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« L’homme dont vous me parlez est mon ennemi et l’ennemi de tous ceux qui aiment les dieux, dit Umar le fabricant d’idoles, et je serais prêt à le tuer pour trois pièces de cuivre si je n’avais pas une famille à charge. Mais ce travail exige que je voyage, et cela coûte cher. Cela ne peut être fait à La Mecque, vous comprenez ? » Et il tapota de nouveau le nez de Justinianus. Cette fois, je compris ce qu’il voulait dire. Je posai une deuxième pièce d’or à côté de la première, et le fabricant d’idoles me retourna un sourire.

Il y a douze jours de cela, Mahmud a quitté La Mecque pour un de ses déplacements vers les régions de l’Est. Il n’est pas rentré. Je crains qu’il n’ait eu un de ces accidents comme il en arrive dans ces contrées perdues, et les dunes mouvantes ont dû recouvrir depuis son corps à tout jamais.

Umar, le fabriquant d’idoles, semble avoir disparu lui aussi. On dit à travers la ville qu’il est parti dans le désert à la recherche de pierres noires dont il fait certaines de ses statues et que quelque artisan rival avec lequel il était en conflit l’aurait suivi jusqu’à la carrière. Je crois, Horatius, que tu seras d’accord avec moi pour dire qu’il fallait régler la chose. La disparition d’un homme aussi connu que Mahmud risquait de soulever des soupçons, mais dans le cas d’Umar personne, à part sa femme, ne se souciera de la disparition du fabricant d’idoles.

Tout cela est évidemment bien regrettable, mais c’était absolument nécessaire.

« Il doit être mort à l’heure qu’il est », m’a dit Nicomedes hier soir. Nous nous retrouvons toujours aussi régulièrement pour dîner. « Une bien triste affaire, c’était un homme intéressant.

— Un très grand homme, dans son genre. S’il avait vécu plus longtemps, je suis convaincu qu’il aurait changé la face du monde.

— J’en doute fort, dit Nicomedes, de son air hautain typiquement grec. Mais nous ne le saurons jamais, n’est-ce pas ?

— Nous ne le saurons jamais, acquiesçai-je, en levant mon verre. À Mahmud, le pauvre diable.

— À Mahmud. » Et voilà la fin de cette triste d’histoire. Va voir l’empereur, Horatius. Dis-lui ce que j’ai fait. Prends bien soin de tout replacer dans le contexte, celui de la grande histoire impériale, passée, présente et future. Parle-lui d’Hannibal, de Vercingétorix, d’Attila, de tous les grands ennemis que nous avons eus dans le passé, et dis-lui que j’ai tué dans l’œuf un danger qui menaçait Rome plus que tous ceux que je viens de citer.

Dis-lui, Horatius. Dis-lui que j’ai épargné une conquête du monde : que ce que j’ai fait était absolument essentiel, que j’ai fait ce que personne d’autre n’aurait fait en son nom, car qui aurait eu à part moi une telle vision de ce qui nous attendait ? Dis-le lui.

Surtout, dis-lui de me rappeler à Rome. J’ai erré dans les sables d’Arabie assez longtemps. Mon travail ici est terminé. Je le supplie de m’épargner la désolation du désert, sa chaleur infernale, ma solitude. Ce n’est pas un endroit pour un héros de l’Empire.

1861 A. U. C. : La deuxième vague

Ils faisaient partie de la deuxième vague de l’invasion. La première s’était évanouie comme l’eau sur le sable. Mais aujourd’hui, l’empereur Saturninus avait envoyé une autre flotte vers le Nouveau Monde, bien plus importante que la première, et d’autres suivraient si cela s’avérait nécessaire. « Nous balayerons leurs côtes comme le fait l’océan, et à la fin nous vaincrons. » C’est ainsi que l’empereur avait déclaré la guerre, cinq ans plus tôt, lorsque la nouvelle du désastre était arrivée à la capitale. « Car Rome est aussi un océan : immense, infatigable, irrésistible. Ils ne tiendront pas devant notre puissance. »

Titus Livius Drusus se trouvait au sénat aux côtés de son père lorsque l’empereur fit son discours ce jour-là. Il avait dix-huit ans à l’époque, un jeune Romain de haut rang qui n’avait pas encore fait ses premiers pas dans la vie. Les mots de l’empereur l’avaient profondément bouleversé. Un monde lointain attendait d’être conquis – de vastes continents inexplorés au-delà des colonnes d’Hercule, débordant des trésors d’un mystérieux peuple à la peau de cuivre qui vivait là-bas ! Face au sénat, l’imposante figure de l’empereur, magnifique dans sa tunique pourpre impériale, exhortait de sa voix résonnante les hommes vaillants à porter les aigles des légions de Rome jusque dans ces contrées étrangères.

Je suis prêt, songea le jeune Drusus, concentrant toutes ses pensées sur le large front de l’empereur. Je vais réussir ! Je serai cet homme ! J’irai conquérir ce Mexique en votre nom !

Mais cinq années venaient de s’écouler, et l’empereur, fidèle à sa parole, avait effectivement envoyé cette deuxième expédition de l’autre côté de l’Océan jusqu’au Nouveau Monde. Et Drusus n’était plus un jeune homme visionnaire rêvant de conquérir d’autres mondes inconnus mais un soldat d’expérience de vingt-trois ans qui commençait à penser au mariage et à se retirer dans une villa à la campagne. On l’avait nommé officier dans l’armée d’invasion et il avait accepté, avec un peu moins d’enthousiasme qu’il n’en aurait eu quelques années plus tôt. Le sort de la première expédition occupait ses pensées. Tandis qu’il observait la côte énigmatique plongée dans les ténèbres qui s’étirait devant lui, il se demanda s’il allait laisser lui aussi ses os sur cette terre étrangère et sûrement hostile, comme bon nombre d’autres soldats romains avant lui.

C’était juste avant l’aube, le troisième jour de cette nouvelle année 1861. Au pays, le mois de Januarius était le plus froid de l’année, mais si Drusus avait eu besoin qu’on lui rappelle qu’il se trouvait loin de chez lui, cette brise chaude et sèche provenant du continent s’en serait chargée. À cette époque de l’année, même les vents d’Afrique n’étaient pas aussi chauds.

De fin rais de lumière rose caressèrent ses épaules. Au fur et à mesure que le ciel s’éclaircissait, les côtes rocheuses et inhospitalières apparurent, et sur une proche colline s’élevait à une hauteur démesurée un imposant bâtiment blanc. La terre qui s’étendait à l’ouest semblait quasiment plate et la forêt était si dense qu’aucune habitation n’était visible.

« Qu’en penses-tu, Titus ? » demanda Marcus Junianus, venu le rejoindre sur le pont. Il avait deux ans de plus que Drusus, ancien esclave de la famille, il était aujourd’hui affranchi. Libre ou pas, il avait choisi de suivre Drusus vers le Nouveau Continent. Ils avaient grandi ensemble, et bien que l’un fut issu de la vieille noblesse romaine et l’autre d’une génération d’esclaves vieille de cinq cents ans, ils étaient comme deux frères. Certes, on les aurait difficilement pris pour des frères, car autant Drusus était grand et pâle, les cheveux souples et fins, les traits aristocratiques et une façon de parler élégante, autant Marcus Junianus était plutôt trapu, le teint basané, un nez plat et d’épais cheveux bouclés, parlant avec les inflexions des gens de son rang et se comportant comme tel. Mais ils n’avaient jamais laissé ces différences se dresser entre eux : ils étaient tout simplement Marcus et Titus, Titus et Marcus, amis, compagnons, frères même, à part sur le plan biologique.

« Je crois que ça ne va pas être une partie de plaisir, Marcus. Ça se sent à plein nez. » En effet, même le vent semblait hostile : puissant, charriant une odeur forte avec quelque chose de pimenté qui n’avait rien d’agréable. « C’est quoi, ce bâtiment, à ton avis ? Une forteresse ou un temple ?

— Un temple, non ? Le Nordique nous a dit que ce pays abondait en temples magnifiques. Après tout, pourquoi fortifier leur côte quand elle est déjà protégée par des milliers de milles de mer ? »