Les phares étaient aveugles, le moteur ay4it çalé.> » ;.
l’aspirai profondément l’air. Je n’avais rien, je ne m’étais même pas cogné. J'essayai de rallumer les phares — rien. Les veilleuses — celle de gauche marchait. Dans sa clarté faiblarde je remis en route la machine. Râlant et haletant la voiture remonta lentement sur la chaussée. C’était quand même une bonne machine pour m’obéir encore après tout ce que je lui avais fait faire. Je pris le chemin de retour, plus lentement cette fois-ci. Mais mon pied pesa sur la pédale, de nouveau j’eus le diable au corps quand je vis un virage. Et de nouveau je demandai toute sa puissance au moteur, jusqu’au moment où je m’arrêtai les pneus fumants, projeté par la force de l’inertie contre le volant. Je stoppai juste devant la haie. Je garai la voiture entre les broussailles. Ecartant les arbrisseaux elle buta contre un tronc plus important. Comme je ne voulais pas qu’ils sachent ce que j’en avais fait, j’arrachai plusieurs branches et en recouvris le capot ainsi que les phares éclatés. Seul l’avant de la voiture était abîmé, à l’arrière il n’y avait qu’une petite éraflure provenant sans doute de la première rencontre avec le poteau dans l’obscurité.
Je tendis attentivement l’oreille quelques instants. La maison était sombre. Tout était silencieux. Le grand silence de la nuit s’élevait jusqu’aux étoiles. Je ne voulus pas rentrer dans la maison. Je m’éloignai de la voiture accidentée et quand l’herbe, l’herbe haute et humide atteignit mes genoux, je m’affalai dessus et demeurai ainsi jusqu’à ce que mes yeux se fermassent. Je m’endormis.
Un rire m’éveilla. Je connaissais ce rire. Je savais qui était là avant même d’ouvrir les yeux, déjà bien éveillé. J’étais trempé jusqu’aux os, dégoulinant de rosée — le soleil venait de se lever. Un ciel floconneux de nuages. En face de moi, sur une petite valise, Olaf était assis et riait. Nous sautâmes en même temps sur nos pieds. Sa main était comme la mienne — aussi grande et rugueuse.
— Quand es-tu arrivé ?
— A l’instant même.
— Par houlder ?
— Oui. Moi aussi j’ai dormi comme ça … les deux premières nuits, tu sais ? …
— Oui ?
Il cessa de sourire. Moi aussi. Comme si quelque chose s’était dressé entre nous. Nous nous scrutâmes en silence.
U était de ma taille, plus grand d’une largeur de doigt, mais plus mince. Ses cheveux sombres trahissaient à la lumière rasante ses origines Scandinaves, tandis que sa barbe était tout à fait claire. Un nez tordu, plein d’expression, et la lèvre supérieure trop courte laissant entrevoir les dents ; ses yeux riaient facilement ; d’un bleu clair ils viraient alors au bleu marine ; ses lèvres étaient fines, toujours tordues par une grimace un peu sceptique — cette grimace avait dû provoquer notre éloignement initial. Il était mon aîné de deux ans ; son meilleur ami avait été Arder. Ce n’était qu’après sa mort que nous nous étions rapprochés pour de bon. Et jusqu’à la fin.
— Olaf …, dis-je, tu dois avoir faim, n’est-ce pas ? Viens, allons casser une croûte.
— Attends, fit-il. C’est quoi, ça ?
Je suivis son regard.
— Ça ? Rien, une auto … Je l’ai achetée, tu sais, pour me rappeler …
— Tu as eu un accident ?
— Ce n’était rien, tu comprends, la nuit …
— Toi, tu as eu un accident ? insista-t-il.
— Mais oui, ça n’a pas d’importance. Je n’ai rien eu. D’ailleurs … Allez, viens … tu ne vas pas rester là, avec cette valise …
U la souleva. Ne dit plus rien. Il ne me regardait plus. Les muscles de ses mâchoires se crispèrent à plusieurs reprises.
« U a senti quelque chose, pensai-je. U ne sait pas quelle a été la vraie cause de l’accident, mais il le devine. »
Là-haut, je lui proposai de choisir une de quatre chambres libres, il prit celle avec vue sur les montagnes.
— Pourquoi n’en as-tu pas voulu ? Ah ! oui, je sais, sourit-il, c’est cet or, hein ?
— Oui.
U toucha le mur de sa paume.
— J’espère qu’il est normal. Pas de tableaux, d’écrans ?
— N’aie crainte, je souris à mon tour, c’est un mur tout ce qu’il y a de plus honnête.
J’appelai pour qu’on nous apportât le petit déjeuner. Je voulais le manger avec Olaf, seul à seul. Le robot blanc nous apporta le café et aussi un plateau chargé, c’était un petit déjeuner très copieux. Nous mangeâmes en silence. Je le regardais mâcher avec plaisir ; une mèche de ses cheveux au-dessus de l’oreille bougeait drôlement. Puis Olaf dit :
— Tu fumes toujours ?
— Oui, je fume. J’ai rapporté avec moi deux cents cigarettes. Je ne sais pas ce que je vais faire après. Pour l’instant je fume. Tu veux ?
— Donne.
Nous allumâmes. Un ange passa.
— Et alors ? On joue cartes sur table ? demanda-t-il enfin.
— Oui. Je vais tout te dire. Toi aussi, tu me diras tout ?
— Toujours. Mais, Hal … je ne sais pas si ça en vaut la peine.
— Commence par me dire ce qui est le pire pour toi.
— Les femmes.
— Oui …
Re-silence.
— C’est pour ça ? demanda-t-il.
— Oui. Tu la verras au déjeuner. En bas. Us louent la moitié de la villa.
— Us ?
— Un jeune couple.
Les muscles de ses mâchoires jouèrent de nouveau sous sa peau parsemée de taches de rousseur.
— Alors, ça ne se présente pas bien, fit-il.
— Non. Je ne suis là que depuis deux jours. Je ne sais comment ça s’est fait, mais … déjà quand nous parlions au téléphone … Tu sais, sans aucune … sans raison … rien, rien. Rien du tout …
— Intéressant, fit-il laconique.
— Qu’est-ce qui est intéressant ?
— C’était la même chose pour moi.
— Alors pourquoi es-tu venu ?
— Tu as fait une B.A., Hal, comprends-tu ?
— Envers toi ?
— Non, envers un autre. Car ça ne pouvait pas se terminer bien.
— Pourquoi ?
— Ou tu le sais, ou tu ne comprends rien.
— Je le sais. Qu’est-ce que c’est, Olaf ? Sommes-nous vraiment sauvages ?
— Je ne sais pas. Nous sommes quand même restés dix ans sans femmes, ne l’oublie pas.