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— L’osier d’or ? Notre allié le plus fidèle, comme toujours. L’autre jour, alors que je quittais le Monastère pour regagner la cité, le Vénérable Laeroa, travailleur infatigable, vantard impénitent, m’a annoncé qu’il s’était livré à quelques petites expériences visant à corriger certains défauts de cette admirable plante. Je ne sais ce qu’il faut en penser. Comment peut-on améliorer la perfection ? On peut seulement regretter que l’osier pousse en si petite quantité. Le frère a bien essayé de mettre les semences en ligne ; il n’est sorti de terre que de pauvres tiges atrophiées.

Le ronronnement reprit de plus belle, et s’acheva sur une note interrogative.

— S’ils nous surveillent ? Mainoa riait sous cape. Bien sûr, qu’ils nous surveillent ! Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les témoignages de nos moinillons. Ils appellent ce phénomène les yeux de la Prairie, des yeux fixés sur le Monastère. Cette vigilance ne facilite pas notre recherche de la vérité.

L’arbre resta muet. Frère Mainoa se risqua à regarder en l’air et ne vit que la clarté grise du ciel à travers les interstices d’une plate-forme faite d’un treillage de brindilles et de feuilles. Un coup d’œil sur la gauche lui permit d’apercevoir, dominant l’horizon vallonné, les plus hautes tours du Monastère, situé sur l’autre versant.

— Encore à grommeler dans votre barbe, frère Mainoa ? demanda une voix sévère.

Le coupable sursauta, puis reconnut, dissimulée dans la pénombre sous l’arbre voisin, la silhouette du Vénérable Noazee Fuasoi, chef de la Sécurité, sous-responsable du Doux Endoctrinement. Par quel mystère se trouvait-il près des fouilles, à une heure si tardive ?

Mainoa se leva, adoptant une attitude d’immobilité attentive et respectueuse. Le sbire à la triste figure l’avait-il suivi ? Si cela était, depuis combien de temps se tenait-il ainsi embusqué, aux aguets ?

— Je réfléchissais, Vénérable. Ces ruines m’intriguent toujours autant. Je cherche, je suppute.

— Vous semblez plutôt préoccupé de jardinage.

— En effet. Je suis toqué de jardinage, si je puis me permettre. L’hybridation, en particulier, me passionne, et quantité de croisements me trottent dans la tête.

— Vous devez à cette déplorable habitude du soliloque d’avoir été maintenu à une tâche subalterne de violateur de ruines, alors que vous devriez exercer depuis longtemps un office plus digne de vos cheveux blancs.

— Je ne le sais que trop, Vénérable, soupira humblement Mainoa, vouant à part lui aux gémonies les ronds-de-cuir occupés au matin au soir à frotter leur panse contre les bureaux du Monastère. S’il n’est pas trop tard, je ferai en sorte de m’amender.

— N’y manquez pas. Il me déplairait d’avoir à porter votre cas à l’attention du Révérend Jhamlees Zoe. Le Révérend ne badine pas avec la Doctrine.

Pour cette fois, Mainoa n’avait pas envie de le contredire. L’ardeur missionnaire de Jhamlees Zoe n’avait pas eu le temps de s’épuiser. Il prenait son travail à cœur, le misérable. Tôt ou tard, la Prairie aurait raison de son obstination.

— Je sais, Vénérable. Je comprends.

— Espérons-le, frère Mainoa. Vous avez été désigné pour servir d’escorte à une nouvelle recrue, voilà ce que j’étais venu vous dire. Le Saint-Siège nous envoie un acolyte récalcitrant, un de plus. Le frère Shoetai et moi-même rentrerons au Monastère à pied. Nous vous laissons notre véhicule, que vous utiliserez demain pour vous rendre au spatioport.

Mainoa s’inclina en silence. Le Vénérable rota sans vergogne et se passa sur l’estomac une main lénifiante.

— Un an avant le terme de son service, les nerfs ont lâché, murmura-t-il. Il s’est donné en spectacle en plein réfectoire, si j’ai bien compris. Il a conservé le nom qu’il portait à sa naissance, Rillibee Chime, vous lui trouverez un pseudonyme satisfaisant.

— Je tâcherai, Vénérable.

— Le vaisseau arrive à l’aube. Je vous recommande donc de vous lever tôt. Et que je ne vous y reprenne plus à monologuer.

Frère Mainoa, tête baissée, écouta décroître les pas du Vénérable. Plus tôt son ulcère l’emportera, mieux cela vaudra, songea-t-il. Les zélateurs de l’Endoctrinement étaient de dangereux abrutis, le Révérend Jhamlees Zoe étant le pire de tous.

L’arbre ronronnait de plaisir.

— Tu finiras par m’attirer des ennuis, bougonna le vieux moine. Quel sujet de satisfaction te restera-t-il alors ?

Le territoire de cent cinquante kilomètres carrés auquel les aristocrates avaient donné le nom de Zone Franche était traversé d’est en ouest par une frontière naturelle, une chaîne de rochers chaotiques. Par dérision, les roturiers avaient baptisé ce bizarre accident de relief le Montebello. Cette barrière ininterrompue dégringolait le long des versants du plateau pour aller se perdre dans les profondeurs de la forêt marécageuse. Artisans, fermiers, négociants logeaient avec leurs familles et travaillaient au nord du Montebello, dans la partie qu’on appelait le Faubourg. La région située au sud, largement couverte de champs et de pâturages, rassemblait le spatioport et ses annexes, les entrepôts, les hangars à récolte et les fenils, un centre commercial, un centre de loisirs, deux établissements respectables gérés par des habitants du Faubourg, un hôtel, un hôpital. Ce vaste secteur, qui comprenait le complexe portuaire lui-même, était couramment dénommé la Métropole.

À l’ouest du port, blottis dans un méandre de la route, s’entassaient des immeubles au luxe tapageur, d’où s’exhalaient d’indéfinissables remugles, crasse, drogue, et autres substances vénéneuses. La Zone, disait-on simplement, pour désigner ce quartier de mauvaise réputation.

La prairie méridionale du plateau comportait aussi de vastes étendues de prés et de vaines pâtures ; elles descendaient en pente douce, au sud, à l’est et à l’ouest, jusqu’à l’orée de la forêt.

Une route reliait le Faubourg et la Métropole. Passante de jour comme de nuit, elle longeait la paroi orientale du Montebello et franchissait celui-ci par une brèche que l’on avait pratiquée jadis et munie d’une solide porte de forteresse, ouverte ou fermée à la discrétion des vigilants du poste de contrôle, selon l’intensité de la circulation.

L’activité du port excédait les besoins d’une population planétaire encore modeste. Il devait son trafic intense à la situation topologique privilégiée de la Prairie, les coordonnées de celle-ci dans l’espace réel coïncidant avec une destination accessible de l’espace hertzien. Cloîtrés dans leurs domaines, les aristocrates n’avaient jamais pris conscience de l’atout considérable que constituait la position idéale de leur planète. Auraient-ils découvert que la plus grande partie des richesses de la Prairie, au lieu d’être concentrées entre leurs mains, comme ils se l’imaginaient, se trouvait placée sur des comptes que les roturiers les plus prospères avaient pris le soin d’ouvrir dans des banques lointaines, qu’ils seraient tombés des nues. Peu nombreux étaient les bon qui faisaient le voyage de la Zone Franche, encore ceux-ci se contentaient-ils de rendre visite aux bureaux des compagnies d’import-export. Quant aux roturiers amenés à exercer leurs talents dans les latifundia, ils restaient fort discrets sur le volume croissant de leurs affaires.

Beaucoup plus curieux que les aristocrates, avides de couleur locale, les voyageurs en transit se risquaient volontiers au plus profond du Faubourg. Dans les échoppes des artisans, les vêtements de fibre végétale, les herbiers, les « créations » de vannerie, oiseaux ou poissons aux formes extravagantes, s’enlevaient comme des petits pains. Par contre, les touristes épris d’aventure et de grands espaces étaient condamnés à ruminer leur frustration. Les aristocrates avaient repoussé avec horreur les propositions alléchantes faites par une agence spécialisée dans les circuits aériens. En fait d’excursions, les étrangers devaient se contenter du « tour de Faubourg » à bord des navettes mises à leur disposition par l’hôtel. Au nord du Montebello, on avait donc l’habitude des nouveaux visages.