VIII
D’entrée de jeu, le résultat était acquis. Feric, seul candidat du Svastika – alors que les autres partis présentaient des listes complètes de neuf candidats pour les neuf sièges du Conseil, à pourvoir selon les modalités d’un scrutin national élargi – était assuré de son élection au Conseil ; il était également assuré d’être le seul conseiller du Svastika dans un conseil dominé une fois de plus par les Libertariens, résultat qui faisait somme toute son affaire. Mieux valait être un héros solitaire opposé à une bande de traîtres et de lâches plutôt que le chef d’un parti politique minoritaire !
Le résultat officiel du scrutin ne posant pas de problème, la campagne devait servir à atteindre des objectifs plus généraux : il fallait démontrer avec quel fanatisme impitoyable les Fils du Svastika entendaient servir leur cause sacrée, et prouver que la volonté raciale parlait par le truchement de Feric en garantissant à celui-ci un total de voix supérieur à celui des autres conseillers. Fort heureusement, ces deux visées électorales étaient parfaitement compatibles ; on pouvait donc concentrer tous les efforts sur la mise au point d’une tactique soignée.
C’est ainsi que, trois jours avant l’élection elle-même, Feric, debout à l’arrière de sa voiture de commandement découverte, resplendissant dans son uniforme de cuir noir et sa cape écarlate et portant à la vue de tous le Commandeur d’Acier, se montrait, prêt à diriger ses troupes lors de la bataille décisive. Tapis derrière lui dans la voiture, également revêtus du cuir noir de l’élite du Parti, Bors Remler et Ludolf Best étaient armés de nouveaux pistolets-mitrailleurs de belle facture.
La force armée que Feric conduisait dans les rues de Heldhime vers le Parc des Chênes était constituée, par nécessité, de la plus importante et de la meilleure troupe que les Fils du Svastika eussent jamais réunie. Car Feric avait délibérément jeté un défi à la pègre universaliste, en annonçant à grand fracas que le dernier meeting électoral des Fils du Svastika se tiendrait dans le parc fétide situé en plein centre de Borburg, quartier puant réputé pour abriter un très grand nombre de Doms parmi les plus infects, ainsi que leurs laquais universalistes. Si les Universalistes n’annihilaient pas ce meeting par la force, ils perdraient tout crédit en tant qu’adversaires sérieux dans la course au pouvoir, et cela non seulement à Heldhime, mais dans toute la Grande République, Feric ayant choisi de consacrer sa dernière heure de télévision à la retransmission de l’événement.
Il n’ignorait pas que les Fils du Svastika se devraient d’assurer l’intégrité et la sécurité de leur meeting dans ces quartiers franchement hostiles, sous peine de connaître la même ignominie. Il avait donc mis sur pied un dispositif parfaitement capable de parer à toute éventualité. Un paquebus muni d’un grand soc d’acier précédait sa voiture ; derrière le bouclier, trois mitrailleuses S.S. et, à l’intérieur du vapeur, une troupe de choc composée des meilleurs pur-sang S.S., armés de massues et de pistolets-mitrailleurs. Encadrant la voiture de Feric, un escadron de fanatiques S.S. vêtus de cuir noir collant, montés sur de puissantes motocyclettes noires ornées de chromes éblouissants. Derrière la voiture marchaient cinq mille Chevaliers du Svastika porteurs de massues, de torches, de drapeaux à croix gammée et de longues et très lourdes chaînes. À l’arrière de cette troupe de fantassins, deux mille Chevaliers motorisés, et enfin, à l’arrière-garde, cinq cents S.S. fanatiques à pied, armés de pistolets-mitrailleurs et de massues.
Durant toute la campagne, les S.S. et les Chevaliers s’étaient parfaitement acquittés de leur tâche. Les interpellateurs qui harcelaient tous les orateurs des meetings du Svastika avaient à peine ouvert la bouche que leurs crânes éclataient sous les massues S.S. ; les Chevaliers patrouillaient partout, à tel point qu’aucun Universaliste ou orateur bourgeois ne pouvait émettre un son devant quelques auditeurs sans devenir aussitôt l’infortunée cible de leurs poings d’acier. Trois fois les Universalistes avaient tenté de tenir des meetings géants, trois fois les troupes motorisées avaient dispersé cette vermine.
Aujourd’hui, cependant, il fallait s’attendre que les Universalistes et les Doms fissent de leur mieux. Alors que sa voiture suivait le vapeur blindé le long de l’avenue Torm, fosse septique flanquée de part et d’autre de bidonvilles puants, Feric saisit fermement la poignée de la Grande Massue, impatient de passer à l’action.
« Commandeur, regardez ! » s’écria soudain Best, désignant du canon de son pistolet-mitrailleur le haut de l’avenue. Une grossière barricade de poutres, de caisses et de toutes sortes de débris et d’immondices avait été dressée en travers de la rue pour barrer le passage aux motards. Derrière la barricade se tenait une horde stupide de pauvres hères répugnants contrôlés par les Doms, armés de bâtons, de couperets, de couteaux et de tout ce qui leur était tombé sous la main ; ces malheureux aux yeux fous envahissaient la rue aussi loin que portait le regard.
Flottant au-dessus de cette masse fétide, des loques bleues et graisseuses étaient frappées de l’étoile jaune cerclée : oriflamme des Universalistes, contrôlés par les Doms.
« N’ayez crainte, Best, dit Feric, nous allons rapidement nous débarrasser de cette vermine ! » En effet, le vapeur avait été aménagé précisément pour parer à ce genre d’éventualité.
À vingt mètres de la barricade, les mitrailleurs ouvrirent le feu. De la populace qui ricanait derrière le barrage s’élevèrent soudain des cris de douleur et d’épouvante, ses rangs immédiatement ensanglantés ayant été décimés par la grêle de balles. Des dizaines de créatures, perdant leur sang par d’innombrables blessures, s’écroulèrent. Leurs camarades piétinèrent morts et blessés, se bousculant, s’agrippant les uns aux autres dans une tentative frénétique et futile pour échapper aux troupes du Svastika ; mais, la rue étant bouchée sur toute sa longueur, cette manœuvre apparut aussi impossible que lâche.
Le soc du vapeur pénétra dans la grossière barricade à quarante kilomètres/heure, la réduisant en miettes et repoussant les débris sur le côté. Les mitrailleurs S.S. tirèrent des volées de balles dans les maisons immondes qui bordaient la rue, augmentant la panique.
« En avant ! » s’époumona Feric, agitant très haut la Grande Massue de Held. Lorsque les armes du vapeur se furent tues, la voiture de commandement, entourée de sa garde d’honneur de motards S.S., entraîna l’immense formation de fantassins et le vapeur droit sur la vermine universaliste.
Les massues des Chevaliers se levaient et s’abattaient comme des marteaux-pilons, écrasant au sol les créatures hurlantes ; des chaînes tournoyaient dans l’air comme des ailes de moulin à vent, ouvrant les crânes universalistes comme des coquilles d’œufs. Tout à coup, une douzaine d’hommes gigantesques portant de longs couteaux plongèrent à travers l’écran des motards vers la voiture de commandement, leurs yeux luisants de la frénésie stupide des esclaves des Doms, la bave écumant à leurs lèvres.
« Commandeur ! » hurla Best, réduisant en pièces deux de ces infortunés avec sa mitraillette. Feric perçut la puissance illimitée du Commandeur d’Acier dans ses veines ; avec un sauvage cri de guerre, il brandit sans effort la massue. Elle frappa les deux premiers assaillants à la poitrine et pénétra dans leur chair comme si elle eût été de quelque matière crémeuse et les coupant en deux dans un jaillissement d’organes et de sang. Dans son élan, Feric brisa encore trois crânes, tandis que Remler et Best s’occupaient des autres adversaires avec leurs mitraillettes.