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Seul Gelbart eut l’impudence de répondre à cet avertissement solennel. « Oseriez-vous menacer le Conseil d’État de la Grande République, Jaggar ? Même un conseiller peut être arrêté pour trahison. »

L’ironie grotesque de ce Dom piaillant accusant un Purhomme de trahison envers Heldon manqua de déclencher le rire de Feric, malgré la colère justifiée qui avait envahi son cœur à cette ultime perfidie.

« J’aimerais bien voir cette collection de vieilles badernes arrêter les Chevaliers du Svastika et les S.S. pour trahison ! rugit Feric. Nous verrions vite qui se balancerait au gibet des traîtres ! »

Sur cette réplique. Feric tourna les talons et sortit de la salle du Conseil.

Depuis son élection au Conseil d’État, Feric avait transféré le quartier général du Parti dans un bâtiment spacieux près du centre de Heldhime, à peu près équidistant du Palais d’État et du Haut Donjon, quartier général du Haut-Commandement et siège de la garnison de la ville. Le nouveau quartier général était précédemment la luxueuse résidence d’un industriel qu’on avait convaincu de céder cet immeuble aux Fils du Svastika en échange d’une somme symbolique. Le manoir lui-même se divisait à présent en appartements pour Feric, Bogel, Waffing, Remler et Best, en dortoirs pour les fonctionnaires subalternes, en salles de réunion et bureaux, tandis que deux mille S.S. campaient sur l’immense pelouse entourée de hauts murs. Divers hangars abritaient motos et voitures. Des nids de mitrailleuses avaient été installés tous les cinquante mètres sur le chemin de ronde de la muraille. En outre, cinq obusiers étaient habilement camouflés dans la propriété. En résumé, le quartier général du Parti, transformé en forteresse, pourrait pendant un certain temps tenir à distance la garnison de la ville sans avoir besoin de renforts.

Et ces renforts se trouvaient cependant à portée de main, puisque cinq mille Chevaliers du Svastika, sous le commandement direct de Stag Stopa, stationnaient en permanence aux abords de Heldhime, à moins d’un quart d’heure de moto du quartier général. Un seul mot de Feric et ces troupes d’assaut fonceraient dans la ville et tomberaient à revers sur tout assiégeant.

Trois semaines après les élections, Feric convoqua une assemblée dans son bureau privé pour mettre le point final au plan conçu pour évincer définitivement le Conseil contrôlé par les Dominateurs. Feric n’appréciait cette pièce assez grandiose, peinte tout en bleu, aux murs couverts de riches tapisseries et surchargée de dorures, que pour son immense balcon, aux pieds duquel la vie nocturne de Heldhime étalait son tapis de lumières scintillantes sous les ténèbres majestueuses du ciel. Feric, Waffing, Bogel et Best, assis sur des chaises de velours autour d’une table ronde en bois de rose, des chopes de bière posées devant eux, attendaient Remler, pour une fois en retard.

« À mon avis, dit Bogel, notre problème est de prendre le pouvoir à l’abri d’une façade légale afin que l’armée n’ait pas à se poser la question de son commandement. Est-ce que le Haut-Commandement n’accepterait pas sur-le-champ Feric comme chef absolu de Heldon si des prétextes officiels lui étaient fournis en nombre suffisant ? »

La question était adressée à Lar Waffing, qui aspira une longue gorgée de bière pour ruminer sa réponse ; reposant sa chope de bois sur la table et la remplissant au petit tonneau qui s’y trouvait, il émit son opinion, ayant mûrement réfléchi.

« Il ne fait aucun doute que le Haut-Commandement souhaite voir Heldon sous le contrôle du Svastika, car nous sommes les seuls à promettre l’action dont rêve tout bon soldat. Pourtant, les généraux ont pris l’engagement de défendre le gouvernement légal de Heldon et l’orgueil leur interdira de manquer à leur honneur. Un coup de force pourrait fort bien déclencher la guerre civile. »

Feric était profondément contrarié de cette situation. Gelbart avait déposé un projet d’ordonnance en vue du désarmement des S.S. et du licenciement des Chevaliers ; le vote de cette ordonnance par ses acolytes équivaudrait à verser de l’huile sur le feu. De toute évidence, il fallait frapper avant que les événements placent le Haut-Commandement dans une position où il n’aurait plus le choix qu’entre la capitulation devant les forces du Parti ou le déclenchement d’une guerre civile. Cependant, un coup de force mettrait l’armée dans la même situation !

« De plus, dit Waffing, le Haut-Commandement s’inquiète de plus en plus de l’activité des Chevaliers et de Stag Stopa. Il lui semble que Stopa conserve un certain nombre de partisans, puisque ses lieutenants sont tous des ex-Vengeurs dont la loyauté…»

Soudain Bors Remler fit irruption dans la pièce, son fin visage empourpré, presque fiévreux, ses yeux bleus lançant des flammes.

« Qu’est-ce qui vous a retenu si longtemps pour…

— Commandeur, fit Remler, très excité, en se jetant sur un siège à la gauche de Feric, je dois vous faire part d’un complot contre votre personne et le Parti, fomenté par Stag Stopa, de connivence avec le Conseil d’État !

— Quoi ? »

Les mots jaillirent hors de la bouche du commandant S.S. :

« J’avais, bien entendu, pris la précaution d’infiltrer des agents S.S. dans la hiérarchie des Chevaliers, dit-il. Ce soir, j’ai reçu un rapport de la plus haute importance. Stopa a rencontré des agents de Gelbart et peut-être même de Zind. Un commando de Chevaliers en uniforme exterminera le Haut-Commandement la nuit où sera passé le décret qui dissout les troupes d’assaut du Parti. Cela jettera l’armée dans une guerre civile, précisément contre le Parti. Il semble que Gelbart ait promis le commandement de l’armée à Stopa après la fin des hostilités ; peut-être même Zind lui a-t-elle offert la place de gouverneur de Heldon, car le seul résultat certain d’une guerre civile serait la destruction du gros des forces de Heldon, nous laissant à la merci d’une facile conquête par les hordes de Zind. Sans aucun doute, Stopa sera abattu par des agents de Zind à la faveur de la confusion ; il est trop naïf pour en prendre conscience. »

Un soupir général salua la fin de l’exposé de Remler. Feric était abattu et profondément mortifié. « Je n’avais jamais mis en question la loyauté de Stopa envers ma personne et la cause !

— Les preuves sont accablantes, Commandeur ! insista Remler.

— Je n’en doute pas une seconde, le rassura Feric. Mais je suis surpris et troublé par cette nouvelle. D’évidence, il faut en finir avec Stopa, mais cette obligation ne me procure aucune joie. »

Sans conteste, il lui serait pénible d’infliger un châtiment à Stopa ; mais il était certain qu’il se devait avant tout et uniquement au Svastika et à la cause de la pureté génétique. Stopa était un traître qui se mettait en travers du chemin menant à la victoire ; devoir et vues personnelles ne pouvaient pas toujours coïncider. En outre, cette malheureuse affaire pourrait être exploitée à bon escient.

Feric s’adressa à Lar Waffing. « À supposer que les scrupules du Haut-Commandement à l’égard des Chevaliers puissent être calmés une fois pour toutes, m’accepterait-il, moi, sans élection, comme chef absolu de Heldon, si ces pouvoirs m’étaient confiés par un Conseil d’État légalement constitué ?

— En ce cas, cela ne fait pas le moindre doute, Commandeur !

— Comment comptez-vous accomplir ce tour de passe-passe, Feric ? demanda Bogel. Ces crapules voteraient aussitôt leur démission… et leur entrée dans les poubelles !

— Mon cher Bogel, répliqua Feric, ce sera précisément leur destination avant la fin de la semaine. Avant cinq jours, le Svastika régnera sans partage sur Heldon !