Le dernier tank ayant disparu, cinq grands cuirassés aériens grondèrent lourdement, au-dessus des têtes. Comme il contemplait ces énormes forteresses volantes, chacune propulsée par dix hélices entraînées par autant de moteurs à essence, Feric fut frappé d’une inspiration soudaine. Pourquoi ne pas appliquer le principe de vitesse, de nombre, de taille des nouveaux blindés à ces machines de guerre volantes ? La construction des cuirassés aériens exigeait un temps énorme et coûtait une fortune. Des chasseurs dix fois plus petits, n’utilisant qu’un moteur, voleraient deux fois plus vite et pourraient être produits en série pour le vingtième de la dépense. Heldon posséderait une armada aérienne au lieu de quelques lourds pachydermes. Oui, il fallait démarrer immédiatement la production de ces chasseurs !
Derrière les tanks arrivèrent mille motards S.S., suivis par un égal contingent motorisé de l’armée régulière, fracassant spectacle de puissance et de vitesse contenues. Le vacarme incroyable des moteurs était un cri de guerre qui ébranlait la terre.
Après les motos défila un groupe de puissants camions transporteurs de troupes. Le mot d’ordre de la nouvelle armée que construisait Feric était puissance et vitesse. Une armée capable de concentrer un maximum de forces sur un objectif donné avant que l’adversaire fût en mesure de réagir ferait de la chair à pâté de tout ennemi, même dix fois supérieur en nombre.
Enfin, une grande formation de fantassins S.S. et une autre de l’infanterie régulière fermaient la marche.
Alors que le premier des hommes en vert-de-gris passait au pas de l’oie devant la tribune en saluant, Feric aperçut un capitaine S.S. escalader fébrilement la tribune et souffler quelques mots rapides à l’oreille de Remler. Aussitôt le commandant S.S. bondit aux côtés de Feric, son visage osseux animé d’une ardeur fiévreuse.
« Eh bien, Remler, que se passe-t-il ? demanda Feric, saluant toujours les troupes qui défilaient devant lui.
— Commandeur, les hordes de Zind ont franchi la frontière de Wolack. Ils s’enfoncent irrésistiblement dans les régions septentrionales du pays. »
Cette nouvelle fit frémir Feric jusqu’à la moelle, bien qu’il ne se départît pas une seconde de son immobilité : un chef ne pouvait décemment manifester qu’un calme olympien lors d’une manifestation publique de ce genre. Il fit signe à Waffing et à Remler de se rapprocher, et appela le capitaine S.S. avec assez de discrétion pour que rien ne transparût aux yeux de la foule.
« Quelle est exactement la situation, capitaine ? demanda Feric.
— Commandeur, nos derniers rapports indiquent qu’une grande horde de Zind est à moins de cinq jours de marche de Lumb.
— Une fois la capitale envahie, il n’aura plus aucune résistance entre eux et la frontière helder, souligna Waffing. En neuf jours, ils peuvent nous tomber dessus. Nous devrions immédiatement renforcer notre frontière en bordure de Wolack avec nos meilleures troupes, essentiellement des S.S., et tenter de contenir la horde jusqu’à ce que notre nouvelle armée soit prête. »
Feric n’ignorait pas que les territoires occidentaux de Wolack se composaient de terres arables pures de toute contamination, qui n’attendaient que la colonisation humaine. Il était déjà révoltant qu’un territoire revenant si justement à Heldon fût occupé par d’aussi piètres choses que les Wolacks ; permettre de surcroît à l’infection de Zind d’inonder ce pays était impensable pour tout vrai patriote, sans parler de la menace militaire qu’une telle occupation ferait peser sur Heldon.
« Il n’est pas question de se cantonner sur la défensive alors que Zind envahit Wolack, déclara fermement Feric. Nous devons attaquer, attaquer immédiatement, et cela avec une vitesse aveuglante et une force écrasante.
— Mais, Commandeur, nous ne sommes pas encore prêts pour affronter Zind ; dans quatre mois…
— Ma décision est prise, Waffing ! le cingla Feric. Il est tout simplement exclu de laisser Zind marcher sur Wolack sans opposition. Nous allons attaquer immédiatement avec toutes les forces disponibles. »
Trente-six heures s’étaient à peine écoulées qu’une grande armée helder se trouvait déjà disposée le long de la frontière, prête à foncer sur le territoire ouest de Wolack. Feric avait mobilisé la crème de l’armée et les meilleures unités S.S. pour les mener lui-même au combat. La clef des opérations se trouvant dans la puissance et la vitesse, Feric avait rassemblé une force de choc entièrement motorisée, divisée en deux importantes colonnes.
Lar Waffing commandait un corps d’armée composé de deux divisions d’infanterie motorisée et de quelques cuirassés géants à vapeur. Cette troupe traverserait les marécages de l’ouest de Wolack pour rencontrer l’ennemi non loin de la capitale, Lumb, sur la rive occidentale de la rivière Roul. Mais, insuffisamment nombreuses, les troupes de Waffing ne pouvaient pas espérer arrêter à elles seules la horde zind.
Feric, quant à lui, flanqué du loyal Best, conduisait une division des meilleures troupes motorisées de choc S.S., soutenues par une vingtaine de nouveaux chars rapides, qui effectuerait un large mouvement tournant vers le nord-est. Si tout se passait comme prévu, la troupe de Feric foncerait en direction du champ de bataille, près de Lumb, qu’elle contournerait pour se porter à l’attaque de l’arrière des forces zind, sur la rive orientale du Roul, au moment où cette horde pataude aurait à traverser la rivière sur un pont assez étroit. Le plan exigeait que les troupes S.S. taillent rapidement en pièces des forces cent fois supérieures en nombre, mais il fallait compter sur la surprise pour rétablir l’équilibre, et la supériorité innée des S.S., muée en ferveur fanatique à la vue du Commandeur Suprême combattant à leurs côtés, ferait le reste.
Le soleil brillait dans un ciel de plomb quand Feric, chevauchant sa moto à la tête de la division, jeta un coup d’œil à sa montre, qui égrenait les dernières secondes d’avant l’heure H. À ses côtés, le visage de Best flamboyait d’une excitation juvénile, attendant de lancer sa monture.
« Pensez-vous que les Wolacks puissent résister à notre avance ? s’enquit Best d’un ton plein d’espoir.
— J’ai peine à le croire, Best. L’armée wolack n’est qu’une bande de mutants qui nous servira tout juste à nous faire la main, mais j’espère que nous aurons largement plus de besogne dans l’Est. »
Cependant, afin de gagner du temps et de l’espace, il fallait dès le début écraser Wolack sans coup férir. Les canons installés dans une cuvette, à huit kilomètres de la frontière, pulvériseraient les fortifications wolacks avant l’arrivée de l’armée et des S.S. Les deux colonnes pénétreraient alors côte à côte dans Wolack, écrasant toute résistance sur leur passage. Quand Wolack serait plongée dans une panique totale, Feric conduirait alors ses S.S. vers le nord-est.
Derrière Feric et Best progressait la garde d’élite S.S. de cent hommes, leurs motos et leurs cuirs noirs luisant au soleil, leurs mitraillettes graissées de frais, leurs massues à portée de main, prêtes à l’action. Faisaient suite à cette troupe d’élite une douzaine de tanks, le reste des motards S.S., les autres tanks légers et enfin l’armée régulière de Waffing, s’étalant vers l’ouest au-delà de l’horizon.