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Le malaise de Feric s’accrut quand il vit le Borgravien fétide qui le précédait répondre au court interrogatoire du premier des officiers, essuyer ses mains tachées d’encre à un chiffon pour le moins malpropre et reprendre sa place dans la queue devant l’officier suivant. À l’autre bout de la pièce, Feric aperçut l’entrée du pont proprement dite, où un garde armé d’un gourdin et d’un pistolet laissait pénétrer dans Heldon un échantillonnage génétique fort douteux. En fait, il se dégageait de toute cette scène une impression de laisser-aller insensé.

Le premier officier helder était jeune, blond, exemple parfait du pur génotype humain ; en outre, et bien que Feric discernât un certain relâchement dans son attitude, il portait un uniforme bien mieux taillé que ceux de la plupart de ses collègues, repassé de frais, et dont les dorures, sans être étincelantes, n’en étaient pas pour autant ternies. Devant lui, sur le comptoir noir et luisant, étaient disposés une pile de formulaires, un stylet, un buvard, un bout de chiffon sale et un tampon encreur.

L’officier fixa Feric droit dans les yeux, mais la virilité de son regard manquait quelque peu de conviction.

« Possédez-vous un certificat de pureté génétique délivré par la Grande République de Heldon ? s’enquit-il, comme pour la forme.

— Je sollicite ma certification et mon admission dans la Grande République, au titre de citoyen et de Purhomme, répondit Feric avec une dignité qu’il espéra appropriée à la circonstance.

— Bien », murmura avec hésitation l’officier, en prenant son stylet et le premier formulaire sur la pile, tout en détournant ses yeux bleus. « Réglons les formalités. Nom ?

— Feric Jaggar », répliqua fièrement Feric, guettant un signe d’intérêt à l’énoncé de son nom. Car, quand bien même Heermark Jaggar n’eût été que sous-chef de cabinet lors de la paix de Karmak, nombreux devaient être dans la patrie ceux qui révéraient toujours les noms des martyrs de Karmak. Mais le garde ne parut pas relever l’honneur attaché à la généalogie de Feric, et il coucha le nom sur le formulaire d’une main désinvolte, quoique assez mal assurée.

« Lieu de naissance ?

— Gormond, Borgravie.

— Nationalité actuelle ? »

Feric dut admettre, non sans quelque répugnance, la réalité formelle de sa nationalité borgravienne. « Toutefois, éprouva-t-il le besoin d’ajouter, mes parents étaient tous deux natifs de Heldon, détenteurs de certificats, et humains purs. Mon père était Heermark Jaggar, qui occupa le poste de sous-secrétaire d’État à l’évaluation génétique pendant la Grande Guerre.

— Vous comprendrez sans peine que la généalogie la plus illustre ne peut garantir, même à un Helder de naissance, son certificat d’humain pur. »

La peau claire de Feric s’empourpra. « Je tiens seulement à souligner que mon père n’a pas été exilé pour cause de contamination génétique, mais pour services rendus à Heldon. Comme beaucoup d’autres bons Helders, il a été victime du répugnant traité de Karmak.

— Ce n’est pas mon affaire, répliqua l’officier en encrant les doigts de Feric et en les appliquant sur les cases idoines du formulaire. Je ne m’intéresse guère à la politique.

— La pureté génétique est la seule politique de survie humaine ! s’emporta Feric.

— Je n’en doute pas », murmura stupidement l’officier, avant de lui tendre l’abominable chiffon contaminé par les doigts du métis qui l’avait précédé – et de Dieu savait combien d’autres avant lui ! Feric nettoya soigneusement ses doigts du mieux qu’il put, avec un petit coin de tissu demeuré propre, pendant que le jeune officier passait le formulaire au Helder assis à sa droite.

Cet officier d’âge mûr arborait une élégante brosse de cheveux gris et une digne moustache cirée ; de toute évidence, il avait autrefois été un personnage. Maintenant, ses yeux étaient rouges et humides comme sous l’effet de la fatigue, et ses épaules semblaient se voûter sous le poids tangible, bien que symbolique, de l’effrayante responsabilité qu’elles portaient, matérialisée sur les épaulettes de sa tunique par le caducée rouge dans le poing noir, emblème des généticiens. Il jeta un coup d’œil à la fiche et, d’une voix hésitante, sans regarder Feric en face, il dit :

« Purhomme Jaggar, je suis le docteur Heimat. Certains tests vont être nécessaires pour pouvoir vous délivrer un certificat de pureté génétique. »

Feric avait du mal à en croire ses oreilles. Quelle sorte de généticien était-ce donc là pour énoncer une telle évidence après lui avoir cependant fait l’honneur explicite d’un « Purhomme » ? Quelle était la raison profonde de la mollesse et de l’incroyable manque de rigueur dont faisait preuve la garnison du poste-frontière ?

Heimat transmit la fiche à son subordonné, jeune homme mince à la peau claire et aux cheveux châtains, qui arborait l’insigne de secrétaire. Au moment où la feuille passait de main en main, l’attention de Feric se porta une seconde sur lui, et sa perplexité fit instantanément place à la plus horrible des sensations.

En effet, bien que le secrétaire pût sembler génétiquement pur à un œil moins sagace que le sien, Feric eut la certitude que ledit secrétaire était un Dom !

Il n’aurait pu préciser quelles caractéristiques particulières le désignaient comme tel, mais l’aspect général de la créature hurlait véritablement sa nature de Dom à tous les sens connus de Feric : une certaine lueur corrosive dans l’œil, une subtile fatuité dans l’attitude. Peut-être Feric percevait-il d’autres indications à un niveau entièrement subconscient : une odeur corporelle malsaine, détectable seulement par les tréfonds de son cerveau, une émission infinitésimale d’énergie électromagnétique, suffisante pour le mettre en alerte alors même que le champ de dominance n’était pas dirigé sur lui. Peut-être était-ce tout simplement que Feric, homme pur, isolé le plus souvent au milieu de mutants et de métis dans un pays sous la coupe des Doms, avait développé une sensibilité psychique à leur présence, sensibilité dont étaient dépourvus les Helders, vivant en vase clos. Malgré tout, et bien qu’il eût été continuellement à la merci des Doms depuis sa naissance, Feric n’avait jamais été pris dans un filet mental ; il n’empêchait que sa volonté avait quelquefois été mise à rude épreuve. Il tirait certainement de cette tension constante la capacité de détecter un Dom, et peu importaient les subtilités de sa méthode.

Et voilà que, devant lui, formulaire et crayon à la main, au coude à coude avec un généticien helder en très fâcheuse posture, se trouvait l’une de ces ignobles créatures ! Tout devenait clair. La garnison tout entière était prisonnière, à des degrés divers, du champ de dominance que ce secrétaire apparemment insignifiant avait patiemment et laborieusement mis en place. C’était monstrueux ! Mais que faire ? Comment convaincre des hommes pris dans une nasse de dominance de la présence de leur maître ?

Heimat avait disposé devant lui un petit arsenal d’appareils scientifiques, à vrai dire fort réduit ; le toubib borgravien auquel Feric avait eu recours bien malgré lui à Gormond l’avait soumis à une gamme de tests largement supérieure à celle dont semblait disposer le Helder.