Выбрать главу

Abigaël caressait Léa, aux portes de l’inconscience. Même blessé, Freddy jouissait de la situation.

— Grâce à mes enregistrements, j’ai pu me tenir au courant de l’évolution de mon affaire, savoir où vous en étiez dans l’enquête, vous entendre raconter à quel point les parents souffraient. C’était moi qui nettoyais la merde dans la salle, tous les jours. J’en profitais pour récupérer le dictaphone et le remplacer par un autre avec une batterie chargée. Je n’en perdais pas une miette. La nuit, chez moi, j’écoutais les conversations, les petits secrets de chacun. Ça m’instruisait, ça m’occupait. Ça donnait un sens à ma vie. Tu devines alors ma surprise, quand j’ai écouté la conversation entre ton père, le légiste et le gendarme. L’accident qu’ils prévoyaient, le vol des corps, le lieu et l’heure où ça devait se produire… Tu imagines, Abigaël ? C’était… prodigieux. Je l’ai écoutée trois ou quatre fois, cette conversation, tellement c’était incroyable. Et j’ai eu une idée… Me mêler à leur secret. J’avais là la possibilité de te faire souffrir encore plus et de tenir ce salopard de gendarme par les couilles. De vous rendre tous dingues. Ça pimentait sacrément le jeu.

Il s’appuya sur une main en gémissant. Il se mit à genoux, le poing sur l’arme, et parvint à se lever. Abigaël comprit que c’était la fin.

— Tu m’as aperçu, la fameuse nuit du 6 décembre, je crois. J’étais embusqué dans les bois en attendant que l’accident se produise. J’ai vu le Kangoo se garer plus loin, les phares éteints. Il fallait que je sois à proximité du véhicule, je savais que ton père et le gendarme y déposeraient le corps endormi de ta fille et que je devais agir vite. J’ai voulu traverser dans l’obscurité mais ton père a surgi à ce moment-là. J’ai plongé dans les fourrés, vous vous êtes arrêtés. Tu es sortie, je t’ai sentie toute proche de moi… Et puis, vous avez redémarré. La machination de ton père et du gendarme s’est mise en marche. Le faux accident… Ta fille inconsciente, amenée dans le Kangoo juste devant moi. Pendant qu’ils s’occupaient de l’accident, je l’ai embarquée, j’ai disparu dans les bois et j’ai rejoint ma voiture que j’avais cachée de l’autre côté de la forêt. Je te raconte pas la suite.

Il souleva son fusil avec difficulté et mit en joue Abigaël.

— Tu es la dernière des quatre. J’aurais aimé te faire crever d’une autre façon, j’avais prévu de t’enfermer dans un cube de verre et de te regarder te noyer, lentement, mais… je suis plus en grande forme et il faut aller vite, maintenant. On va tous se retrouver en enfer.

Léa se mit à hurler, lovée contre le ventre de sa mère. Abigaël fermait les yeux et serrait sa fille de toutes ses forces. Freddy ajusta sa visée.

Son index n’eut pas le temps d’appuyer sur la détente. Il venait de s’effondrer au sol.

Alice se tenait debout, juste derrière, la manivelle en fer serrée entre les deux mains.

Elle se rua sur le corps immobile et frappa, frappa, frappa…

88

On such a winter’s day (California dreamin’) On such a winter’s day

Abigaël bascula sur le côté et tâta le dessus de la commode, à demi consciente. Elle mit quelques secondes à sortir du sommeil et à se rendre compte qu’elle était dans un lit. Et cette musique… Elle allait se lever quand un bras passa au-dessus de son épaule et vint lui serrer la poitrine. Elle poussa un hurlement.

— Je te fais si peur que ça ?

Abigaël resta tétanisée dans son lit. La voix… L’odeur de la peau, imprégnée de tabac… Ça n’était pas possible. Pas lui. Pas Frédéric.

Il se serra contre elle, comme pour l’emprisonner.

— Tu as encore fait un cauchemar, on dirait. Tu es trempée.

Abigaël se mit à trembler. Non… Elle parvint à se glisser sur le côté et tomba lourdement. Sa tête lui tournait, les murs dansaient autour d’elle. Un mot résonna sous son crâne : Propydol. Elle se redressa illico et tituba jusqu’au salon. La porte d’entrée était verrouillée, la clé n’était nulle part. La vision trouble, Abigaël chercha sur le bureau, la table, les meubles, revint vers la porte et essaya de forcer.

— C’est ça que tu cherches ?

Lorsqu’elle se retourna, Frédéric se tenait à l’entrée du salon. Il agitait la clé du bout de ses doigts, tel un gardien de prison pervers.

— M’approche pas ! s’écria Abigaël.

Elle s’empara de la paire de ciseaux posée sur le bureau. Frédéric avançait au ralenti, les mains ouvertes devant lui en signe d’apaisement.

— Ne fais pas de bêtise, Abi, d’accord ? Tu pourrais te blesser. Tu n’es pas dans ton état normal.

Abigaël se trouvait acculée dans un coin, face à l’impossible. Frédéric était mort ! Elle jeta un œil vers son avant-bras gauche. Tout y était : les piqûres d’aiguille, les six brûlures de cigarette. Alors, elle souleva le bas de sa nuisette. Sur sa cuisse, un pansement récent. Dessous, un nouveau tatouage, le cinquième.

Tu as tout inventé

Elle se laissa choir contre le mur. Plus la force de se battre. Elle releva son regard triste vers Frédéric.

— C’est toi. C’est toi qui as fait faire ce tatouage sur mon corps.

Il s’orienta vers le meuble du salon.

— Non, Abigaël, c’est toi. C’est toi qui t’es rendu compte que rien de ce que tu avais imaginé n’existait. Tu t’es mise à raconter des choses bizarres, dénuées de sens. Que j’avais quelque chose à voir avec toute cette histoire. Que ta fille était vivante. Tu ne te rappelles vraiment plus ou tu fais semblant ?

Abigaël ne savait plus, ne comprenait plus. Où était le rêve ? La réalité ? Qu’est-ce qui était vrai ? Qu’est-ce qui était faux ? Frédéric ouvrit le tiroir.

— Tout va bien se passer, d’accord ? Je vais juste prendre mon téléphone. Tu es encore en pleine crise, je vais appeler les secours, ils vont te prendre en charge. Parce que tu risques de te faire mal avec cette paire de ciseaux.

— Comment tu as fait… Comment tu as réussi à t’en sortir ?

Il n’y avait plus rien dans la voix d’Abigaël. Que des sonorités mortes. En guise de téléphone, Frédéric s’empara de son pistolet et le braqua sur elle.

— Tu sais quoi ? Je ne suis pas en train de te parler en ce moment même. Non, non, je suis encore dans mon lit. En me réveillant, je vais me rendre compte que la place à mes côtés est vide. Alors, je vais venir ici et te retrouver morte, ces ciseaux enfoncés dans ton ventre. Tu te seras suicidée.

Il s’approcha, toujours avec son arme braquée, et arracha la paire de ciseaux des mains d’Abigaël. Puis il s’agenouilla. Ensuite, il écrasa les pointes de métal au niveau de son foie.

— Quand on est malin, on peut toujours s’en sortir.

Et il vrilla les lames dans sa chair jusqu’à la garde.