorts, et nous l’aurons, notre ring. Sans arbitre. Nous n’en aurons pas besoin. » Puis je me mis à mes livres. Mais c’était comme si j’avais du béton dans le crâne. Ça m’était déjà arrivé. Je m’accrochais alors au livre comme un termite qui attaquerait de l’acier. Mais ça ne m’avait jamais paru aussi dur. En deux heures je feuilletai une vingtaine de bouquins sans pouvoir fixer mon attention sur aucun d’eux. Même pas sur les contes. Je décidai de ne pas me laisser aller. Je pris ce qui me semblait le plus difficile, la monographie de l’analyse métagénique et j’attaquais les premières équations comme si j’avais voulu casser un mur avec ma tête.

Les mathématiques avaient quand même quelque faculté salutaire, surtout pour moi, car au bout d’une heure je compris soudainement, la bouche béante de surprise, et une admiration sans bornes éclata en moi pour Ferret : comment avait-il bien pu s’y prendre ? Moi, qui avais suivi sa voie pas à pas, je ne m’y retrouvais pas encore, par moments je ne suivais pas sa pensée, tandis que lui, il avait dû faire ça d’un seul bond.