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Pour sa part, Feric apprécia l’ironie des paroles de Stopa, plus profondément peut-être que le Vengeur lui-même. La légende rapportait que Stal Held avait fait forger cette arme par une communauté de sorciers captifs, qui avaient su préserver le savoir des Anciens à travers et au-delà du Temps du Feu ; une fois l’arme achevée, Held avait assassiné ces créatures ennemies de l’homme. Grâce à quelque art occulte perdu depuis, ces sorciers funestes avaient conçu la massue de telle manière que seuls Held et les véritables porteurs de sa structure génétique à travers les siècles fussent capables de la soulever. L’alliage mystérieux dans lequel l’arme avait été forgée lui donnait le poids d’un taureau géant : aucun homme ordinaire ne pouvait la remuer, encore moins la porter. Mais le contact d’une chair chargée de gênes royaux était générateur d’une puissance telle que, dans la main d’un héros d’ascendance royale, le Commandeur d’Acier pouvait être manié sans plus d’effort qu’une baguette de saule, tout en opposant à ceux qui n’en étaient pas dignes le poids d’une petite montagne. Ainsi la Grande Massue représentait à la fois le sceptre du roi de Heldon et l’ultime preuve de son ascendance. D’aucuns soutenaient que tous les troubles qu’avait connus Heldon depuis la disparition de la Massue, lors de la Guerre Civile, étaient le seul fait des hommes au pouvoir, incapables de la soulever ; à cet égard, Sigmark IV avait été le dernier chef véritable de Heldon. Ainsi donc, parvenir à soulever désormais la Grande Massue signifiait conquérir, au sens plein du terme, le droit historique à régenter tout Heldon. C’est ce que Stopa suggérait sarcastiquement à Feric.

Et c’était également ce qu’une folle impulsion poussait Feric à faire ; la Massue semblait déclencher quelque chose au plus profond de son être, faisant vibrer en lui un instinct caché. Sans nul doute, de nombreux hommes avaient ressenti cela ; d’innombrables histoires couraient sur ces héros qui avaient tenté de soulever le Commandeur d’Acier. Mais toutes étaient des contes moraux, stigmatisant le péché d’orgueil.

« Assez divagué sur une arme qu’aucun homme vivant ne peut porter ! lança Stopa, interrompant cette rêverie quelque peu mystique. Vous avez votre massue, j’ai la mienne, et c’est suffisant pour des hommes comme nous ! Défendez-vous, Jaggar ! »

Sur ces mots, Stopa courut à Feric, sa massue dressée, et l’abattit d’un coup susceptible de pulvériser un crâne comme une coquille d’œuf.

Mais Feric avait plongé sur sa droite et, lorsque la massue de Stopa, fendant l’air en sifflant, s’abattit à l’endroit où avait été sa tête, il assena à la hampe un vigoureux coup près du manche, faisant presque choir l’arme du Vengeur. Le premier choc acier contre acier rompit l’atmosphère solennelle et déclencha les hurlements des Vengeurs, qui se mirent à agiter leurs torches.

Alors que Stopa, se reprenant avec une stupéfiante rapidité, relevait sa massue au-dessus de sa tête pour frapper un nouveau coup, Feric fit tournoyer sa propre arme selon une trajectoire serrée afin d’atteindre les rotules de Stopa. Celui-ci trébucha en arrière, évitant le coup, mais Feric parvint cependant à lui porter un direct rapide à l’estomac avec le pommeau de sa massue, au grand dam du Vengeur.

Mais, quand il ramena son bras en arrière, Stopa parvint à abattre sa massue sur l’extrémité de l’arme de Feric, ce qui empêcha celui-ci de poursuivre son avantage.

Les deux hommes s’écartèrent d’un ou deux pas, tournèrent l’un autour de l’autre quelques instants, puis, presque simultanément, chacun dirigea son coup vers la tête de son adversaire : le résultat ne fut qu’un énorme craquement de métal lorsque leurs massues s’écrasèrent l’une contre l’autre. Les Vengeurs mugirent leur agrément de ce choc titanesque, bien que ces coups n’eussent pour effet que de secouer les bras des deux adversaires.

Firent suite presque aussitôt des coups semblablement parallèles, cette fois à hauteur de poitrine, puis à nouveau une double parade. Se reprenant, Feric frappa en haute alors que Stopa venait en basse. Les deux hommes se virent donc contraints de reculer à mi-course, leurs massues sifflant dans le vide.

Stopa fit quelques pas rapides en arrière, puis revint d’un bond sur Feric, lançant un coup en direction de la tête, qui fut paré, un coup de taille à la poitrine, qui tomba à nouveau sur la hampe d’acier de la massue de Feric, puis un coup identique de l’autre côté, que Feric fut obligé de parer bas sur son arme, recevant ainsi une éblouissante onde de douleur dans son bras.

Feric exagéra alors les manifestations de sa douleur, rompant, dans un semblant de désarroi, pendant que les Vengeurs le conspuaient et que Stopa se ruait sur lui, massue brandie pour le coup de grâce. Mais soudain Feric s’arrêta net, sauta de côté au moment où la massue de Stopa arrivait en une courbe puissante, se tourna et assena au Vengeur un grand coup à la jambe, que Stopa fut juste assez agile pour parer avec sa cuisse. Stopa hurla de douleur, tout en achevant cependant son mouvement. Feric, d’en dessous, releva légèrement son arme pour parer ce coup violent.

La massue de Stopa arriva exactement au milieu de l’arme de Feric, qui l’appuya délibérément sur le sol pour amortir le coup.

Mais on entendit alors, au milieu d’un bruit franc, un craquement dérisoire de métal rouillé. L’arme de Stopa avait brisé en deux la vénérable massue de Feric, et celui-ci se retrouvait en possession d’un tronçon dérisoire.

Stopa eut une grimace de carnassier en permettant à Feric de bondir sur ses pieds. Lentement, délibérément, sa massue à hauteur de poitrine, il se mit en marche sur son adversaire, qui reculait en zigzaguant. La signification de cette manœuvre était parfaitement claire : le panache n’avait ici aucune place ; le sort avait rendu inutilisable l’arme de Feric, et il n’y aurait pas de quartier. D’ailleurs, pensait Feric lui-même, il ne demanderait aucune grâce : si son destin était de mourir ainsi, il accepterait héroïquement son sort, luttant jusqu’au bout avec tout ce qui lui tomberait sous la main, même à poings nus si nécessaire.

Stopa visa la tête de Feric, qui sauta en arrière. Le Vengeur assena un coup violent sur les côtes de Feric, coup que celui-ci eut grand-peine à bloquer avec le tronçon de sa massue ; derechef il fut repoussé en arrière, et perdit l’équilibre. Ce que voyant, Stopa leva son arme pour l’abattre sur la tête de son adversaire. À nouveau, Feric put tout juste parer le coup avec son moignon d’arme, mais, cette fois, la force du choc lui arracha son arme, et il se retrouva sans défense.

Avec un grand cri bestial, Stopa frappa en direction des genoux de Feric, l’obligeant à sauter à l’aveuglette en arrière. Ses pieds heurtèrent quelque pierre ou racine, et il s’étala. Stopa visa alors la tête ; Feric évita le coup en roulant sur lui-même, et le bout pommé de la massue s’enfonça dans la terre à ses côtés. Stopa frappa encore, et une fois de plus Feric évita le coup en se jetant de côté. Chaque fois Feric évitait les coups mortels, roulant toujours sur lui-même, mais Stopa était de nouveau immédiatement sur lui, ne lui laissant pas le temps de reprendre pied.

Feric boula une dernière fois, la massue de Stopa sifflant à ses oreilles ; cette fois, il avait roulé presque sur le brancard de bois portant le Commandeur d’Acier. De surprise, il perdit quelques précieuses secondes ; de plus, le haut de son torse, à présent appuyé sur le côté du brancard, empêchait tout mouvement. Voyant cela, Stopa hurla, brandit sa massue au-dessus de sa tête et l’abattit suivant une courbe irrésistible.

Instantanément, Feric, comme instinctivement, chercha derrière lui et, agrippant le manche de la Grande Massue de Held, leva vivement le Commandeur d’Acier pour parer le coup. La massue de Stopa frappa le tronc épais et brillant de l’arme légendaire et se brisa instantanément en mille morceaux.