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— Ça n’explique pas tout. Tu sais, il y a en moi une sorte d’intransigeance, je ne respecte plus personne, comprends-tu ?

— Tu les respectes encore, fils, dit-il, oh ! que si ! tu les respectes …

— Oui, mais tu vois de quoi je parle.

— Oh ! oui.

Un nouveau silence.

— Tu veux encore bavarder, ou on boxe ?

J’éclatai de rire.

— Où as-tu trouvé des gants de boxe ?

— Hal, tu ne le devineras pas.

— Dis toujours, tu les a fait faire ?

— Tu parles. Je les ai volés.

— Pas vrai !

— Je te le jure. Dans un musée … j’ai dû aller exprès à Stockholm, tu sais ?

— Alors, on y va.

U déballa le peu de biens qu’il avait et se changea. Nous jetâmes sur nos épaules des peignoirs de bain et descendîmes. Il était encore tôt. Normalement le petit déjeuner allait être servi dans une demi-heure.

— Allons plutôt derrière la maison, dis-je. Là-bas personne ne nous verra.

Nous nous arrêtâmes dans un cercle formé par de hauts arbustes. Nous tassâmes l’herbe, déjà très basse.

— Ça va glisser, dit-il en tâtant de la semelle le sol de ce ring improvisé.

— C’est pas grave. Ce sera plus dur.

Nous enfilâmes nos gants. C’était assez difficile car nous n’avions personne pour nous les nouer et je ne voulus pas appeler un robot.

Il se mit en face de moi. Son corps était tout blanc.

— Tu n’as pas bronzé des masses, fis-je.

— Je te raconterai plus tard ce qui s’est passé avec moi. Je n’avais pas le cœur à aller à la plage. Gong !

— Gong !

Nous commençâmes doucement. Un coup feint. Esquive. Esquive. Je me chauffai. Je cherchais le contact, non pas les coups. Je ne voulais pas l’assommer. J’avais une bonne quinzaine de kilos de plus que lui et ses mains, légèrement plus longues que les miennes, n’égalisaient pas nos chances. De plus j’étais meilleur boxeur que lui, je le dominais. Alors je le laissai placer quelques coups, encore que j’aurais pu les éviter. Subitement il baissa les bras. Ses mâchoires étaient contractées. Il était furieux.

— Pas comme ça, fit-il.

— De quoi parles-tu ?

— Charrie pas, Hal. Ou c’est la vraie boxe, ou on ne se bat pas !

— O.K., fis-je en souriant de toutes mes dents, boxe !

Je m’approchai de lui. Les gants claquaient contre les gants avec des bruits secs. Il sentit que c’était sérieux et monta sa garde. Le rythme s’accéléra. Je feintais : gauche, droite, gauche, par séries — le dernier coup atterrissait presque toujours sur son torse ; il ne suivait pas. U attaqua brusquement, réussit une belle droite, je fus projeté en arrière. Je revins tout de suite. Nous tournions sur nous-mêmes, il cogna, j’esquivai par en bas, reculai et plaçai une droite à mi-distance. Je mis toute ma force dans ce coup. Il mollit, relâcha sa garde l’espace d’une seconde, mais déjà il revenait, attentif, tout ramassé. La minute suivante nous nous contentâmes de démolir nos gardes. Les gants frappaient les avant-bras avec des bruits terribles, mais sans faire mal. Une fois j’eus à peine le temps d’esquiver, son gant frôla mon oreille, c’était vraiment une torpille qui m’aurait envoyé par terre. Nous tournâmes encore. U reçut un coup mat sur la poitrine, se découvrit, j’aurais pu le frapper, mais je ne fis pas un geste, j’étais comme paralysé — elle était à la fenêtre du rez-de-chaussée, son visage était aussi blanc que le linge qui recouvrait ses épaules. Cela ne dura qu’une fraction de seconde. Immédiatement après un coup puissant m’assomma ; je tombai à genoux.

— Pardon ! entendis-je crier Olaf.

— Il n’y a pas de quoi … c’était régulier … balbutiai-je en me relevant.

La fenêtre était déjà refermée. Nous luttâmes encore une demi-minute, puis Olaf arrêta, recula.

— Qu’as-tu ?

— Rien.

— Menteur.

— Bon, d’accord. Je n’en ai plus envie. Tu n’es pas fâché ?

— Pas du tout. D’ailleurs ça n’avait pas de sens de se battre tout de suite … allons-nous-en.

Nous allâmes à la piscine. Olaf plongeait mieux que moi. U savait faire des acrobaties fantastiques. J’essayai un saut périlleux arrière en vrille, comme lui ; je réussis seulement à m’enflammer les cuisses qui entrèrent très brutalement en contact avec l’eau. Puis j’arrosai d’eau ma peau brûlante, assis au bord de la piscine. Olaf riait.

— Tu as perdu l’habitude.

— Mais non. Je n’ai jamais su bien faire la vrille. Toi, tu la fais si bien !

— Ça ne se perd pas, tu sais. Aujourd’hui c’était la première fois.

— Vraiment ?

— Oui. On est bien ici.

Le soleil était déjà haut. Nous nous couchâmes sur le sable, les yeux fermés.

— Où sont-/is ? demanda-t-il au bout d’un long silence.

— Je ne sais pas. Chez eux probablement. Leurs fenêtres donnent sur l’arrière de la maison. Je ne le savais pas …

Je le sentis remuer. Le sable était très chaud.

— Oui, c’est pour ça, fis-je.

— Us nous ont vus ?

— Elle.

— Elle a eu peur, hein ?

Je ne répondis pas. Nous demeurâmes silencieux encore un long moment.

— Hal !

— Quoi ?

— Ils ne volent presque plus, tu sais ?

— Oui.

— Et sais-tu pourquoi ?

— Us prétendent que ça n’a pas de sens.

Je me mis à lui résumer ce que j’avais lu chez Starck. U resta allongé immobile, sans un mot, mais je savais qu’il écoutait attentivement.

Quand j’eus terminé il ne se mit pas immédiatement à parler.

— As-tu lu Shapley ?

— Quel Shapley ? Non.

— Non ? Je croyais que tu avais tout lu … Un astronome du XXe siècle. Une fois, par hasard, j’ai lu un de ses bouquins, justement sur ce sujet. Ça ressemblait pas mal à ton Starck.

— Qu’est-ce que tu racontes ? C’est impossible. Ce Shapley ne pouvait pas savoir … le mieux serait que tu lises toi-même Starck.

— Loin de moi l’idée de le lire. Sais-tu ce que c’est ? Un masque.

— Comment ça — un masque ?

— Oui. Je crois savoir ce qui s’est passé.

— Alors ?

— La bettrisation.

Je sursautai.

— Tu crois que …

U ouvrit les yeux.

— C’est évident. Ils ne volent pas — et ils ne voleront plus jamais. Ce sera de pis en pis. Un mla-mla. Un grand, un immense mla-mla. Us ne peuvent pas voir le sang. Ne peuvent pas envisager ce qui se passerait si …

— Attends, fis-je, c’est impossible. U y a quand même des médecins. U doit y avoir des chirurgiens …

— Alors tu ne sais pas ?

— Quoi ?

— Les médecins projettent seulement les opérations. Ce sont des robots qui opèrent.

— Pas possible !

— Si, si, je l’ai vu moi-même. A Stockholm.

— Et si le médecin doit intervenir lui-même ?

— Je ne sais pas exactement. U me semble qu’ils ont un produit qui supprime partiellement les effets de la bettrisation, pour très peu de temps, et on le surveille alors … Tu ne t’imagines même pas. Le type qui m’a raconté ça ne voulait rien dire de précis, il crevait de trouille …

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, Hal. Je pense qu’ils ont fait une chose horrible. Ils ont anéanti l’être humain en eux.

— Non, tu ne peux pas dire ça, protestai-je faiblement. Enfin …

— Attends. C’est tout simple, quand même. Celui qui tue s’attend à être tué, lui aussi, n’est-ce pas ?

• • »

— Et c’est pour cela qu’il est en quelque sorte indispensable de pouvoir risquer — risquer tout. Nous le pouvons. Eux, ils ne le peuvent pas. C’est pourquoi ils ont tellement peur de nous.