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« Et on peut trouver un Dom tout près d’ici, reprit-il alors que l’ovation se calmait. Oui, il y a un Dominateur parmi vous, et dans l’endroit le plus effroyable qui se puisse concevoir ! Cette créature est à portée de vos poings en ce moment même ! »

Un grand silence s’appesantit sur la salle, aussitôt interrompu par Bogel : « C’est d’hommes comme vous dont le Parti a besoin, Purhomme ! Allons, où se cache ce Dominateur ? Je garantis qu’il n’y a pas un homme ici qui ne soit prêt à le mettre en pièces ! » Feric fut fort aise de voir Bogel saisir l’occasion. Sa cause était louable ; c’était la cause de l’humanité pure. Ses efforts méritaient une récompense.

« Chose incroyable, un Dominateur s’est introduit au cœur du poste-frontière du pont de l’Ulm, qui a pour mission de protéger votre pureté génétique, dit Feric. Il tient la garnison tout entière dans un champ de dominance ! »

Une exclamation d’horreur jaillit de toutes les poitrines. Feric enchaîna aussitôt : « Imaginez un peu cela ! Ce monstre puant s’est procuré lui-même un certificat et sert de secrétaire au généticien habilité à délivrer les certificats aux candidats citoyens. Basé dans cette citadelle, il sape la volonté de la garnison et de l’analyste de sorte qu’un véritable flot de gènes contaminés inonde, tel un égout crevé, cette région, empoisonnant la postérité de vos fils et de vos filles ! Bien plus, personne dans cette garnison n’échappe à ce champ, personne n’est capable de déloger la bête malfaisante ou de briser ses filets ! »

Un brouhaha de murmures rageurs emplit la taverne. Tous étaient visiblement prêts à exercer leur volonté raciale dans la direction voulue. Leur instinct le plus profond avait été réveillé, et bien réveillé : la résolution inébranlable de protéger l’espèce humaine. Un brasier était allumé, qui ne pourrait être noyé que dans le sang d’un Dominateur.

« Qu’attendons-nous ? rugit Feric. Nous avons nos mains, et certains d’entre nous sont armés de massues ! Marchons vers le pont et délivrons nos camarades de race ! Mort au Dominateur ! »

Sur ces mots, Feric se précipita aux côtés de Bogel et, fort courtoisement, il aida le petit homme à descendre. Il passa son grand bras autour des épaules de Bogel en criant : « Mort au Dominateur ! Tous sur le pont ! »

La foule lui répondit par un rugissement d’approbation, et Feric, avec Bogel sur les talons, sortit résolument de la taverne sans un regard en arrière, certain que la troupe ainsi levée ne demandait qu’à le suivre où il la menait.

Sur la route du Pont s’avançaient trente à quarante Helders outragés, tels des anges exterminateurs, sous la conduite de Feric et de Bogel. Dans la rue, tous les citoyens s’arrêtèrent net, médusés par cette vision saisissante ; quelques esprits vaillants emboîtèrent le pas.

Ils eurent tôt fait d’atteindre le pont ; Feric s’y engagea, suivi de sa troupe, qui marchait au beau milieu du tablier, bloqué ainsi sur toute sa largeur par une formation serrée d’hommes vigoureux, forts d’une juste colère. « Qui que vous soyez, vous êtes un orateur stupéfiant, lança Bogel, soufflant et ahanant pour suivre la foulée martiale de Feric. Le Parti de la Renaissance Humaine a besoin d’un homme tel que vous. Quant à moi, je n’ai, hélas ! rien d’un meneur de foules !

— Vous me parlerez de votre parti quand ceci sera terminé, répliqua Feric avec brusquerie.

— Avec plaisir. Mais comment comptez-vous en finir avec cette histoire ? Vos intentions me dépassent.

— Elles sont fort simples : la mort du Dominateur de la forteresse. Si vous voulez vous assurer le dévouement fanatique des hommes, il faut leur offrir un baptême de sang. »

Sur le pont, la troupe avançait résolument, en file par dix et sur cinq rangs, cortège bigarré de piliers de taverne transformés pour un temps en commando guerrier par la volonté d’un seul homme. C’était pour Feric un sentiment infiniment satisfaisant que de marcher à la tête d’une colonne ; c’était précisément ce qu’il avait imaginé lorsqu’il caressait l’idée d’une carrière militaire, ou plus encore. Il sentait courir dans ses veines l’énergie de cette formation compacte d’hommes sous ses ordres, l’emplissant d’une foi absolue en sa destinée. Il était un chef. Quand il parlait, les hommes l’écoutaient, quand il commandait, ils lui obéissaient. Et cela sans préparation spéciale ni autorité officielle ; sa supériorité en la matière était une qualité que les autres hommes, qu’ils le voulussent ou non, ressentaient comme intrinsèque, inscrite sans nul doute dans ses propres gènes. De la même façon qu’une harde de chevaux sauvages admet la suprématie de l’étalon de tête ou qu’une horde de loups reconnaît le plus fort comme son chef naturel, ces hommes qu’il n’avait jamais vus étaient entraînés à sa suite par l’autorité naturelle qui émanait de sa voix et de sa personne.

Cet impressionnant et terrible pouvoir ne devait être utilisé qu’à des fins patriotiques et idéalistes. Sans conteste, la force même de sa volonté résultait en partie de son entier dévouement à la cause de la pureté génétique et au triomphe final et universel de l’homme pur. Seule l’union de l’idéalisme et d’un fanatisme implacable pouvait engendrer une volonté d’une telle toute-puissance.

Bientôt, la troupe atteignit le poste-frontière. Le soldat de garde au portail d’entrée saisit sa massue à l’approche de Feric et de sa suite et l’agita dans les airs, mais la peur se lisait dans ses yeux et sa voix chevrota quand il interpella la bande d’hommes excités : « Halte ! Que voulez-vous ? »

Pour toute réponse, un solide gaillard blond au visage congestionné jaillit du groupe et écrasa une chope de bière sur la tête du malheureux garde. Celui-ci tomba comme une masse en agrippant son crâne ouvert. Quelqu’un lui arracha sa massue et, avec un grand rugissement, l’avant-garde s’engouffra dans la place forte, suivie de près par Feric, Bogel et le reste du commando de fortune.

La troupe surgit dans la salle d’examens, bousculant sans ménagement les candidats citoyens alignés devant le comptoir de pierre noire ; les quatre fonctionnaires assis derrière furent soudain mis en présence d’une solide phalange d’hommes robustes aux visages empourprés par la rage. Les trois hommes purs manifestèrent autant de surprise que de peur devant cet étrange comportement ; l’ignoble Mork feignit l’impassibilité, mais Feric devina ses efforts frénétiques et désespérés pour lancer sa nasse de dominance sur cette invasion de Helders aux intentions nettement hostiles.

« Que signifie cette violation ? demanda le vieil officier barbu. Quittez les lieux sur-le-champ ! »

Feric nota un soudain relâchement dans l’ardeur de sa troupe ; l’assaut psychique de Mork avait été épaulé par l’attitude ferme du vieux brave, et la résolution de ses hommes s’en trouvait ébranlée. Feric joua des coudes pour s’approcher du comptoir. Lançant son puissant bras droit par-dessus la pierre noire, il empoigna le Dominateur Mork par le cou, lui coupa la respiration d’une torsion du poignet et attira le misérable à mi-corps sur le comptoir. Le visage de Mork devint cramoisi par manque d’oxygène, et Feric sentit ses pouvoirs psychiques décliner.

« Voici l’immonde créature ! cria Feric. Ce monstre est le Dom qui tient cette place forte en esclavage !

— … Que ta bile t’étouffe, ordure humaine ! » parvint à gargouiller Mork, comprenant que les jeux étaient faits. Feric resserra sa prise et les balbutiements du Dom se muèrent en halètements rauques. Un rugissement bestial jaillit de la troupe. Des bras innombrables se tendirent, agrippèrent Mork par les épaules, les cheveux et les bras et, d’un commun effort, les hommes soulevèrent le Dom à demi inconscient, le firent passer par-dessus bord et le projetèrent à terre au milieu d’eux. Mork était trop affaibli par le manque d’air pour tenter sérieusement de se défendre ; en outre, aucun Dominateur ne pouvait espérer vaincre la volonté commune de plus de vingt Helders parfaitement avertis de sa nature malfaisante et soulevés d’une rage légitime.