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— Non, je sais. Je le sais. Mais moi et lui … je … Séon …

— Je comprends, dis-je. Tu sais quoi ? Asseyons-nous.

— Moi j’arrive mieux à raisonner debout.

— Je t’en prie. Ecoute, Eri. Je sais ce que je devrais faire. Je devrais te prendre, comme je te l’avais dit et partir quelque part — et je ne sais pas d’où me vient cette certitude. Peut-être seulement de mon infinie bêtise. Mais il me semble qu’en fin de compte tu te sentirais bien avec moi. Et voilà. Seulement, moi, vois-tu, je suis comme ça. Bon ! pour résumer : je ne veux pas le faire. En quelque sorte pour ne pas te forcer. En somme, toute la responsabilité de ma décision, appelons ça comme ça, retombe sur toi … C’est-à-dire que si je ne suis pas un salaud du côté gauche, je le suis du côté droit. Oui. Je le vois parfaitement. Tout à fait distinctement. Alors dis-moi ce que tu préfères, dis-moi seulement ça.

— Le côté droit …

99 ?

« «

— Le côté droit du salaud …

J’éclatai de rire. D’un rire un peu hystérique.

— Ciel ! Oui. Bon. Alors je peux lui parler ? Après coup, c’est-à-dire que je viendrais ici seul …

— Non.

— Ça ne se fait pas ? Peut-être. Mais je sens que je devrais, Eri …

— Non, Moi … je vous en prie. Vraiment. Non. Non !

Des larmes coulèrent de ses yeux. Je la pris dans mes bras.

— Eri ! Non ; non. Je ferai comme tu voudras, mais ne pleure pas. Je t’en supplie … Ne pleure pas. Arrête, tu m’entends ? D’ailleurs … pleure … je … je ne sais plus …

— Moi … je ne savais pas que ça … que ça pouvait … comme ça … articula-t-elle avec difficulté en sanglotant.

Je la portai dans mes bras à travers la chambre.

— Ne pleure plus, Eri … Tu sais quoi ? Nous partirons … pour un mois … Tu veux ? Si tu veux, plus tard, tu reviendras …

— Je vous en prie … dit-elle, je vous en prie …

Je la reposai par terre.

— Ce n’est pas possible ainsi ? Mais je ne sais rien. Je ne sais vraiment rien. Je croyais …

— Mais pourquoi êtes-vous tellement … C’est possible, ce n’est pas possible … Je ne veux pas comme ça … Je ne veux pas !

— Le côté droit grossit à vue d’œil, dis-je très sèchement tout à coup. Bon, d’accord, Eri. Je ne vais plus rien te demander. Habille-toi. Nous allons prendre le petit déjeuner et nous partirons ensuite.

Elle me regardait avec des traces de larmes sur les joues. Elle paraissait très concentrée. Elle fronça les sourcils. Je crus qu’elle voulait dire quelque chose de pas très flatteur pour moi. Mais elle ne fit que soupirer et partit sans rien dire. Je m’attablai. Cette décision subite — comme dans un roman de corsaires — n’était que l’effet de l’instant. En réalité j’étais aussi peu sûr de moi qu’une rose des vents. Je me sentais balourd. Comment pouvais-je le faire ? Comment pouvais-je faire ça, me demandai-je à moi-même. Quel galimatias !

Olaf apparut dans l’embrasure de la porte entrouverte.

— Fils, dit-il, je suis désolé. Je sais que j’atteins les sommets de l’indiscrétion, mais j’ai tout entendu. Je ne pouvais pas ne pas entendre. Il fallait fermer la porte, et même … Tu as une voix tellement saine, Hal — tu te surpasses. Qu’est-ce que tu veux ? Qu’elle te saute au cou tout simplement parce que tu es descendu une fois dans ce …

— Olaf ! ! ! grognai-je menaçant.

— Du calme. Bon, alors voilà une archéologue qui a trouvé un beau vestige. Cent soixante ans, c’est déjà une antiquité, non ?

— Ton humour …

— Ne te convient pas. Je sais. Il ne me convient pas plus. Mais à quoi servirais-je ici si je ne te connaissais pas comme je te connais ? Un enterrement de première classe, voilà tout. Hal, Hal …

— Je sais comment je m’appelle.

— Mais qu’est-ce que tu veux ? Allez, révérend, rassemblement. On mange et on se casse.

— Je ne sais même pas où aller.

— Comme par hasard, moi, je le sais. A côté de la mer il y a des petites maisonnettes à louer. Vous allez prendre la voiture …

— Comment ça — vous ?

— Et qui alors ? L’Esprit Saint ? Révérend père …

— Olaf, si tu n’arrêtes pas …

— Bon, bon. Je sais. Tu voudrais rendre tout le monde heureux : moi, elle, ce Séol ou Séon — non, ce n’est pas possible. Hal, nous partirons ensemble. Vous me laisserez à Houlu. Là-bas je prendrai un houlder.

— Ouais, ouais, fis-je, je crois que je t’ai pas mal arrangé tes vacances !

— Je ne me plains pas, alors ne te plains pas, toi. Il en sortira peut-être de bonnes choses. Maintenant ça suffit. Viens.

Le petit déjeuner se déroula dans une ambiance inhabituelle. Olaf parlait plus qu’à l’ordinaire, mais il parlait dans le vide. Ni Eri ni moi ne prononçâmes une parole. Puis le robot blanc amena un glider et Olaf partit à Clavestra prendre la voiture. C’est lui qui le voulut au dernier moment. Une heure plus tard l’auto était déjà dans le jardin, j’y empilai tous mes biens, Eri prit aussi ses affaires, mais j’eus l’impression qu’elle ne prenait pas tout — néanmoins je ne posai pas de questions : nous ne parlions pour ainsi dire pas du tout. Et par cette journée ensoleillée qui devenait torride nous allâmes d’abord à Houlu — il fallait faire un crochet — et Olaf descendit ; ce n’est qu’une fois dans la voiture qu’il m’annonça qu’il avait loué une maison pour nous.

U n’y eut presque pas d’adieux.

— Ecoute, dis-je, si je te fais savoir … tu viendras ?

— Je pense bien. Je t’enverrai mon adresse.

— Ecris-moi poste restante à Houlu, dis-je. Il me tendit sa main ferme. Combien y en avait-il encore sur Terre ?

Je la serrai jusqu’à entendre grincer nos os, et sans plus me retourner je m’installai derrière le volant. Nous roulâmes encore près d’une heure. Olaf m’avait dit où trouver la maisonnette. Elle était toute petite — quatre pièces, pas de piscine, mais tout près de la plage, juste au bord de la mer. Nous aperçûmes l’océan de la route derrière une colonie de pavillons multicolores sur une colline. Avant de le voir nous entendîmes son grondement assourdi et lointain.

De temps à autre je jetais un coup d’œil à Eri. Elle se taisait, assise très droite, regardant parfois le paysage. Le pavillon — notre pavillon — devait être bleu avec un toit orange. Je sentis avec ma langue le goût du sel sur mes lèvres. La chaussée tournait, parallèle au bord ensablé de l’océan. Les vagues, apparemment immobiles à cause de la distance, mêlaient leurs bruits au grondement soutenu du moteur.

Le pavillon était parmi les derniers. Un tout petit jardin avec des arbustes grisâtres de sel laissait encore voir les traces d’une tempête récente. Des vagues avaient dû atteindre la clôture basse ; çà et là traînaient des coquillages vides. Le toit oblique s’avançait, tel le rebord d’un chapeau de fantaisie, jetant une ombre accueillante. La maison voisine était juste derrière une dune, à quelque six cents pas. Plus bas, sur la plage en forme de croissant, on voyait de petites silhouettes humaines.

J’ouvris la portière.

— Eri …

Elle descendit sans rien dire. Si je pouvais savoir ce qui se passait sous ce front légèrement plissé ! Elle marchait à mes côtés, vers la porte.

— Non, pas comme ça, fis-je. Tu ne dois pas franchir le seuil, tu sais ?