Mais, alors qu’il rendait le salut, Feric comprenait fort bien que sa mission sacrée ne faisait que commencer. Comme une monstrueuse gangrène, l’empire de Zind se profilait à l’Est lointain, prêt à éclater comme une gigantesque pustule et à submerger l’humanité de son poison pestilentiel. Cette nuit, les tentacules de ce cancer mutant qui avait pénétré dans le corps de Heldon avaient été impitoyablement excisés, mais Feric Jaggar n’aurait pas de repos, l’humanité pure ne connaîtrait pas la paix tant que le dernier répugnant mutant, le dernier monstrueux Dom, ne seraient pas effacés de la face du globe. La Terre entière devait être purifiée de tous les agents de contagion, comme Heldon l’avait elle-même été cette nuit.
Aujourd’hui, Heldon ; demain, le monde !
X
Juché sur la haute tribune, face au Palais d’État, Feric Jaggar attendait le début de la grande parade, resplendissant dans son uniforme de cuir noir, sa grande cape écarlate flottant dans le vent. À sa droite, Lar Waffing, dans son nouvel uniforme, kaki clair avec une cape à croix gammée rouge, ainsi que Seph Bogel, sanglé dans l’uniforme du Parti ; à sa gauche, Ludolf Best, en élégant vêtement de cuir noir, et Bors Remler, dont l’habit noir était rehaussé du double éclair rouge des S.S.
Le soleil brillait haut dans le ciel limpide, et le boulevard était décoré sur toute sa longueur de bannières à croix gammées rouges, blanches et noires. Les trottoirs disparaissaient sous une foule de vigoureux Helders agitant une mer de drapeaux rouges. Les caméras de télévision retransmettaient ce spectacle dans le monde entier, et Feric espérait fortement que sa signification s’imposerait avec force et clarté aux Dominateurs de Zind.
Sans aucun doute, Heldon, en deux mois, avait progressé à pas de géant sous le commandement suprême de Feric Jaggar, et les divers commandants avaient le droit d’être fiers de l’œuvre accomplie.
Bogel avait expulsé des dizaines de crypto-Universalistes, et même quelques Doms, du ministère de la Volonté publique, et transformé ce nid de pâles plumitifs en une arme de conscience raciale.
Waffing avait d’une poigne d’acier pris le contrôle de l’armée, purgé la hiérarchie des faibles et des agitateurs, et parfaitement intégré les anciens Chevaliers dans les rangs, où ils inspiraient courage, confiance et ferveur patriotique aux soldats helders.
Sous la supervision de Feric, Best avait rédigé une nouvelle Constitution qui confiait tous les pouvoirs et toutes les responsabilités au Commandeur Suprême, celui-ci tenant sa charge de la volonté du peuple, qui pouvait le révoquer à tout moment par voie de plébiscite. Ainsi la volonté du Commandeur Suprême et la volonté raciale de Heldon ne manqueraient jamais d’être concordantes.
La tâche de Remler ne faisait que commencer. Des camps de sélection étaient installés dans chaque région de Heldon, quelques-uns même étaient déjà opérationnels, mais il fallait vérifier tous les possesseurs de certificats, et ce travail nécessitait un effort de longue haleine. Les résultats escomptés justifiaient cependant tous les sacrifices. Cette tâche une fois achevée, le dernier Dominateur sur le territoire de Heldon aurait été anéanti, tous les habitants possesseurs d’un gène de mutation auraient été stérilisés ou exilés, et la crème du génotype humain concentrée dans les S.S., ce corps devenant en quelque sorte le haras d’étalons pur-sang de la prochaine étape de l’évolution humaine.
Sans déceler aucune faille dans l’œuvre déjà accomplie sous sa direction, Feric n’avait encore guère de motifs de se réjouir. Cette parade ne constituait pas véritablement une célébration, mais un étalage de force destiné à impressionner les Dominateurs de Zind. De l’Est parvenaient des rumeurs chaque jour plus inquiétantes. Les espions S.S. avaient rapporté qu’une grande horde se massait sur les terres occidentales de Zind, près de la frontière de Wolack. On ne pouvait savoir avec précision si cette mobilisation était censée coïncider avec le complot du Conseil qui avait été déjoué, mais, ce qui paraissait évident, c’était que les Dominateurs se préparaient à marcher vers l’ouest.
Et Heldon n’était pas vraiment prêt à faire face à cette avance.
Les effectifs de l’armée avaient été doublés, mais, à l’exception des ex-Chevaliers, la plupart des nouveaux soldats étaient totalement des bleus. La S.S. élargie comptait dix mille hommes, mais dix mille S.S. supplémentaires pouvaient être trouvés lors du passage de l’ensemble de la population dans les camps de sélection, ce processus nécessitant encore quatre mois. Un nouveau programme d’armement avait été élaboré, mais la moitié seulement des troupes avait reçu les nouvelles mitraillettes et guère plus d’une dizaine de cuirassés aériens étaient sortis des chantiers ; quant aux nouveaux cuirassés terrestres légers, la production de masse ne faisait que commencer. Enfin, les munitions, pour toutes les nouvelles armes, étaient encore en quantité insuffisante.
Heldon avait besoin de quatre mois au moins avant de pouvoir lancer toutes ses forces à l’assaut de l’immensité barbare de Zind. Feric espérait avec ferveur que l’étalage de puissance armée, en ce jour de parade, produirait sur les Dominateurs une impression suffisamment terrifiante pour retarder de quelques mois leur marche vers l’ouest, le courage n’étant pas la qualité première d’un Dom.
D’énormes acclamations saluèrent l’arrivée de dix motards S.S., porteurs d’immenses drapeaux du Parti au bout de grandes hampes de cuivre, qui passèrent devant la tribune pour annoncer le début du défilé. Derrière eux venait un carré de cent S.S., la moitié brandissant des drapeaux du Parti, les autres la bannière des S.S., tous vêtus de cuir noir brillant. Lorsque la garde d’honneur passa devant la tribune officielle, les drapeaux écarlates s’abaissèrent. Feric répondit à cette marque d’honneur en lançant son bras droit pour le salut du Parti, qu’il maintint avec une rigoureuse précision tout le temps que dura la parade des troupes.
Un millier de S.S. suivaient au pas de l’oie, effectuant un magnifique tête-à-droite et le salut du Parti au passage de la tribune, leurs élégants uniformes éclaboussés de soleil, leurs bottes martelant le béton avec ensemble. Spectacle capable de répandre la terreur parmi les ennemis de Heldon !
Puis un immense contingent de l’armée en vert-de-gris défila rang après rang. Ces troupes, avec leurs capes écarlates à croix gammée, leurs nouveaux uniformes élégants, leurs mitraillettes luisantes, et leur esprit de corps revivifié, contrastaient violemment avec le troupeau misérable et débraillé que Feric avait vu lors du défilé inaugural. Sans doute étaient-ce des bleus, mais ces garçons faisaient preuve des meilleures qualités du génotype. La fierté et le mordant avec lesquels ils martelaient le pavé de leurs bottes et la précision fervente de leur salut ne pouvaient laisser aucun doute dans l’esprit du spectateur sur leur dévouement à la cause sacrée. Même la lie de Zind réaliserait qu’elle avait affaire à une armée de véritables héros en puissance.
Succédant à l’infanterie régulière, la première escadre des nouveaux cuirassés de terre déroula ses chenilles devant la tribune. Ce groupe de tanks rapides à essence contrastait puissamment avec les cuirassés à vapeur, énormes et encombrants, qui composaient encore le gros de l’armée de Heldon. Quatre fois moins grands que ces vieilles tortues pesantes, ils se déplaçaient trois fois plus vite. Plutôt qu’une énorme cabine blindée hérissée d’affûts fixes, ces tanks portaient des tourelles mobiles équipées de canons à répétition et de mitrailleuses lourdes, en plus de deux mitrailleuses pour le conducteur et son observateur, et d’un mitrailleur défendant l’arrière. Dans trois mois, l’armée compterait des centaines de ces tanks rapides, et, aussitôt les champs pétrolifères du sud-ouest de Zind conquis, l’approvisionnement en essence ne posant plus de problème, des milliers d’engins semblables pourraient être mis en chantier. L’armée de Heldon progresserait au cœur de Zind derrière un bouclier impénétrable de blindés puissants et rapides.