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— L’ennui ? Tu trouvais donc le temps long ?

Oui, ronronna le taillis.

— Je serai de retour demain ou après-demain. Si tout se passe comme je l’espère, j’aurai désormais un assistant, un moinillon qui promet, si le désespoir n’a pas raison de lui et si les tartufes du Monastère acceptent de le placer sous mon aile. Pas d’imprudences avec lui, surtout. Évite de te manifester avec trop d’évidence avant que je ne t’en donne la permission. Il ne se remettrait pas de sa frayeur. Il est si jeune, si malléable encore. Il était presque au terme de son service, quand sa volonté a cédé sous le poids du chagrin. Quelle tristesse…

Une image s’imposa, la porte ouverte, l’accueil chaleureux des bras tendus. Mainoa hocha la tête. C’était cela, exactement, le combustible du chagrin. Le foyer dont on est à jamais privé. Il entreprit de bourrer sa pipe.

— Mes réserves de feuilles rouges sont presque épuisées. Ce n’était jamais qu’un ersatz de tabac, mais l’arôme en est agréable. On m’a parlé d’une autre plante…

Le profond silence l’intrigua. La présence ne se révélait plus que par un souffle imperceptible qui devait être un effet de son imagination. Était-elle seulement douée de respiration ? Un paysage lui apparut peu à peu, par petites touches. Il reconnut la demeure de Opal Hill, au milieu de son parc magnifique à la conception duquel il avait naguère participé.

— Opal Hill, l’ancienne propriété de l’envoyé de Semling, dit-il, pour signaler qu’il avait identifié cette projection mentale.

Plusieurs personnages firent leur entrée, deux adultes, deux adolescents, étrangers, tous les quatre. La scène suivante lui présenta l’homme, la femme et le garçon en train de galoper dans la campagne environnante.

— Des chevaux ! s’exclama-t-il. De vrais chevaux terriens… Seigneur, je n’en avais pas vu depuis mon enfance.

Les images n’étaient pas neutres. Il en émanait une demande pressante, impérative. Que peux-tu me dire au sujet de ces gens, les nouveaux locataires de Opal Hill ?

— Rien, dit frère Mainoa. Rien encore. Je ne dispose d’aucun renseignement. Les chevaux ? Ce sont des animaux domestiques, et satisfaits de l’être. Ils se plaisent en la compagnie des hommes, ils aiment à leur servir de montures…

Sans raison, il se sentit gagné par un sentiment d’incrédulité. La présence mettait en doute ses dernières affirmations.

— Les chevaux sauvages sont plus heureux, dis-tu ? Comment peux-tu en être aussi sûr ? Non, je ne puis t’en dire plus. Je ne sais rien de ces gens, de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils font. Il éprouva une grande déception. Est-ce si important ? Je tâcherai de poser des questions à droite et à gauche. Les nouvelles vont si vite sur notre petit monde. J’apprendrai bien quelque chose.

Le tableau s’estompa comme un mirage. Aucun commentaire étranger ne s’immisçait plus dans ses pensées. La présence s’était retirée. Il pouvait toujours se tourner brusquement et fouiller l’herbe du regard, il n’y avait rien à voir. Maintes et maintes fois, il avait essayé de discerner un mouvement, une ombre… En vain. Quelle qu’elle soit, la créature amicale qui lui tenait parfois compagnie tenait à garder l’incognito. C’était compter sans la malice et la perspicacité de frère Mainoa.

Il entendit, comme un écho, les syllabes de son nom, détachées par la distance.

— Main-oh-ah !

Quelqu’un l’appelait de loin. La silhouette de Lourai apparut sur la crête de la colline. Il dévala le versant de toute la vitesse de ses jambes.

— Le Vénérable Laeroa désire vous parler, annonça-t-il, tout essoufflé.

— Pourquoi ? Ai-je fait quelque chose de mal ?

— Pas du tout. Enfin, pas que je sache. Le Vénérable m’a interpellé alors que j’entrais dans le bureau de Fuasoi. Il s’agit des Terriens de Opal Hill. Ils ont demandé au Monastère de leur ménager une visite guidée de la cité Arbai. Je me suis aussitôt porté volontaire pour vous transmettre l’ordre de les recevoir. Dans la mesure où il sera sur place, qu’il y reste, a proposé Laeroa, ajoutant qu’à votre âge, vous aviez bien besoin d’être secondé.

Quelle coïncidence ! songea Mainoa. Le hasard faisait vraiment bien les choses pour son ami invisible, en lui servant à domicile les nouveaux pensionnaires de Opal Hill.

— Nous avons de la chance, dit-il. As-tu précisé que tu n’éprouvais aucune affinité avec l’archéologie ?

Frère Lourai lui décocha un sourire cousu de fil blanc.

— Je me trouvais en face du Vénérable Fuasoi, aussi ai-je joué le grand jeu, avec des tremblements dans la voix. Tout, absolument tout, sauf la cité ! Fuasoi a regardé Laeroa comme s’il voulait le faire rentrer sous terre. « Fiche le camp », m’a-t-il dit. « Retourne sur le chantier et n’en bouge plus. Que je ne te revoie plus au Monastère ! Ce travail ingrat te donnera une leçon d’humilité », a-t-il conclu.

Mainoa accueillit cette dernière menace avec une moue sceptique.

— La cité nous donnera une leçon à tous les deux, n’en doutons pas, murmura-t-il. Elle sera sans aucun rapport avec l’humilité.

10

Tandis qu’ils parcouraient les anciennes rues, à présent galeries à ciel ouvert, Mainoa présentait le peuple Arbai à son nouvel assistant et faisait, pour le bénéfice de celui-ci, le point sur les nouvelles connaissances acquises par les chercheurs dans les différentes branches de la science archéologique. De part et d’autre, les façades des maisons s’agrémentaient de frises délicates, montrant les habitants de la cité en train de folâtrer au milieu des fruits et des plantes grimpantes.

— Ces ornements les représentent dans un environnement qui n’est pas celui de la Prairie, fit observer Rillibee. Je n’ai pas vu ici le moindre verger ou la moindre vigne vierge.

— Détrompe-toi. Dans la forêt marécageuse entourant la Zone Franche croissent toutes sortes de plantes luxuriantes. Leurs treilles chargées de fruits s’entortillent autour des arbres et font la joie des oiseaux. Les artistes ont presque toujours puisé leur inspiration dans la faune et dans la flore locales. Tu reconnaîtras les Hipparions, les chiens, les catiminis, les renards. Tiens, voici des colibris, et là, des arbres sculptés avec un tel luxe de détails que leur essence peut être identifiée sur-le-champ.

— Vous ne parlez que de la grande forêt. La steppe est-elle donc dénudée sur toute sa superficie ?

— Pas tout à fait. Dans certaines régions, elle se couvre de petits bois. Non loin d’ici se trouve un bosquet isolé ; je t’y conduirai bientôt.

— Quel bonheur de revoir des arbres ! fit Lourai à mi-voix.

— Les innombrables bas-reliefs qui habillent ces parois nous renseignent assez précisément sur les activités des Arbai, reprit frère Mainoa. Les scènes de la vie quotidienne sont réservées aux façades, tu le remarqueras, alors que les portes sculptées illustrent les pratiques liturgiques. Les personnages muraux sourient, contrairement à ceux des panneaux.

Lourai montra une face tordue en un rictus féroce.

— Celui-ci, par exemple, croyez-vous vraiment qu’il soit en train de sourire ?

— Est-ce de leur faute s’ils étaient pourvus d’une denture de crocodile ? Toujours est-il que les personnages figurant sur les portes ont la mine sérieuse de gens pris dans l’accomplissement d’un rituel religieux.

Le jeune frère se pencha afin d’examiner un fragment de panneau qui n’avait pas trop souffert. Même aux yeux d’un observateur profane, les visages ne semblaient pas empreints d’une solennité particulière. La frise montrait une procession, encadrée par l’éternelle guirlande de fleurs et de fruits entrelacés.