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Feric réfléchit un instant. Jusque-là, il n’avait agi que par instinct, sentant que ces Vengeurs étaient liés en quelque sorte à son destin et qu’il se desservirait lui-même en apparaissant à leurs yeux autrement qu’en héros à la volonté de fer. Il lui semblait désormais qu’il aurait à les combattre tous, auquel cas il serait massacré, ou qu’il devrait se résoudre à leur donner son argent, et alors il perdrait à la fois sa modeste fortune et leur respect. Bogel, pour sa part, était trop terrifié pour oser intervenir, même pour lui donner des conseils de lâcheté. Finalement, fixant Stopa d’un œil méprisant, Feric opta pour la dernière des audaces.

« Vous semblez vigoureusement bâti, Stopa, dit-il. Je ne vous aurais pas pris pour un couard. »

Le visage de Stopa s’empourpra, ses dents grincèrent, et les muscles de ses bras saillirent en collines noueuses.

« Vous n’osez me menacer ainsi que parce que je suis désarmé, que vos hommes sont derrière vous et que vous tenez à la main une massue, poursuivit Feric. Vous savez qu’en combat régulier je vous vaincrais. »

Le rugissement animal qui jaillit de la troupe de Stopa s’acheva en rires moqueurs. Stopa se retourna vers les Vengeurs, le regard mauvais, mais sans grand résultat. La troupe connaissait les mêmes lois qu’une meute de loups ; le chef commandait aussi longtemps qu’il était capable de défaire tous les arrivants. Il venait d’être défié, et son pouvoir sur les autres ne retrouverait toute sa force qu’une fois l’affaire réglée. Stopa lui-même, presque instinctivement, comprit clairement la situation et son regard à nouveau fixé sur Feric brilla de ruse, démentant ses traits empourprés.

« Vous osez défier Stopa ? rugit-il d’un air belliqueux. Seul un Vengeur peut défier le commandant d’égal à égal. Je vous laisse choisir, Jaggar : donnez-moi vos richesses humblement comme les autres vermisseaux, faites-vous écrabouiller sur-le-champ par la bande, ou subissez les rites d’initiation des Vengeurs. Si vous survivez, nous réglerons le reste entre nous. »

Feric sourit largement ; c’était précisément ce qu’il voulait. « D’accord pour l’initiation, Stopa, fit-il calmement. Cette cabine m’a engourdi les muscles et j’ai besoin d’un petit peu d’exercice. »

Les Vengeurs hurlèrent leur approbation à cette repartie. Il était clair que tous ces éléments ne réclamaient qu’une main de fer, un exemple ferme et un but précis pour devenir une troupe de choc animée du meilleur esprit de corps.

« Alors, vous venez avec nous ! » dit Stopa, et il sembla à Feric que sa colère s’était tempérée d’une admiration comme seule il peut en exister entre vieux loups, qu’ils soient ou non voués à se combattre férocement l’instant d’après.

« Mon ami va venir avec nous aussi, dit Feric en désignant Bogel. Il n’est pas très robuste et l’air frais lui fera le plus grand bien. »

À nouveau, les Vengeurs éclatèrent d’un rire bon enfant, auquel Stopa, cette fois, se joignit. Bogel, quant à lui, avait tout l’air de vouloir disparaître dans un trou pour échapper à la vue de tous.

« Amenez donc votre chien-chien ! fit Stopa. Il n’a qu’à monter avec Karm. Vous, Jaggar, venez avec moi. »

Stopa et ses Vengeurs poussèrent alors rudement Feric et Bogel hors du paquebus ; à l’extérieur les attendait le cercle tumultueux des motocyclettes.

IV

Bien que les ombres profondes et l’air frais du soir fussent descendus sur la Forêt d’Emeraude, l’atmosphère autour du vapeur faisait penser à un enfer impétueux de métal luisant ; cela grondait, aboyait, dans un nuage de fumée toxique. Feric suivit Stopa, qui se dirigeait vers sa moto, seul engin silencieux parmi les coursiers de métal qui rongeaient leur frein.

La machine de Stopa était d’une dimension et d’un dessin qui convenaient à la position de son propriétaire. Son moteur semblait plus important que les autres et ses accessoires chromés brillaient comme un miroir. Le guidon étincelant s’étirait, rappelant par sa forme les cornes d’un énorme bélier ; leur taille était telle que, lorsque Stopa enfourcha la moto et les saisit, ses poings arrivèrent à peu près à la hauteur de sa tête, les bras majestueusement tendus. Les sacoches de la moto, laquées de noir, s’ornaient de chaque côté d’une tête de mort chromée identique à celle que Stopa portait autour du cou. Le réservoir à pétrole, noir également, se parait de chaque côté d’un double éclair rouge. La selle de cuir noir était de taille à accueillir facilement deux passagers, offrant même une place supplémentaire pour le sac de Feric. À l’arrière de la moto s’élargissaient deux ailes roses, pareilles aux ailes d’un aigle. Sur le garde-boue avant, un phare jaillissait du bec béant d’une énorme tête d’aigle.

Alors que Feric s’installait, Stopa, d’une vigoureuse poussée de sa botte à semelle d’acier sur le kick, redonne vie au puissant engin. Feric pouvait, à travers le siège sentir les vibrations du moteur entre ses cuisses.

Stopa se tourna à demi, et adressa à Feric un sourire du carnassier. « Cramponnez-vous, si vous tenez à la vie » dit-il. Puis, s’adressant ses hommes, il hurla pour dominer le vacarme : « En avant ! »

Dans un grondement assourdissant, la moto de Stopa se rua en avant, coupant la respiration de Feric. Elle s’inclina dangereusement, tournoya quasiment sur place, et repartit dans la direction du goulet, atteignant en un instant quelque soixante kilomètres/heure. Quel engin ! Quel cavalier ! Quelle troupe d’assaut pourraient former ces Vengeurs !

Feric allongea le cou pour apercevoir les autres motards qui suivaient Stopa, horde dense et déguenillée, et, au milieu d’eux, il distingua Bogel, pâle comme un fantôme, les yeux presque fermés, cramponné pour sauver sa chère vie au siège de la machine qui suivait celle de Stopa. Feric lança dans le vent de la course un rire sauvage. Quelle fougue dans ces monstres ! Quelle magnifique impression se dégageait de leur masse ! Il ne leur manquait que la discipline…

En atteignant la gorge qui s’ouvrait sur la forêt, Stopa n’hésita pas : c’est à peine s’il leva le pied. La motocyclette jaillit hors de la route pavée et fonça sur une piste grossière au long des sombres couloirs forestiers, la troupe grondante sur ses traces.

Une course sauvage s’ensuivit dans les bois enténébrés, sur le sol cahoteux de la forêt. Jamais Feric, même dans ses rêves les plus extravagants, n’avait imaginé pareille chose. Slalomant entre les arbres à une vitesse exaltante dans les passages difficiles, rebondissant et glissant sur les racines, les pierres et toutes sortes de broussailles, Stopa conduisait sa monture avec un instinct sûr, une classe, un allant qui réussirent à mettre Feric totalement à l’aise. Le destin, semblait-il, dirigeait la moto, et Stopa, jusqu’à un certain point, en était conscient. Machine, cavalier et passager formaient un concentré de destin, rapide, sûr, irrésistible. Bien qu’il semblât à tout moment que la moto allait se briser en miettes contre quelque arbre ou culbuter sur un rocher, une racine ou bien dans un trou, Feric, le visage fouetté par le vent, put se détendre et jouir de cette sensation de puissance mêlée de danger, de l’intense pulsation du moteur sous lui.

Et il éprouva un certain regret lorsque, après environ une heure de course démoniaque, Stopa, ayant emprunté un sentier de chèvres, déboucha quelques instants plus tard sur une cuvette aride entre deux collines boisées, où manifestement se trouvait installé le camp des Vengeurs.