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Certain qu’il n’y avait rien cherché — qu’il avait tenté seulement de se cacher de moi — je restai indécis un long moment, face à l’escalier vide éclairé d’une calme lumière blanche. Lentement, pouce après pouce, je me retournai. Une inquiétude étrange m’assaillit. En fait ce n’était pas vraiment de l’inquiétude, je n’avais peur de rien — j’étais comme après une piqûre anesthésiante, tendu, encore que tranquille — ; je fis deux pas, il me sembla qu’en tendant l’oreille j’entendis — de l’autre côté de la porte — un souffle. C’était absurde. « Maintenant, tu vas partir d’ici », conclus-je, mais cela n’était plus possible, j’avais consacré trop d’attention à cette porte imbécile pour partir sans rien faire. Je l’ouvris et regardai dans la pièce. Au milieu de la pièce vide, sous le plafonnier, je vis Olaf. Il portait ses vieux vêtements, les manches retroussées, comme s’il venait d’abandonner ses outils.

Nous nous dévisageâmes. Voyant que je n’avais pas l’intention d’ouvrir la bouche, il me salua en premier.

— Comment vas-tu, Hal …

Sa voix manquait d’assurance.

Je ne voulais rien feindre, j’étais tout simplement surpris par les circonstances de cette rencontre, peut-être n’étais-je pas encore remis de ma torpeur causée par les paroles de Thurber. Quoi qu’il en fût, je ne répondis rien. J’allai à la fenêtre d’où l’on avait la même vue sur le parc et sur les lumières de la ville. Je me retournai et m’assis sur son rebord. Olaf n’avait pas bougé. Il se tenait toujours au milieu de la pièce. Une grande feuille de papier glissa du livre qu’il tenait à la main et tomba lentement vers le sol. Nous nous baissâmes en même temps ; je ramassai le papier et vis le schéma de fusée que Thurber m’avait déjà montré. Le dessin portait plusieurs annotations de la main d’Olaf. « C’est de ça qu’il s’agissait », pensai-je. « Il ne disait rien car il allait partir, lui, et il voulait m’épargner cette nouvelle. Je dois lui dire qu’il se trompe, que je ne tiens pas du tout à participer à cette expédition. J’en ai assez des étoiles, et puis, je sais déjà tout de la bouche de Thurber, alors il peut me parler la conscience tranquille. »

Le dessin à la main, je regardais attentivement ses lignes, faisant semblant de réfléchir à la vélocité de la fusée. Néanmoins je ne dis rien, je lui tendis seulement la feuille qu’il prit non sans quelque réticence. Il la plia en deux et la rangea dans le livre. Tout cela se passa en silence, un silence involontaire, j’en étais sûr, mais cette scène, justement peut-être à cause de ce silence, se chargea d’une signification symbolique, comme si j’apprenais son appartenance à l’expédition et comme si, en lui rendant le dessin, j’acceptais — sans enthousiasme mais sans remords — son projet. Lorsque je cherchai ses yeux du regard, il les détourna pour me regarder aussitôt de travers — il paraissait extrêmement troublé et intimidé. Même maintenant, alors que je savais déjà tout ? Le silence de cette petite pièce devenait insupportable. J’enten dais sa respiration s’accélérer légèrement. Son visage était fatigué et ses yeux moins vivants que la dernière fois, signe qu’il avait beaucoup travaillé et peu dormi, mais il y avait aussi autre chose, une expression que je ne connaissais pas.

— Je vais bien … dis-je lentement, et toi ?

En prononçant ces mots, je me rendis compte qu’ils arrivaient trop tard, qu’ils auraient été à leur place immédiatement après mon entrée, alors que maintenant ils semblaient exprimer un reproche ou même de la raillerie.

— Tu étais chez Thurber ? demanda-t-il.

— Oui.

— Les étudiants sont partis … il n’y a plus personne ici, alors on nous a donné tout le bâtiment … débita-t-il avec une animation artificielle.

— Pour que vous puissiez préparer l’expédition ? Je lui tendais la perche, qu’il s’empressa de saisir.

— Oui, Hal. Toi, au moins, tu sais quel boulot c’est. Pour l’instant nous ne sommes qu’une poignée, mais nous avons des machines fantastiques, ces automates, tu sais …

— C’est bien.

Après ces paroles le silence s’abattit de nouveau sur nous, et, chose étrange, plus le silence durait, plus devenait visible l’inquiétude d’Olaf, son immobilité exagérée, car il n’avait pas bougé du milieu de la pièce, de dessous la lampe, comme s’il s’attendait toujours au pire. Alors je décidai d’en finir.

— Dis donc … fis-je tout bas, comment tu t’es imaginé tout ça ? … La politique de l’autruche ne paie jamais, tu sais … Tu ne croyais quand même pas que je n’allais pas l’apprendre ?

Je m’interrompis tandis qu’il restait silencieux, la tête penchée de côté. Visiblement j’avais exagéré car il n’y était pour rien, et moi, à sa place, j’aurais fait de même. D’ailleurs je ne lui en voulais pas du tout de son mois de silence, mais de cette tentative de fuite, du fait de s’être caché dans cette pièce quand il m’avait vu sortir de chez Thurber — seulement ça, je ne pouvais pas le lui dire, c’était trop stupide et trop ridicule. J’élevai la voix en le traitant d’imbécile. Même là il n’essaya pas de se justifier.

— Alors tu trouves qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat ?

— Ça dépend de toi …

— Comment ça, de moi ?

— De toi, répéta-t-il obstinément. L’essentiel c’était de savoir par qui tu l’apprendrais …

— Et tu crois toujours ça ?

— C’est ce qui me semblait …

— Ça n’a plus d’importance, marmonnai-je.

— Que … Qu’est-ce que tu penses faire ? demanda-t-il dans un murmure.

— Rien.

Olaf me regardait soupçonneux.

— Hal, mais tu sais bien que moi …

Il n’acheva pas. Je sentais que même ma présence le torturait, mais je ne pouvais toujours pas lui pardonner cette fuite ; quant à partir, comme ça, sans un mot, ce serait encore pire que cette incertitude qui m’avait amené ici. Je ne savais plus quoi lui dire ; tout ce qui nous avait liés l’un à l’autre était devenu un sujet tabou. Je le regardai juste au moment où il me jeta un regard — chacun de nous espérait de l’aide de l’autre …

Je me levai du rebord de la fenêtre.

— Olaf … Il se fait tard. Je m’en vais … Ne crois pas que … que j’aie de la rancune envers toi, pas du tout. Nous allons nous revoir, tu viendras peut-être chez nous … J’avais du mal à former les phrases, chaque mot sonnait faux, et il le sentait.