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Elle ne disait rien. Je repris mon souffle.

— Eri, fis-je, écoute … non, assieds-toi d’abord.

Elle ne bougea pas.

— Je t’en prie, assieds-toi.

Rien.

— Il n’y a aucun mal à ça, assieds-toi.

Tout d’un coup je compris. Mes mâchoires se crispèrent.

— Si tu ne veux pas, pourquoi m’as-tu laissé entrer ?

Rien.

Je me levai. Je la pris par les épaules. Elle ne se défendait pas. Je la fis asseoir dans un fauteuil. J’approchai le mien, nos genoux se touchaient presque.

— Tu pourras faire ce que tu voudras. Mais écoute-moi. Ce n’est pas ma faute. Et certainement pas la tienne. Ce n’est la faute de personne. Je ne l’ai pas voulu. Mais c’est arrivé. Une situation de départ, tu me comprends ? Je sais que je me comporte comme un fou. Oui, je le sais. Mais je vais tout de suite te dire pourquoi. Ne me parleras-tu pas du tout ?

— Ça dépend, fit-elle.

— Merci déjà pour ça. Oui. Je sais. Que je n’ai aucun droit, etc. Alors qu’est-ce que je voulais dire … U y a des millions d’années vivaient de grands reptiles, des brontosaures, des atlantosaures … Tu en as peut-être entendu parler ?

— Oui.

— C’étaient des géants, grands comme des maisons. Ils avaient des queues très longues, trois fois plus longues que leurs corps. Alors ils ne pouvaient pas se mouvoir selon leur désir — légèrement et adroitement. Tu sais, moi aussi, j’ai une longue queue comme ça. Je ne sais pas pour quelles raisons je me suis baladé entre les étoiles. Peut-être, ne fallait-il pas ? Mais ce n’est rien. Je n’y peux plus rien. C’est ça, ma queue. Comprends-tu ? Je ne peux pas me comporter comme si ça n’avait jamais existé, comme s’il n’y avait rien eu. Je ne crois pas que tu sois ravie par ce que je viens de te dire ; par ce que je te dis et par tout ce que je te dirai encore. Mais je ne vois pas d’autre moyen. Je dois t’avoir aussi longtemps que ce sera possible, et c’est tout, au fond. Vas-tu dire quelque chose ? …

Elle me regardait. Il me semble qu’elle avait pâli encore un peu, mais ça pouvait venir aussi de l’éclairage. Elle se blottissait dans sa robe duveteuse, elle donnait l’impression d’avoir froid. Je voulus le lui demander, mais de nouveau je ne pus rien dire. Moi, oh ! non, moi, je n’avais pas froid.

— Qu’est-ce que … vous feriez à ma place ?

— Très bien, l’encourageai-je. Je pense que je lutterais.

— Je ne peux pas.

— Je le sais. Tu crois que c’est d’autant plus facile pour moi, alors ? Je te jure que non. Est-ce que tu préfères que je parte maintenant, ou est-ce que je peux dire encore quelques mots ? Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Tu dois déjà savoir que je ferai tout pour toi, hein ? Je t’en prie, ne me regarde pas comme ça. Quand je dis tout, ça veut dire tout autre chose que chez les autres gens. Et sais-tu ce que ça veut dire ?

Je manquai d’air, comme si j’avais couru trop longtemps. Je tenais ses deux mains — je ne sais depuis combien de temps, depuis le début, peut-être ? Je ne sais pas. Elles étaient si menues.

— Eri, moi, tu sais, je n’ai encore jamais senti ce que je sens maintenant. En ce moment. Pense à ça. Cet immense vide là-bas. Indicible. Je ne croyais pas en revenir. Personne n’y croyait. Nous en parlions, mais juste comme ça. Ils sont restés là-bas, Tom, Arne, Venturi, et ils sont maintenant comme des pierres de glace dans les ténèbres. Et moi aussi, j’aurais dû y rester, mais si je suis ici, si je te tiens les mains, si je peux te parler ; et si toi, tu m’entends, alors ce n’est peut-être pas si mauvais. Pas tellement misérable. Ça ne l’est peutêtre pas, Eri ! Seulement ne me regarde pas comme ça. Je t’en supplie. Laisse-moi une chance. Ne crois pas que c’est seulement … seulement de l’amour. Ne crois pas ça. C’est bien plus. Bien plus … Tu ne me crois pas … Pourquoi ne me crois-tu pas ? Je te dis la vérité. Vraiment pas ?

Elle ne répondit rien. Ses mains étaient comme des glaçons.

— Tu ne peux pas, hein ? C’est impossible. Oui, je sais que c’est impossible. Je le savais dès le premier instant. Je ne devrais pas me trouver ici. Là-bas il doit y avoir une place vide. J’appartiens aux étoiles. Ce n’est pas ma faute si je suis revenu. Oui … Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout cela. Ça n’existe pas, hein ? Tout m’est égal puisque ça ne te concerne pas. Tu pensais que je pouvais faire tout ce que je voulais avec toi ? Mais je n’y tiens pas, tu ne comprends pas ? Tu n’es pas une étoile …

Le silence s’abattit sur nous. Toute la maison était silencieuse. Je me penchai sur ses mains reposant inertes dans les miennes et me mis à leur parler.

— Eri. Eri. Maintenant tu sais déjà que tu ne dois pas avoir peur, n’est-ce pas ? Tu sais que tu n’as rien à craindre, mais … c’est … c’est tellement immense. Eri ? Je ne savais pas que ça pouvait exister. Je ne le savais pas. Je te le jure. Pourquoi s’envolent-ils vers les étoiles ? Je ne peux pas le comprendre. Tout se trouve ici. Mais il faut peut-être d’abord avoir été là-bas pour le comprendre ? Oui … c’est possible. Je vais partir maintenant. Je m’en vais. Oublie tout ça. Tu m’oublieras, dis ?

Elle approuva de la tête.

— Tu ne le diras à personne ?

Elle secoua la tête.

— Vraiment ?

— Vraiment.

Ce n’était qu’un murmure.

— Je te remercie.

Je partis. L’escalier. Un mur beige clair, l’autre vert. La porte de ma chambre. J’ouvris grandes les fenêtres, je respirai. Que l’air était agréable ! Dès l’instant où je l’avais quittée j’étais redevenu tout à fait calme. Je souriais même, non pas avec la bouche ni avec le visage. C’est à l’intérieur de moimême que s’était installé ce sourire condescendant devant ma propre stupidité, je ne l’avais pas su et pourtant c’était si simple … Je fouillai dans ma valise sport. Parmi les cordes ? Non. Des petits paquets, qu’est-ce que c’était, non, une seconde …

Je l’avais. Je me redressai et tout à coup j’eus honte. Les lumières. Je ne pouvais pas comme ça … J’allais éteindre quand Olaf apparut dans l’embrasure de la porte. Il était habillé. Il ne s’était donc pas couché ?

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Rien.

— Rien ? Fais voir ce que tu as dans la main. Ne la cache pas !

— Ce n’est rien.

— Fais voir !

— Je ne veux pas. Sors d’ici.

— Fais voir !

— Non.

— Je le savais. Salopard !

Je ne m’étais pas attendu à ce coup-là. J’ouvris la main, l’objet s’en échappa, heurta le parquet et déjà nous luttions, je tins Olaf sous moi, il me rejeta, le bureau se renversa, la lampe cogna très fort le mur, toute la maison résonna de ce bruit-là, je le tenais. Il ne pouvait plus m’échapper, il se tordait inutilement. J’entendis un cri, son cri à elle, je le lâchai, sautai en arrière.

Elle était devant la porte.

Olaf se remettait sur les genoux.

— Il a voulu se tuer. Par ta faute ! râlait-il. Il se tenait le cou à deux mains. Je détournai le visage. Je m’appuyai contre le mur, mes jambes tremblaient. J’avais honte, si terriblement honte. Elle nous regardait, l’un après l’autre. Olaf se tenait toujours le cou.

— Sortez, fis-je tout bas.

— Tu devras d’abord me tuer.

— Aie pitié !

— Non.

— Sortez, s’il vous plaît, dit-elle. Je me tus, la bouche grande ouverte. Olaf la regardait abasourdi.