« Allez, Stopa, ne laissons pas le feu s’éteindre, aboya Feric. Si vous n’êtes pas assez viril, dites-le-moi ! »
Avec un cri guttural de fureur et de défi, Stopa bondit sur la moto, derrière Feric. Sans laisser au chef des Vengeurs le temps de lancer un salut plus héroïque, Feric mit les gaz et la moto se rua dans les flammes.
De nouveau, Feric fut plongé dans un univers de feu triomphant et de vitesse d’enfer ; de nouveau, la motocyclette émergea du tunnel de flammes, ses occupants roussis mais saufs.
Les Vengeurs rompirent les rangs en hurlant et se mirent à danser, torches brandies, en une sorte de rite sauvage autour d’eux alors que Feric, arrêtant la moto dans un grand gémissement, la calait sur sa béquille et que Stopa, dans le même temps, mettait pied à terre.
Stopa contempla Feric avec autant de respect que de fureur. Selon toute apparence, il comprenait à présent qu’il se trouvait impliqué dans une compétition de volonté et d’héroïsme avec un homme qui était pour le moins un égal. Un être moins fier aurait à ce moment-là reconnu le fait par quelque geste de camaraderie, se tirant ainsi avec élégance de la situation, sans guère entamer son honneur.
Mais, à son honneur, la fureur de Stopa ne s’était en rien apaisée : il avait manifestement décidé – et c’était là sa forme d’héroïsme – de disputer cette compétition pour la suprématie spirituelle et physique jusqu’à sa conclusion, sans prendre en considération la futilité de la cause.
« La dernière épreuve est celle du fer, Jaggar ! lança-t-il à la cantonade. Elle se jouera entre nous deux, avec des massues. D’ordinaire, je ne fais que jouer avec l’avorton qui m’est opposé jusqu’à ce que je sois satisfait de ses qualités ou, au contraire, que je décide de l’abattre. Si j’avais demandé à chaque nouveau Vengeur de me défaire en combat singulier, nous n’aurions jamais accueilli de nouveau frère, car personne n’a jamais pu m’égaler à la massue. »
Stopa se tut et fixa Feric d’un regard froid, injecté de sang, où ruse et admiration avaient fait place à une froide détermination. Quelque chose dans le halo psychique qu’engendrait cette confrontation obligea les Vengeurs à taire leurs hurlements et leurs gesticulations et à observer en silence leur chef et son vaillant challenger.
« Mais dans votre cas, Jaggar, poursuivit Stopa, nous ferons les choses avec plus de classe. Au lieu de nous borner à des horions, tels des enfants aux prises, nous combattrons, vous et moi, avec des massues d’acier jusqu’à la mort. Que le meilleur conserve la vie ! »
Le silence se fit plus profond ; les railleries et la rude bonne humeur qui avaient jusque-là accompagné l’initiation s’évanouirent d’un coup. Chaque homme présent réalisait subitement, eût-on dit, que son propre destin se trouvait lié à l’issue du duel qui allait s’engager. Feric comprenait d’instinct que celui qui vaincrait le vieux chef prendrait sa place ; dans une troupe comme celle-ci, c’était la seule règle – hormis une mort accidentelle, permettant au pouvoir de changer de mains. Cette loi était inscrite au plus profond des gènes des vrais hommes ; plus encore, c’était une loi inhérente au protoplasme lui-même, la règle de base de l’évolution, la loi du plus fort. Bogel lança à Feric un regard d’abord froid puis empli d’orgueil, indiquant par là qu’il saisissait pleinement l’importance de la situation, et que sa foi en Feric était aussi forte et inébranlable que l’acier.
« Apportez une arme ! ordonna Stopa. Apportez aussi le Commandeur d’Acier ! »
Sept solides Vengeurs s’éloignèrent et disparurent dans l’obscurité. Presque aussitôt l’un d’eux revint avec une vieille massue cabossée d’une longueur et d’une circonférence respectables, sa tige d’acier inoxydable légèrement ternie portant d’innombrables traces de bataille. Le porteur présenta cette arme vénérable à Feric. Une inspection détaillée révéla à celui-ci qu’elle avait jadis porté sur la hampe de fines gravures représentant des serpents et que sa pointe – qui au premier regard semblait une bille d’acier – avait été décorée d’une sorte de grand œil. Feric leva l’arme de sa main droite. Il n’aurait jamais choisi une arme aussi légère, pourtant elle était bien équilibrée et longue de près d’un mètre. Il abattit l’arme dans l’air, la trajectoire était bonne, la vitesse acquise suffisante pour réduire un crâne en miettes avec un coup direct. Une massue qui avait servi, mais une arme honorable : elle ferait l’affaire.
Stopa saisit sa propre arme et la fit tournoyer. Feric s’approcha pour l’observer. Stopa maniait une massue véritablement épique. Plus longue, environ un mètre quatre-vingts, que l’arme donnée à son adversaire, elle était – à en juger par la façon dont Stopa la maniait – d’au moins un quart plus lourde. La hampe d’acier plaquée de chrome étincelait et la pointe portait gravé le dessin de crâne favori de Stopa. La poignée était en cuir noir, cousu sur le bois. Manifestement, la massue de Feric ne pouvait rivaliser ni en taille ni en modèle avec celle brandie par Stopa ; pourtant, il le sentait clairement, élever à cet égard une violente protestation eût été considéré comme la dernière des poltronneries.
Comme les deux adversaires mettaient fin aux moulinets préparatoires, il se fit entendre un lourd halètement qui se rapprochait de la zone éclairée ; puis six Vengeurs apparurent, gémissant curieusement sous le poids apparemment négligeable du châssis de bois qu’ils portaient sur leurs épaules.
Mais, lorsqu’ils atteignirent l’endroit où Feric et Stopa se faisaient face et qu’ils déposèrent leur fardeau sur le sol, Feric demeura un instant bouche bée d’ahurissement, puis comprit tout.
Le brancard était couvert d’un velours noir immaculé sur lequel, dans toute son incroyable gloire, reposait la Grande Massue de Held, le sceptre perdu du pouvoir royal, le Commandeur d’Acier !
Le seul aspect de la Grande Massue était d’une beauté à couper le souffle. Sa poignée semblait taillée dans un gros morceau de l’antique matériau laiteux connu sous le nom d’ivoire et était recouverte non de cuir mais d’une substance mystérieuse, à l’éclat de rubis. La hampe, barre luisante de métal sans défaut de plus d’un mètre vingt et de l’épaisseur du poignet, portait gravées sur toute sa surface de riches nervures rouges pareilles à des éclairs, décor qui donnait à l’énorme tronc l’apparence d’avoir été récemment trempé dans le sang. La tête hypertrophiée représentait un poing d’acier grandeur nature, un poing de héros. Au majeur de cette main de métal, une bague arborait l’emblème du svastika, noir sur fond blanc, entouré d’un cercle cramoisi ; les couleurs étaient si vives qu’on les eût cru appliquées à peine quelques heures plus tôt, et non tant de siècles auparavant.
Feric contempla la massue mystique avec un indicible émerveillement. « Comprenez-vous ce qu’est cette arme ? » souffla-t-il.
Stopa sourit avec suffisance à Feric, la férocité de ses traits cependant adoucie par le respect. « C’est le Commandeur d’Acier. Jadis, les anciens rois de Heldon en tiraient leur pouvoir. C’est à présent la propriété des Vengeurs Noirs !
— C’est la propriété de Heldon ! gronda Feric.
— Nous l’avons trouvée dans une grotte au fond des bois alors que vous autres, vers de terre, la croyiez perdue ! grommela Stopa, décidément sur la défensive. Elle est à nous maintenant ! » Il eut un rire sardonique. « Si vous la voulez, Jaggar, pourquoi ne la prenez-vous pas pour l’emporter ? »
Les Vengeurs assemblés éclatèrent de rire, non sans quelque malaise ; leur instinct primitif mais sûr, leur disait que le Commandeur d’Acier et la science antique qui l’avait créé ne prêtaient guère à plaisanterie.