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— Quelqu’un doit encore revenir ?

— Oui. Le groupe de Simonadi, dans dix-huit ans.

— On a tout notre temps.

— On en a plein …

— Avoue quand même qu’ils sont gentils, dis-je. Tu lui as cassé une clavicule et ils t’ont laissé partir, comme ça …

— J’ai l’impression que c’est à cause de ce cirque, dit-il. Tu comprends, tu sais comment ils se sentent en face de nous … Ils ne sont tout de même pas idiots. D’ailleurs il y aurait eu un scandale … Hal, mec, tu ne te rends compte de rien …

— Hein ?

— Sais-tu pourquoi ils n’ont rien dit de notre retour ?

— Il y avait, paraît-il, quelque chose au réal. Je ne l’ai pas vu, mais on me l’a dit.

— Oui, « quelque chose ». Tu te serais écroulé de rire si tu l’avais vu. « Une équipe de chercheurs interstellaires est revenue hier matin sur Terre. L’état de santé des participants est bon. On procède à l’élaboration des résultats scientifiques de l’expédition. » Point final, à la ligne.

— C’est vrai, ça ?

— Je te le jure. Et sais-tu pourquoi ils ont fait ça ? Parce qu’ils ont peur de nous. C’est pour cela qu’ils nous ont dispersés sur toute la surface de la planète.

— Non. Là je ne te suis plus. Tu as dit toi-même qu’ils n’étaient pas idiots. Us ne pensent tout de même pas que nous puissions nous comporter comme des bêtes, nous jeter à la gorge d’honnêtes gens !

— S’ils l’avaient craint, ils ne nous auraient pas laissés sortir. Non, Hal, il ne s’agit pas de nous, mais d’autre chose, de beaucoup plus … Comment peux-tu ne pas comprendre ?

— Apparemment je suis devenu plus bête avec l’âge. Dis touours.

— La plupart des gens ne s’en rendent pas compte …

— Mais de quoi ?

— Du fait que le goût de l’exploration se perd. Ils savent qu’il n’y a plus d’expéditions. Mais ils n’y pensent pas. Ils croient que s’il n’y a plus d’expéditions, c’est parce qu’on n’en a pas besoin, et c’est tout. Mais il y a des gens qui savent très bien ce qui se passe, quelles en seront les conséquences. Quelles en sont déjà les conséquences.

— Oui ?

— Mla-mla. Mla-mla pour les siècles des siècles. Personne n'ira plus aux étoiles. Plus personne ne risquera d’expérience dangereuse. Personne n’essaiera sur soi-même de médicament nouveau. Us ne le savent peut-être pas ? Si, ils le savent ! Et si on annonçait qui nous sommes, ce que nous avons fait, ce pour quoi nous sommes partis, ce que c’était — alors jamais, tu m’entends, jamais ils ne pourraient dissimuler cette tragédie !

— Mla-mla ? demandai-je en utilisant son raccourci, cela aurait pu paraître drôle à quelqu’un qui aurait écouté notre conversation, mais moi, je n’avais pas le cœur à rire.

— Clair. Parce qu’à ton avis, ce n’est pas une tragédie ?

— Je ne sais pas. Ol, écoute. Enfin pour nous c’en est une, mais ce que nous avons fait, ça restera, ça doit rester une expérience fantastique. Puisque nous étions d’accord pour perdre toutes ces années — et tout ce qui s’ensuit — nous croyions que c’était ça le plus important. Mais si nous avions tort ? U faut être objectif, dis-moi : qu’avons-nous fait ?

— Comment ça ?

— Oui, déballe ton sac, montre-moi ce que tu as apporté de Fomalhaut.

— Tu divagues ?

— Non, non, je ne divague pas. Quels sont les profits de notre expédition ?

— Nous n’étions que des pilotes, Hal. Demande ça à Gimma, à Thurber …

— Arrête de louvoyer, Ol. Nous y étions tous et tu sais très bien ce qu’ils y faisaient, ce que faisait Venturi avant de mourir, ce que faisait Thurber … Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Qu’avons-nous apporté ? Quatre piles d’analyses diverses : spectrales, radiales et je ne sais quoi encore en — iales ; des échantillons de minerais, puis encore ce méta-plasma quasi vivant, je ne sais plus comment ils ont appelé cette saloperie d’Arcturus Béta. Normers a pu vérifier sa théorie des turbulences gravimagnétiques, et nous avons encore appris que sur les planètes de type C-Méoli peuvent apparaître non seulement des tripoloïdes, mais des tétrapoloï-des siliconiques. Et que sur ce planétoïde où Arder a failli rendre l’âme il n’y avait rien qu’une saleté de lave qui formait des bulles grandes comme des gratte-ciel. Et c’est uniquement pour nous convaincre de visu que cette satanée lave se figeait en ces saloperies de bulles géantes que nous avons sué sang et eau pendant dix ans, que nous sommes revenus là pour faire figure de ridicules monstres de foire ! Alors que diable sommes-nous allés fiche là-bas ? Tu peux me le dire ? A quoi cela nous a-t-il servi ?

— Doucement, fit-il.

J’étais furieux. Et lui était encore plus furieux. Ses yeux n’étaient plus que des fentes. Je crus que nous allions nous battre et mes lèvres se mirent à trembler. Soudain, lui aussi, il sourit.

— Tu n’es qu’une vieille branche de poirier, dit-il. Tu sais me faire enrager, hein ?

— Au fait, Olaf, au fait !

— Quels faits ? De quels faits veux-tu parler ? Et si nous avions amené un éléphant à huit pattes et parlant l’algèbre, alors, tu serais content ? Qu’espérais-tu trouver sur Arcturus ?

Le paradis ? Un arc de triomphe ? Mais que veux-tu dire par là ? Pendant dix ans tu n’as pas proféré autant de sottises que maintenant en dix minutes.

J’inspirai profondément l’air.

— Olaf, tu essaies de me faire tourner en bourrique. Tu sais très bien de quoi je pariais. Je voulais dire que les gens pouvaient très bien vivre sans ça …

— Je pense bien ! Et comment !

— Attends. Us peuvent vivre et même, même s’ils ont cessé de voler, comme tu viens de le dire, à cause de cette bettrisation, est-ce que cela valait la peine, n’avons-nous pas payé un prix trop élevé ? Ça, c’est un problème à résoudre, mon cher.

— Oui ? Bon, disons que tu vas te marier. Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Tu ne peux pas te marier ? Si, tu le peux. Moi je te dis que tu le peux. Et tu auras des enfants. Alors, tu les porteras à la bettrisation le sourire aux lèvres ? Hein ?

— Pas avec le sourire, non. Mais que pourrais-je faire ? Je ne peux pas lutter contre tout le monde …

— Alors, que le ciel noir et bleu te garde ! dit-il. Et maintenant, si tu veux, nous pouvons aller en ville …

— D’accord, fis-je, le déjeuner sera servi dans deux heures et demie, nous avons tout le temps.

— Et si nous ne revenions pas à temps ? N’aurions-nous rien à manger ? …

— Si, si, seulement …

Je rougis sous son regard. Comme s’il ne le voyait pas, il secoua ses pieds pour en enlever le sable.

Nous montâmes ensemble et, une fois habillés, nous partîmes en auto pour Clavestra. II y avait pas mal de circulation sur la route. Je vis pour la première fois des gliders de couleur — roses et jaune citron. Nous trouvâmes un atelier de mécanique. J’eus l’impression de voir de la surprise dans les yeux de verre du robot qui examinait le capot fracassé. Nous laissâmes la voiture et revînmes à pied. II y avait deux Clavestra, la vieille et la nouvelle ; la veille j’avais été avec Marger dans la vieille où se trouvait la zone industrielle. La nouvelle ville, une villégiature à la mode, foisonnait de jeunes gens, presque exclusivement des très jeunes gens, des adolescents. Les garçons, avec leurs tenues brillantes et criardes, rappelaient des soldats romains, car les tissus étincelaient au soleil comme de courtes robes-armures. Beaucoup de filles, généralement jolies, souvent dans des robes de plage plus osées que tout ce que j’avais eu l’occasion de voir jusqu’à présent. En marchant à côté d’Olaf j’avais le sentiment d’attirer les regards de toute la rue. Les groupes colorés s’arrêtaient sous les palmiers à notre vue. Nous dominions tout le monde, les gens s’arrêtaient, se retournaient, j’étais gêné.