Feric avait choisi de recevoir les chefs du Parti dans la grande salle aux murs de pierres nues et dont le plancher se composait de grossières lattes de bois. Un cercle de torches à la base de la haute voûte de pierres ajoutait sa clarté à la lumière de l’après-midi et un feu clair flambait dans la grande cheminée creusée dans le mur ouest. Les murs eux-mêmes se paraient d’andouillers, de têtes de cerfs, de fusils, d’arcs, de lances, de massues, toute une variété d’accessoires de chasse.
Au centre de la pièce, une grande table de chêne était couverte d’un dessus de velours rouge sur lequel trônait dans sa sublime splendeur la Massue de Held ; des rangées de simples chaises étaient disposées de part et d’autre de la table. Feric présidait en bout de table, face à l’entrée de la salle, sa chaise légèrement plus élevée que les autres. Derrière lui, les portes qui donnaient sur un balcon rudimentaire avaient été ouvertes, révélant une admirable vue sur la partie nord du bois et la plaine vallonnée qui étalait très loin son échiquier de fermes aux divisions parfaitement nettes : Walder miroitait, telle une cité fantôme, à l’extrême limite de la visibilité.
Une douzaine de Chevaliers du Svastika, dans leur intacte splendeur barbare, montaient la garde aux points stratégiques de la salle tandis que Bogel, Stopa et six autres ex-Vengeurs accueillaient le vapeur dans la cour. Feric, quant à lui, avait endossé une tunique de chasse brune d’une austérité provocante, certain de trancher ainsi, par l’absence évidente d’ornements, sur la tenue de tous les autres.
Bref, il lui semblait avoir préparé un accueil parfait.
Exécutant le cérémonial convenu, Stopa frappa avec vigueur sur la lourde porte de bois pour demander solennellement l’entrée. Feric donna un ordre, et l’un des Gardes-Chevaliers ouvrit la porte avec une raideur relative plus ou moins conforme à ce que devait être l’esprit de cette réception. Bogel et Stopa introduisirent une petite troupe bigarrée d’individus d’âge moyen, vaguement blêmes et soigneusement mis, six personnes en tout. Ces nababs du Parti de la Renaissance Humaine étaient de parfaits exemples du génotype humain pur, dégageant une aura de détermination opiniâtre bien qu’un peu entamée cependant. À côté de Stopa et des six vigoureux et fougueux ex-Vengeurs qui fermaient la marche, les chefs du Parti faisaient piètre figure. Lorsque les hommes furent proches, Feric ressentit quelque contrariété à la vue des spécimens qu’il allait être appelé à diriger.
Mais son humeur s’éclaira soudain quand Stopa, un sourire de camaraderie, un peu trop marqué peut-être, sur le visage, s’arrêta au bout de la table dans un beau claquement de talons, étendit son bras pour l’ancien salut royal et cria : « À Jaggar ! » Instantanément, tous les ex-Vengeurs claquèrent des talons, saluèrent avec la vigueur qui convenait, et le cri résonna dix-huit fois. Ils palliaient par l’enthousiasme leur manque de précision et de panache.
Un bref instant, les chefs du Parti jetèrent alentour des regards déconcertés, apparemment inquiets de ce qu’on attendait d’eux. Puis Bogel salua et cria « À Jaggar ! » d’une voix claire, reflétant une sincérité totale ; avec quelque lourdeur et un manque d’âme évident, le troupeau des ronds-de-cuir singea maladroitement le geste en marmonnant tout juste le salut. À ce stade, c’était tout ce qu’on pouvait en attendre.
Bogel donna aux présentations un tour admirable de concision :
« Purhommes, voici notre nouveau chef, Feric Jaggar.
— Messieurs, dit Feric, vous venez de faire, un peu maladroitement peut-être, le salut du Parti. Vous acquerrez sans aucun doute très vite l’esprit adéquat. Mais nous avons des sujets plus concrets à traiter aujourd’hui. Asseyez-vous, je vous prie. »
Bogel et Stopa prirent place respectivement à la gauche et à la droite de Feric, les officiels du Parti s’asseyant au bas de la table en jetant des regards dérobés à la Grande Massue. À n’en pas douter, ils s’interrogeaient sur la véracité des allégations de Bogel selon lesquelles le nouveau chef s’était révélé capable de la soulever. Leurs doutes s’évanouiraient en temps utile ; pour le moment, Feric préférait la franchise de leur scepticisme.
Bogel fit solennellement toutes les présentations ; Feric connaissait depuis longtemps déjà l’histoire de chacun et ses antécédents. Otrig Haulman, tavernier prospère, jouait le rôle de trésorier du Parti, tortueux sans doute, mais entièrement dévoué à la pureté génétique ; il avait prouvé sa loyauté à la cause en la soutenant de ses propres écus. Tavus Marker, de son métier concepteur publicitaire, était le secrétaire correspondancier, homme maigre à l’air malsain, mais travailleur infatigable. Heermark Bluth et Barm Decker, respectivement boucher et officier subalterne de police, étaient avec Bogel les orateurs principaux du Parti, et Manreed Parmerob, professeur d’histoire, en était le théoricien en titre. Quant à Sigmark Dugel, son rôle de président du Comité d’inscription paraissait d’une subtilité douteuse si l’on se souvenait que le Parti ne comptait pas plus de trois cents membres. Mais, en tant que général de brigade en retraite, entretenant des contacts personnels dans les cercles militaires les plus fermés, il pouvait se révéler un jour beaucoup plus utile. En bref, ce n’était pas exactement ce qu’on pouvait appeler un groupe d’élite, mais il n’était pas non plus totalement dépourvu de possibilités.
Heureusement, la présence de Stopa et des hommes robustes qu’il commandait conférait à la réunion une atmosphère de vigueur dont elle eût été sans cela dépourvue. Ils étaient des hommes manifestement capables d’agir avec énergie et efficacité et visiblement pénétrés d’un sens aigu de fidélité personnelle à l’égard de Feric. Ce dernier avait déjà donné, quant à l’esprit pratique et au ton martial, une nouvelle dimension à ce parti encore dans les limbes de la rêverie ; le fait que ses hommes se fussent pliés au nouveau salut du Parti en était une preuve.
« Nous avons de grandes choses à accomplir dans l’immédiat, Purhommes, commença Feric d’un ton tranchant. J’ai étudié le Parti de la Renaissance Humaine tel qu’il se présente, actuellement ; il faut y apporter des changements draconiens. En tout premier lieu, le nom lui-même doit disparaître. Dans l’esprit des gens normaux, il suggère une sorte de comité de bavards de taverne et non un parti de patriotes rigoureux et résolus. Quelque chose comme « Les Fils du Svastika » serait beaucoup plus approprié. Depuis le Temps du Feu, le svastika a été l’emblème sans équivoque de la pureté raciale. Il symbolise notre cause, si clairement que le dernier des rustres peut le concevoir facilement. De plus, il nous procurera certains avantages dans le domaine de la propagande, problème qui surgira plus tard.
— Idée géniale ! s’exclama Marker. Notre cause et le nom du Parti pourront donc ainsi tous deux être exprimés en un seul symbole visuel à la signification évidente, même pour des illettrés. Aucun autre parti ne dispose d’une arme aussi puissante dans cette lutte qu’est la propagande ! »
Feric demeura impressionné de la façon dont Marker avait saisi l’essence même de son intervention. Cela lui redonnait courage et affûtait son mordant. Découvrir cette qualité, aussi fortement développée, chez un subordonné constituait une révélation pleine de promesses.
Les autres, quant à eux, grommelèrent leur méfiance, exception faite pourtant du théoricien Parmerob, qui manifestait une agitation extrême. Finalement, sa contrariété se traduisit verbalement.
« Le nom du Parti de la Renaissance Humaine a été choisi après de multiples délibérations, dit-il avec irritation. Il exprime très précisément les positions fondamentales du Parti.