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Un cri incroyable, à peine humain, jaillit des poitrines des Vengeurs ; puis un murmure d’incrédulité qui, presque aussitôt, se fondit dans le silence. Stopa recula en titubant, puis, jetant son arme inutilisable, tomba à genoux, les yeux baissés, la tête inclinée devant lui. Un instant plus tard, les autres Vengeurs l’imitaient et, adoptant cette posture d’allégeance, jetaient devant eux leurs torches enflammées. Bogel lui-même, complètement abasourdi, ne put affronter debout ce moment historique.

Feric, quant à lui, avait du mal à saisir l’énormité de ce qui lui arrivait. Sa main tenait encore le Commandeur d’Acier, la Grande Massue de Held, qui ne pesait pas plus d’une badine ; elle semblait triomphalement soutenue en l’air par une puissance répandant de sa masse dans le corps de Feric, à travers son manche, un pouvoir à la fois symbolique et réel. En lui revivaient les gènes de la maison royale de Heldon ; cela au moins pénétra son entendement ahuri avec une immédiate clarté. Le capital royal avait été éparpillé des siècles auparavant ; il n’était pas irrationnel de penser que le génotype royal émergerait un jour du bouillon génétique helder. Le fait qu’il parvînt à tenir la Grande Massue prouvait à coup sûr que c’était exactement ce qui s’était passé.

Lentement, rassemblant tous ses esprits, Feric se releva, élevant au-dessus de lui la Grande Massue luisante ; la lueur du brasier le baignait d’une splendeur orangée, ardente, et jetait des chatoiements sur la puissante masse d’acier tout entière.

Devant lui, Stopa était agenouillé, dans une attitude de soumission à la signification noble et cosmique. « Disposez de ma vie comme vous l’entendez, seigneur », murmura-t-il humblement, sans lever les yeux.

L’importance de l’événement pénétra enfin l’âme de Feric. Le destin l’avait mené à Ulmgarn pour le mettre en présence de Bogel, de telle sorte qu’ayant pris ce vapeur tardif il avait rencontré ces nobles barbares ; la destinée avait franchi l’espace et le temps pour déposer dans sa main la Grande Massue de Held. Le signe était clair : il était, de plein droit, le chef de Heldon : à preuve ce qu’il serrait dans la main, aux yeux de tous. Restait maintenant à s’assurer le pouvoir nécessaire qui lui permettrait d’occuper sa place légitime. Tels étaient son destin et son devoir ; il lui fallait saisir tout Heldon dans sa main comme il avait empoigné le Commandeur d’Acier, et utiliser cette arme pour bouter hors du pays tous les mutants et les Doms, pour exiger ensuite jusqu’au dernier pouce de terre habitable pour le vrai génotype humain. C’était là sa mission sacrée. Il ne pouvait et ne devait échouer !

Au cœur de la Forêt d’Émeraude, terre ancestrale de Heldon, Feric Jaggar, irradié par le feu de joie, brandissait triomphalement devant ses favoris agenouillés le sceptre de Heldon. Car c’étaient bien là ses partisans fanatiques, loyaux jusqu’à la mort. Aucun doute ne pouvait s’élever à cet égard dans son esprit, ni dans celui des hommes qui lui faisaient face.

Feric abaissa la Grande Massue d’acier à hauteur de ceinture, et, la tendant devant lui, s’approcha de Stag Stopa toujours agenouillé. « Debout ! » dit-il.

Stopa leva les yeux sur la Massue étincelante que Feric présentait devant son visage, avec la pointe sculptée en forme de poing de héros, le majeur orné d’un anneau à l’emblème du svastika. Il tenta d’obéir à l’ordre de Feric, hésita, puis appuya ses lèvres sur le svastika ornant l’extrémité de la Grande Massue. Puis il se mit sur ses pieds.

Profondément touché par ce geste spontané d’allégeance, Feric laissa d’abord Bogel, puis chaque Vengeur baiser l’emblème du svastika de l’arme héroïque. Un à un, ayant accompli cet acte de soumission, les Vengeurs se relevèrent, brandissant à nouveau fièrement leurs torches, les yeux brillants comme autant de charbons ardents.

Quand tous furent hardiment debout devant lui, Feric parla.

« Me suivrez-vous sans poser de question, et mettrez-vous toute votre loyauté et votre fanatisme au service de la cause de Heldon et de la pureté génétique, au besoin jusqu’à la mort ? »

La réponse fut un rugissement massif d’approbation. C’étaient là, en vérité, de magnifiques gaillards, éléments de choix pour la troupe d’assaut qu’il avait conçue.

« Parfait, déclara Feric, vous n’êtes plus les Vengeurs Noirs. Je vous rebaptise d’un nom dont vous devrez mériter la noblesse ; veillez à ne rien faire pour le souiller. »

Feric pointa la Grande Massue vers ses hommes ; le poing d’acier, avec son svastika noir sur fond blanc cerclé de rouge, brillait, tel un soleil levant, à la lumière du feu.

« Vous êtes maintenant les Chevaliers du Svastika ! » cria Feric. Il lança son bras libre à l’horizontale à la hauteur des yeux, reproduisant ainsi l’ancien salut royal. « Vive Heldon ! cria-t-il. Vive le Svastika ! Vive la Victoire ! »

Presque instantanément, Feric put contempler une forêt de bras tendus, et la troupe de choc nouvellement baptisée rugit spontanément : « Vive Jaggar ! » Le corps de Feric se raidit d’orgueil, alors qu’il était là, au cœur de la terre ancestrale, silhouette à la noblesse résolue, plus grande que la vie elle-même, héros transcendant au profil modelé par le feu.

V

Dès l’abord, Feric avait décidé qu’il ne serait ni sage ni astucieux pour lui de se glisser incognito à Walder comme n’importe quel voyageur ; il ne devait entrer dans la ville qu’avec un panache suffisant, et au milieu des acclamations. Cela signifiait qu’il lui fallait avant tout assurer sa position de chef incontesté du Parti, puis introduire les changements dans la terminologie et le style, et finalement organiser cette troupe de motocyclistes débraillés. Elle devait être judicieusement entraînée et dotée de nouveaux uniformes du Parti, de couleurs suffisamment frappantes. Cela fait, il entrerait dans Walder à la tête des Chevaliers du Svastika.

Il avait ordonné à Bogel de louer un local isolé, de dimensions suffisantes pour y rassembler les notables du Parti. Bogel avait trouvé un pavillon de chasse inoccupé situé sur la crête rabotée d’une petite montagne, à l’intérieur de la Forêt d’Émeraude, près de la limite septentrionale, à deux heures de vapeur de Walder, dans la région vallonnée du Nord. Pour atteindre le pavillon, les chefs du Parti devraient emprunter un long chemin en lacet qui escaladait la crête à travers des bois épais et de sauvages ravines, parcours susceptible de déterminer un impact psychologique important. Le pavillon lui-même était un édifice simple mais impressionnant : une construction d’un étage en granit, longue, basse, dotée d’une entrée d’apparat en madriers et entourée d’arbres et de massifs naturels, face à une cour non entretenue où se terminait le chemin boueux. De la façade, la vue s’ouvrait sur une mer ininterrompue de bois verdoyants qui reposait l’œil autant que l’esprit.

À l’intérieur, une grande pièce commune était flanquée de chaque côté d’un nombre suffisant de chambres à coucher pour recevoir plusieurs dizaines de personnes. Ce pavillon de chasse, vide en cette saison, convenait parfaitement aux projets de Feric : assez proche de la ville pour faciliter les préparatifs nécessaires, mais surtout suffisamment isolé pour en assurer le secret. De surcroît, le fait même de rassembler ces citadins dans une installation aussi rustique témoignait du degré de loyauté inconditionnelle qu’exigeait d’eux leur chef. Cela les privait aussi de l’avantage psychologique dont ils auraient pu bénéficier en rencontrant Feric sur leur propre terrain. Une autorité sans faille devrait être établie dès le début.