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Tandis que les patrouilles perdaient leur temps, les troupes demeurées sur place recevaient le meilleur accueil de la population. Victuailles et boissons leur étaient largement distribuées et les soldats recevaient quantité de confidences qui n’avaient rien à voir avec l’objet de leur mission. Si bien que cette quête finit par se perdre dans une émolliente et vaine convivialité de façade.

Rien n’est jamais totalement inutile et le Séraphin finit tout de même par apprendre des habitants du Faubourg que la Prairie, loin d’être un endroit paisible, était la demeure d’une race de monstres, farouches ennemis de l’espèce humaine. Il apprit aussi que cette sanglante engeance avait creusé un tunnel qui lui permettrait de s’attaquer à la Zone Franche en passant sous la forêt.

— Et vous ne possédiez aucun appareil de mesure ou de contrôle capable de détecter ces gigantesques travaux ? Le saint homme manifestait une grande surprise. Le percement de ce tunnel n’a pu se faire sans vacarme !

— La Prairie est un monde de silence, répondit Roald Few. Le pire que nous ayons jamais entendu n’était que les sarabandes des Hipparions.

Le Séraphin se sentit de nouveau à son affaire.

— Je vais vous fournir quelques-uns des détecteurs que nous avons à bord. Ils vous seront très utiles pour être renseignés sur tous travaux d’importance qui seraient conduits autour de votre ville.

— Mais où conviendra-t-il de les installer ? Alverd Bee devinait que rien de tout cela ne serait très simple.

Le Séraphin déploya une carte. Son doigt s’abattit avec une assurance toute stratégique sur telle ou telle partie du plan.

— Ici… et là… et encore ici… Il désigna une douzaine de points disposés en demi-cercle. Quant au récepteur, vous pouvez le loger n’importe où dans le Faubourg. Plus un coup de pioche ne vous échappera.

La satisfaction du Séraphin était sans limites. Enfin sa mission accouchait de quelque chose de sérieux.

Sentiment que ne partageaient ni Alverd Bee, ni Roald Few. Ils échangèrent un regard discret. Ils seraient prévenus ! La belle affaire…

Et après ?

Loin de ces peccadilles d’intendance, demeuré à bord de l’Israfel, le Hiérarque sombrait dans une violente colère. Il avait acquis la certitude, après le premier entretien avec les Yrarier, que l’ambassadeur l’avait sciemment trompé bien que les détecteurs de mensonges n’aient fait qu’envisager cette hypothèse. Au terme du second entretien, les détecteurs s’étaient ravisés pour conclure à une parfaite franchise. Par contre, les machines, impitoyablement, ne laissèrent aucune chance ni à Beaupré, ni à Admit bon Maukerden. Ces deux-là, que l’épidémie les emporte, étaient des menteurs patentés, des filous indécrottables. En comparaison, Rigo et Marjorie Yrarier apparaissaient comme des modèles de vertu.

Ils n’étaient, cependant, ni l’un ni l’autre des Sanctifiés et cela pesait dans la balance. Le Hiérarque s’en préoccupait. Comment leur faire confiance ? Comment leur faire aveuglément confiance ? Rien que cette obscure histoire de complot Rafalé au sein de la Fraternité Verte le troublait au plus haut point. Où était la vérité ? Où n’était-elle pas ? Se pouvait-il que l’ambassadeur et son épouse n’aient pas complètement compris le propos de frère Mainoa sur cette conjuration des Rafalés ?

Cet homme, Roderigo Yrarier, ne devait d’être ici qu’au choix peu judicieux du Hiérarque précédent, son parent de surcroît. Ils étaient, lui et son épouse, d’excellents cavaliers. Des cavaliers ! La belle affaire ! Le Hiérarque songeait à d’autres qualités : finesse, subtilité, sournoiserie pour tout dire. Des diplomates ! Le vieux Carlos avait fait fausse route. Pire, il aurait dû agir bien plus tôt.

Allons, on ne prendrait aucun risque en les relâchant.

Le Hiérarque s’apprêtait à se rendre lui-même à terre lorsqu’un message transmis en urgence lui parvint. Danger ! Danger, faisait savoir le Séraphin. Il y avait grand danger à fouler le sol de la Prairie. Non seulement en raison du risque d’épidémie, mais encore, et surtout, on craignait l’attaque imminente de la Zone Franche par un flot d’envahisseurs à la singulière férocité.

On ne connaissait au Hiérarque qu’une seule véritable faiblesse, des accès de colère démente. Il devenait alors incontrôlable. Cette mauvaise nouvelle ouvrit en grand les portes de la rage. Les serviteurs, ceux du moins qui avaient survécu aux crises précédentes, savaient comment réagir. Le médecin personnel du Hiérarque lui administra une dose massive de sédatifs. Le Hiérarque dormirait plusieurs jours d’affilée.

Et les Yrarier resteraient sous bonne garde.

Persun Pollut, Sebastien Mecano et Roald Few installaient les mouchards aimablement offerts par le Séraphin. Les trois hommes s’activaient dans le nord de la Zone Franche.

— Simple comme bonjour, un jeu de boy-scout, avait précisé le Séraphin.

Le travail avançait vite et bien, en effet. La plus grande partie de l’opération était achevée lorsque Persun Pollut fronça les sourcils, inquiet.

— Écoutez, vous autres…

Tous arrêtèrent de travailler et tendirent l’oreille. Dans le lointain on entendait à peu près distinctement les ratés d’un moteur, un ronronnement fragile et saccadé qui évoquait la respiration difficile d’un agonisant.

Puis ils l’aperçurent. L’aéronef surgit au-dessus des arbres. Il roulait et tanguait, tenant en l’air comme par miracle. Il parvint à survoler les dernières lignes d’arbres et, piquant du nez, se posa en catastrophe à une centaine de pas des trois compagnons.

Persun se précipita, suivi de peu par Sebastien, Roald avec quelque retard. Un moment tout resta figé dans le silence puis, avec un grincement de tôle froissée, la porte de l’aéronef s’ouvrit et un moine de la Fraternité Verte se laissa rouler sur le sol. D’autres le suivirent. Une douzaine en tout, dont certains bien mal en point.

Le moine le plus âgé prit la parole.

— Je suis frère Laeroa, parvint-il à dire, tremblant de tous ses membres, profondément bouleversé.

Il raconta son histoire.

— Après la destruction de Opal Hill et les meurtrières attaques lancées contre les estancias, nous avons suggéré à notre supérieur, frère Jhamlees Zoe, de faire évacuer la Fraternité. Il ne voulait rien savoir, nous assurant que les Hipparions n’avaient rien à nous reprocher et qu’en conséquence ils nous laisseraient en paix. Comment lui faire comprendre dans son obstination que les Hipparions n’avaient besoin d’aucune bonne ou mauvaise raison pour tuer et massacrer ? Toute discussion était inutile, il ne voulait démordre de rien… Aussi, par précaution, nous décidâmes tout de même de passer la nuit dans l’aéronef, prêts pour un décollage immédiat.

— Vous étiez déjà dans cet appareil lorsque les Hipparions ont attaqué ?

— Oui. Dès le début de l’incendie, précisa un jeune moine, nous avons décollé pour nous poser à l’écart avec l’idée de revenir chercher les survivants plus tard. Plusieurs jours se sont écoulés, je ne sais plus combien… et nous n’avons pu recueillir qu’un seul de nos frères.

— De notre côté nous avions déjà récupéré une vingtaine de vos compagnons, des jeunes surtout, ajouta Sebastien. Ils erraient à l’aveuglette dans la steppe, terrorisés. Il y en a encore d’autres, peut-être, des recherches quotidiennes sont organisées. Les Hipparions semblent avoir disparu du secteur, ils doivent se camoufler à la lisière de la forêt.