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Les passagers proches de l’ouverture se ruèrent hors de leurs sièges pour s’entasser à l’arrière de la cabine pendant que l’hôtesse, tremblante, déverrouillait la porte ; belle poltronnerie, pensa Feric, et peu propre à susciter l’admiration de tels hommes.

Dans la cabine surgit alors un homme gigantesque, de la taille de Feric mais aux muscles encore plus massifs. Son justaucorps noir sans manches dévoilait avantageusement les serpents sinueux tatoués sur ses bras. À la chaîne d’argent qu’il avait au cou pendait un crâne chromé quasiment grandeur nature. Dans sa ceinture, fermée par une énorme boucle d’acier gravée d’un svastika rouge sang, était fiché un pistolet et sa main serrait une massue d’acier chromé d’une longueur et d’une épaisseur impressionnantes, terminée par un crâne luisant. Ses cheveux blonds tombant sur ses épaules et sa barbe également blonde étaient nattés. Au lobe d’une oreille étincelait un lourd anneau d’or. Ses yeux, d’un bleu de glace, étaient francs et grands ouverts. Le manteau noir qu’il traînait derrière lui s’ornait de deux éclairs rouges.

Cet individu entreprit de pincer les fesses de l’hôtesse avec une franche paillardise, embrassant à pleine bouche la jeune femme frémissante, pendant que dix de ses camarades faisaient irruption dans la cabine derrière lui. Bâtis sur le même gabarit que le premier, c’étaient tous de grands gaillards vigoureux aux cheveux hirsutes, à la barbe et à la moustache fournies, qui avaient grand besoin d’être taillées. Vêtus d’extravagants cuirs lâches rehaussés de brillants objets métalliques, emblèmes, pendentifs et médaillons, ils brandissaient, les uns des pistolets et des massues, les autres des dagues et autres armes. Tatoués pour la plupart, ils portaient des boucles d’oreilles en or, en argent ou en acier, et paraissaient avoir grand besoin d’un bain, tout couverts qu’ils étaient de sueur et de poussière.

Ayant salué l’hôtesse à sa façon barbare, le Vengeur gigantesque tourna un regard morose vers les passagers tapis dans le fond du vapeur.

« Une belle bande de décrotteurs de slips et de marchands de fumier, hein, Stopa ? observa un Vengeur bien rasé, aux longs cheveux châtains, un anneau d’argent à l’oreille droite. À mon avis, ce sont des candidats à une purée de mutants.

— Nous verrons cela, Karm, dit le géant. N’oublie pas qui commande ici. Si j’ai besoin de ton avis, je te le demanderai. » Karm se tut, l’air sombre, sous les rires des autres. De toute évidence ce Stopa, même mal dégrossi, avait tout pour faire un meneur d’hommes.

« À nous, bande de larves, fit-il, s’adressant aux passagers. Au cas où vous ne seriez guère sortis de votre trou ces derniers temps, je m’appelle Stag Stopa, et voici les Vengeurs Noirs ; si cela ne vous dit rien, vous ne tarderez pas à comprendre. Nous aimons par-dessus tout nos motos et la bagarre, lutiner les filles, nous soûler, écraser les mutants et les grandes gueules – et pas grand-chose d’autre. Nous supportons mal les répliques, les mutants, la police et les Doms. Si nous n’aimons pas quelqu’un nous le faisons disparaître sous terre ; notre vie est aussi simple et honnête que ça. »

Le discours de Stopa était aussi agréable à Feric qu’aurait pu l’être celui d’un adolescent à qui n’aurait manqué qu’un père sévère et sage pour canaliser dans la bonne direction ses instincts de jeune animal sain. Quel contraste entre ces splendides gaillards et les citadins terrés au fond de la cabine !

« Ce que je veux vous voir comprendre, espèces de larves, poursuivit Stopa, c’est qu’à notre manière nous sommes des idéalistes et des patriotes. Lorsque nous pensons qu’une limace est un mutant puant, nous le tuons sur-le-champ. Nous débarrassons ainsi les bois d’un tas d’ordures génétiques. C’est un cadeau à tous que nous faisons là, une fleur en échange de laquelle nous pensons avoir le droit de demander quelque chose. Et, pour commencer, videz vos poches et remettez-nous vos bourses et vos portefeuilles. »

Un concert de gémissements épouvantés et de cris de colère fit écho à cette déclaration, mais, Stopa et quelques-uns de ses hommes ayant fait un pas vers les passagers, une véritable avalanche de bourses, de portefeuilles et autres objets de valeur s’abattit sur le plancher de la cabine. Bogel lui-même se fouilla, à la recherche de sa bourse et de son portefeuille, et les aurait sans doute tendus si Feric, d’une pression de la main et d’un regard impérieux, ne l’en avait empêché. Une fameuse brochette d’hommes purs que ces couards, ces poltrons ! Racialement, un seul de ces rudes barbares en valait dix !

Tandis que ses hommes ramassaient le butin, Stopa se dirigea vers les sièges où Feric et Bogel se tenaient immobiles et bien en vue. Il fusilla Bogel du regard, brandit sa massue de manière significative et gronda : « Et toi, gringalet ? À te voir, on dirait un mutant ou même un Dom. Nous arrachons aux Doms bras et jambes avant de les rôtir vivants. »

Bogel devint blanc comme un linge, pétrifié, mais Feric déclara à voix haute et claire : « Cet homme est sous ma protection, et vous avez ma parole d’honneur que son pedigree est parfait.

— Qui crois-tu être ? mugit Stopa, balançant son torse puissant au-dessus de Bogel pour fixer sur Feric un regard féroce. Ouvre encore la bouche et j’y enfonce ma massue. »

Lentement, délibérément et sans détourner une seconde son regard inflexible des yeux de Stopa, Feric se dressa de toute sa taille : les deux hommes gigantesques se trouvaient ainsi face à face, leurs regards se défiant par-dessus Bogel, toujours assis. Pendant un long moment, les yeux bleus de Stopa soutinrent ceux de Feric, qui canalisait résolument chaque molécule de sa formidable volonté dans son regard de fer. Puis la volonté de Stopa fléchit, et son regard fut obligé de se détourner pour s’accorder un répit après cet irrésistible assaut psychique.

À cet instant, Feric dit simplement : « Je suis Feric Jaggar. »

Reprenant ses esprits, Stopa demanda : « Où sont vos richesses, Purhomme Jaggar ? » Mais sa voix avait à présent perdu son inflexion métallique.

« Mon portefeuille et ma bourse sont attachés à ma ceinture, comme vous pouvez le voir, répliqua Feric sans s’émouvoir. Et ils y resteront.

— Je vous ai dit que nous faisions une fleur à tout le monde, dit Stopa, brandissant à nouveau sa massue. Vous devez être quelque mutant ou métis pour refuser de contribuer à la cause, et, ceux-là, nous les tuons. Vous feriez donc mieux de prouver votre pureté en nous remettant vos affaires, ou nous allons nous payer une purée de mutants.

— Laissez-moi vous dire avant tout que j’approuve entièrement vos sentiments. J’ai moi-même débarrassé le monde d’un Dom pas plus tard qu’hier. Nous servons la même noble cause. Je reconnais en vous un homme comme moi, impitoyablement déterminé à protéger la pureté génétique de Heldon à la force du poing et de l’acier. »

Pour quelque raison ces paroles parurent vexer Stopa ; il scruta le visage de Feric d’un air incertain comme pour y chercher un message au sens caché. Ses camarades, cependant, ayant durant cet échange ramassé leur butin, manifestaient maintenant, maussades et impatients, leur irritation.

« Allez, Stopa, casse-lui la tête et allons-nous-en d’ici !

— Écrase cette grande gueule ! »

Stopa se retourna sur lui-même, ivre de rage, fouettant l’air de sa lourde massue. « Larves ! Le prochain d’entre vous qui ouvre la bouche ramènera ses dents dans un sac ! »

Ces grands et rudes gaillards reculèrent devant la fureur de Stopa, qui revint vers Feric, le visage rouge, les yeux brillants de colère. « Écoutez, gronda-t-il, vous semblez être d’une autre trempe que ces vermisseaux, Jaggar, un peu comme moi, aussi n’ai-je aucune envie de vous détruire. Mais personne ne gagne à discuter avec Stopa ; alors donnez-moi vos affaires, et nous nous en irons. »