Lorsqu’il jugea le moment psychologique venu, Feric frappa légèrement l’épaule de Bogel, qui tapota celle du Chevalier placé à la droite du chauffeur, lequel leva son bras pour le salut du Parti.
Aussitôt, l’orchestre placé au sommet de la colline attaqua un air vif et martial, et les deux motards porte-drapeau entreprirent d’escalader la colline entre la haie d’honneur, brandissant chacun un drapeau à svastika. La voiture de Feric gravit la pente à leur suite vers le croissant de feu, chaque paire de Chevaliers exécutant à son passage le salut du Parti pour reprendre ensuite sa position initiale, de telle manière que, lorsque les porte-drapeau atteignirent le sommet, firent volte-face et s’immobilisèrent, les deux colonnes s’étaient reformées, prolongées des deux drapeaux du Parti à leur extrémité. Quand la voiture de Feric fit halte devant les porte-drapeau, les deux colonnes se séparèrent pour former un demi-cercle de motos sur la pente, à six mètres du croissant de torches, sorte de barrière de sécurité entre la tribune et la foule des citoyens qui commençaient à envahir la colline.
Sans cérémonial superflu, Bogel et Dugel descendirent de voiture et se joignirent aux autres fonctionnaires du Parti, à côté de la tribune. Feric attendit à l’intérieur que la cohue ait atteint le cercle des motos.
Il descendit alors lentement. À l’instant où son pied touchait terre, tous les fonctionnaires et Chevaliers étendirent le bras droit pour faire le salut du Parti, et un rugissement massif, comme issu du fond des cœurs, emplit l’air : « Vive Jaggar ! »
Ils gardèrent la position jusqu’à ce que Feric eût atteint la tribune, la voiture étant en même temps conduite derrière la grande croix gammée de feu, afin de ne pas nuire au spectacle. Sans monter sur la plateforme, Feric fit face à la multitude des Helders agglutinés sur les flancs de la colline : une énorme assistance, ce qui favorisait son projet. Il s’arrêta pour ménager un effet, fit mine d’inspecter les gens massés en dessous de lui et de les trouver à son goût. Puis il étendit le bras pour le salut du Parti.
Instantanément jaillit à nouveau le cri de « Vive Jaggar ! », accompagné d’un claquement de talons, puis les bras des Chevaliers et des fonctionnaires du Parti reprirent leur position initiale.
Feric, debout à côté de la tribune, la main droite délicatement posée sur la garde du Commandeur d’Acier, fixait un regard décidé sur la foule immense, tandis que Bogel montait sur la plate-forme pour faire un bref discours de présentation.
« Je ne vous parle pas ce soir en tant que chef du Parti de la Renaissance Humaine, car ce parti n’est plus. Comme le phénix de la légende, voici que de ses cendres renaît quelque chose de plus grand et de beaucoup plus glorieux, c’est-à-dire l’ultime, la véritable expression de la volonté raciale de Heldon, un nouveau parti, une nouvelle croisade, une nouvelle cause – les Fils du Svastika ! Et voici, pour diriger cette force toute-puissante, un nouveau chef, un homme nouveau, un héros au sens le plus pur du terme, je veux parler du Commandeur des Fils du Svastika, Feric Jaggar ! »
Bogel termina son allocution par un claquement de talons et le salut du Parti, aussitôt imité par tous les Chevaliers et les dignitaires aux cris de « Vive Jaggar ! » ; les dizaines de membres du Parti éparpillés aux points stratégiques de l’immense foule firent de même, déclenchant un certain nombre de saluts et d’ovations spontanés parmi l’auditoire bon enfant. Réaction somme toute plutôt favorable.
Pendant que se prolongeaient les acclamations, Bogel quitta la tribune. Après un certain temps, Feric fit un signe de la main, et une sonnerie de trompettes domina soudain le tumulte. C’est alors que Feric monta sur la plate-forme ; trouant les ténèbres, une croix gammée de feu haute de dix mètres se détachait dans la nuit derrière lui, le baignant d’une irréelle lumière rouge, embrasant les dorures de son costume de cuir noir luisant et enflammant ses yeux au regard insoutenable.
Il percevait la puissante réalité physique du mystérieux silence qui flottait au-dessus de la foule ; face à lui, des milliers d’hommes, épaule contre épaule, le regard rivé à sa personne, et à elle seule, attendaient ses paroles. Il sentit l’irrésistible force du destin sourdre dans tout son corps et ne faire qu’un avec l’énergie de sa volonté surpuissante. Il était l’incarnation de la grande cause de sa race, la personnification de la volonté raciale, et il savait que cette masse devant lui en était consciente. Il était la volonté de Heldon, il ne pouvait pas et ne devait pas échouer.
Spontanément, les mots montèrent à ses lèvres : « Plus de mille années se sont écoulées depuis le Temps du Feu, et les mutants rôdent à présent sur la terre, contaminent l’humanité vraie par leurs gènes exécrables et dénaturés. Qui peut nier que Heldon soit un bastion de pureté raciale dans une mer universelle de pestilence ? Au sud s’étend la Borgravie, État riche en potentiel génétique, et qui a donc sa place dans le domaine de Heldon, mais elle est un État actuellement gouverné par de vils mutants et des métis qui cherchent – en mêlant les races – à éliminer toute trace du pur génotype humain sur ce territoire. À l’ouest, la Vetonie et l’Husak représentent un monceau de fumier génétique où le vrai génotype est persécuté et avili. Au-delà de ces obscénités politiques s’étalent les cloaques de Cressie, d’Arbone, de Karmath et autres, où le capital génétique n’est plus bon qu’à être totalement exterminé ; enfin, plus rien que des déserts radioactifs. Tous ces mutants et ces métis sont nos plus implacables ennemis raciaux. Mais il y a pire !…»
Feric s’arrêta pour ménager un effet, et fut alors presque submergé par la vague de puissance psychique et d’approbation profonde qui le balayait, venue des dizaines de milliers d’yeux brillants braqués sur lui comme autant de charbons ardents dans la nuit noire. Il ressentit le besoin dévorant d’en entendre plus. Le peuple de Heldon nourrissait un désir racial puissant, jusqu’alors inassouvi, pour une vérité simple et sans fard. Ils étaient totalement avec lui.
« Oui, il y a pire ! rugit Feric. À l’est, tapies derrière les farces politiques de Wolak et de Malax, il y a l’inimaginable immensité et la pourriture sans égale des trous à esclaves de Zind ! C’est là que vit la moitié de la population mutante du monde, sous le contrôle d’une poignée de Dominateurs ! De vastes ressources et une population gigantesque sous la férule des abominables Doms, dont le plus grand désir est de faire disparaître de la face du globe les derniers vestiges de l’humanité pure, pour diriger une populace d’esclaves sans âme ! Et il y a pire encore ! »
Une fois de plus, Feric fit une pause ; et l’on entendit la multitude reprendre d’un coup sa respiration. Il réveillait leurs instincts de volonté raciale et de juste indignation. Il enflammait leurs esprits par l’énoncé de la simple vérité. Il créait un noyau de puissance raciale.
« Le pire se trouve à Heldon ! reprit-il. Nous avons ici un gouvernement de couards et de mauviettes qui lèchent les bottes de la pire des canailles en proposant de recourir à l’élevage d’esclaves stupides et en relâchant la rigueur des lois de pureté génétique. Ils espèrent ainsi préserver leur propre peau sans valeur en retardant le jour de l’expiation, jour qui viendra sûrement. À Heldon, où se trouve l’ultime espoir du pur génotype humain, se trouve un gouvernement d’imbéciles qui flirtent avec les Universalistes puants, tout en sachant fort bien que l’Universalisme est une machination des Dominateurs de Zind. À Heldon, patrie de la pureté humaine, nous sommes infestés par d’innombrables Doms, fanatiquement et inhumainement voués à notre destruction totale ! »