Cette fois, lorsque Feric s’interrompit, ce ne fut pas le silence, mais une grande confusion de voix furieuses qui lui fit écho. Une forêt de poings s’agita, et il s’éleva une clameur puissante, exprimant tout à la fois indignation et approbation. Les plus profonds instincts raciaux de la foule étaient à présent entièrement sortis de la léthargie où ils avaient été traîtreusement maintenus. L’air était chargé d’un puissant magnétisme, révélant aussi une grande soif pour le sang des Dominateurs.
« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle volonté fanatique de préserver la pureté raciale de Heldon ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un gouvernement animé de la volonté irrépressible de purger, par le fer et par le feu, Heldon du dernier Dom et du dernier gène contaminé ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une politique extérieure consacrée à la conquête totale, par les forces de la véritable humanité, du dernier pouce de terre habitable sur la surface de la terre. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un nouveau parti à la puissance héroïque et au zèle fanatique, capable de rejeter la canaille actuelle hors des allées du pouvoir et dans les poubelles de l’Histoire ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un pouvoir capable de conduire le peuple de Heldon à une victoire écrasante et définitive sur tous les Doms, les mutants et les métis qui s’opposent à nous ! Ce qu’il faut à Heldon maintenant, c’est le soutien fanatique de tous les vrais hommes aux Fils du Svastika ! »
Un cri irrésistible monta de la foule. Plus de dix mille bras se levèrent encore et encore, dans un salut spontané. Feric laissa cette manifestation sincère s’exprimer pendant un bon moment, gardant le regard braqué au-dessus de la multitude frénétique, silhouette virile dans le halo orange vif du svastika géant qui dominait le ciel.
Puis, d’un geste large et dramatique, il leva la Grande Massue de Held et tendit devant lui l’arme dorée, zébrée d’éclairs, pour le salut du Parti. Des murmures et des soupirs montèrent de la foule lorsqu’elle reconnut, peu à peu, le légendaire Commandeur d’Acier. Puis ce fut le silence.
La tête brillante de l’arme de Feric intercepta la lueur du feu et s’embrasa comme un petit soleil lorsqu’il la leva très haut au-dessus de sa tête. Alors, forçant la voix au maximum, il lança d’un ton solennel : « Je tiens dans ma main la Grande Massue de Held, et j’exige de régner seul et sans contestation sur Heldon et au-delà, non pas seulement pour moi-même mais au nom du Svastika ! Je voue ma personne, les Fils du Svastika et cette arme sacrée à la purification de Heldon par le sang et le fer et à l’instauration de l’autorité totale de l’humanité pure, sur la surface de la Terre tout entière ! Nous ne connaîtrons de trêve que le dernier gène mutant n’ait été balayé de la surface de la planète ! »
Comme par miracle, une seule voix parut jaillir de cette foule innombrable pour clamer : « Vive Jaggar ! Vive Jaggar ! Vive Jaggar ! » La puissance de ce cri, qui semblait porté par un océan de bras levés, était telle qu’on l’eût crue capable de fendre les cieux et de dompter les dieux eux-mêmes.
Rayonnant, Feric rengaina la Grande Massue et salua à son tour. Incroyablement, les chants redoublèrent de volume et de ferveur, et le salut fut répété partout avec frénésie. La joie transporta l’âme de Feric à des hauteurs insoupçonnées de gloire raciale. Plus de dix mille Helders étaient devenus fanatiquement loyaux au Parti. Tout comme la torche avait mis le feu au grand svastika de bois qui brûlait encore derrière lui, ses paroles et sa volonté avaient enflammé le svastika dans les âmes de ces bons Helders. Et, tel le svastika de flammes embrasant la nuit de ses langues de feu orange, le svastika des âmes helders embraserait les ténèbres de l’esprit et formerait le blason du Nouvel Âge.
VII
Les Fils du Svastika occupaient le quatrième étage d’un immeuble, qui en comptait dix, les autres se trouvant loués à des médecins, des commerçants, des artisans divers. Exécutant l’ordre de Feric, Haulman avait choisi une formule permettant au Parti d’être le locataire le plus important de l’immeuble ; en fait, il avait même été plus loin que Feric, et avait loué l’appartement à un copain qui était de loin son débiteur. En conséquence, et bien que le Parti n’occupât qu’un étage sur dix, Feric avait eu la possibilité d’imposer la nouvelle décoration de la façade entière.
Les six étages supérieurs de pierre noire avaient été peints en rouge, fond gigantesque sur lequel se détachait un svastika noir dans un cercle blanc, métamorphosant la partie supérieure de l’immeuble en un énorme drapeau du Parti. Immédiatement en dessous, une grande plaque de bronze proclamait fièrement : Quartier général national des Fils du Svastika. Deux grands drapeaux du Parti surplombaient la rue. Bref, Feric était parvenu à donner à la façade de ce bâtiment banal le reflet de son style et de ses projets.
Le quartier général du Parti n’étant à proprement parler rien d’autre qu’un drapeau rouge géant agité à la face de la vermine universaliste, des mesures de sécurité appropriées avaient été prises. Un escadron de Chevaliers en uniforme, armés de pistolets et de massues, stationnait sur le trottoir, gardant l’entrée principale vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quatre gardes surveillaient en permanence la porte elle-même. Sur le toit de l’immeuble, quatre mitrailleuses constamment en batterie couvraient tout l’horizon. Nuit et jour, des patrouilles de six Chevaliers en armes parcouraient tous les étages. Quant aux deux escaliers, unique accès au quatrième étage, ils étaient protégés par des mitrailleuses.
De l’autre côté d’une rue adjacente au quartier général, un terrain vague avait été entouré d’une haute barrière puissamment électrifiée, alimentée par un moteur à vapeur situé à l’intérieur du périmètre protégé. La garnison du quartier général vivait là, dans une série de baraques basses en bois. Cette troupe comprenait deux cents motocyclistes et leurs montures. Dans l’éventualité d’une attaque du quartier du Parti, la vermine serait coincée entre les hommes du bâtiment et ces troupes d’assaut motorisées, et proprement écrasée. Il serait même possible de soutenir une attaque menée par des éléments de l’armée régulière durant une période assez longue.
Le quatrième étage se divisait en bureaux, salles de réunions et chambres à coucher. Alors que Stag Stopa couchait dans les baraquements avec les Chevaliers et que les autres dignitaires habitaient dans leurs demeures personnelles, Feric et Bogel dormaient dans des chambres jouxtant leurs bureaux. En outre, Ludolf Best, mince jeune homme que son intelligence et sa dévotion – tant à la cause qu’à la personne de Feric – désignaient comme l’assistant idéal, dormait également dans le quartier général, à la disposition permanente de son maître.
Le bureau de Feric, bien évidemment le plus grand du quartier général, présentait un aspect volontairement austère. Les cloisons en étaient d’un bois grossièrement équarri, de celui dont on fait les baraquements militaires ; le plafond et le parquet, respectivement en plastique et en tuiles, étaient tous deux peints en rouge, leur centre orné du svastika noir dans le cercle blanc. Trois rangées de bancs en bois faisaient face au bureau en chêne de Feric, à seule fin de pouvoir réunir des groupes assez importants si le besoin s’en faisait sentir. Sur le bureau lui-même, la Grande Massue de Held trônait sur un plateau couvert de velours noir. À cela s’ajoutaient des rideaux noirs pendus aux deux fenêtres, un grand drapeau du Parti qui tapissait le mur derrière le bureau et une immense peinture à l’huile de la bataille de Roost. Telles étaient les seules décorations de la pièce.