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À midi, Drusus envoya un coursier jusqu’au camp central pour signaler son débarquement. Le soldat revint juste avant la tombée de la nuit avec un message de la part du consul Lucius Aemilius Capito l’informant que le gros des troupes se trouvait aussi à terre et que la construction du camp était en bonne voie. Au sud, Masurius Titanius avait lui aussi terminé son débarquement sans rencontrer la moindre résistance de la part des autochtones.

La première nuit au camp fut tendue, mais les premières nuits de camp en territoire inconnu le sont toujours. La nuit les enveloppa comme un linceul, sans transition entre le crépuscule et la nuit noire. C’était une nuit sans lune. Les étoiles au-dessus du camp brillaient de manière étrange, mais elles étaient disposées selon le schéma particulier des latitudes du sud. La chaleur accumulée la journée ne faiblissait pas et les hommes se plaignirent de la chaleur étouffante qui régnait dans leurs tentes. Des cris rauques leur parvenaient de la forêt. Des oiseaux ? Des singes ? Qui pouvait le dire ? Au moins, ce n’était pas des tigres. Des nuages de moustiques firent leur apparition, semblables à ceux du Vieux Continent, mais leur ronronnement lorsqu’ils vous attaquaient était plus agressif, presque jubilatoire dans son intensité et leurs piqûres provoquaient des irritations à en perdre la tête. Drusus crut même apercevoir des chauves-souris au-dessus de lui. Il avait pour les chauves-souris une aversion dont il ignorait le fondement. Ce ne sont peut-être pas des chauves-souris mais des chouettes, songea-t-il. Ou quelque race d’aigle se déplaçant de nuit.

Comme le camp ne possédait pas encore de remparts, Drusus tripla les effectifs de garde. Il passa une bonne partie de la nuit à faire le tour des vigiles. Ils étaient fébriles et apprécieraient sa présence. Eux aussi avaient entendu parler des flèches surgies de nulle part et cela les réconforterait de voir que leur commandant partageait avec eux les mêmes risques en cette première nuit chargée de menaces.

Mais la nuit se déroula sans incident. Dans la matinée, tandis que la construction des palissades reprenait, Drusus fit appeler Marcus Junianus, qu’il avait nommé préfet du camp, pour lui demander de former une patrouille de reconnaissance destinée à repérer le village mexicain le plus proche. Junianus le salua rapidement et s’exécuta.

Plus tard dans la journée, Drusus le fit rappeler à un autre sujet. Un long moment passa, puis le messager revint en l’informant que Junianus n’était pas au camp.

« Pas au camp ? dit Drusus perplexe.

— Non, Sire. Je crois savoir que vous l’avez envoyé en mission de reconnaissance ce matin. »

Drusus le fixa. La colère montait en lui comme un geyser et c’était bien tout ce qu’il pouvait faire pour se retenir de frapper le soldat. Mais ce geste de colère aurait été une manière bien stupide de réagir. Marcus était le seul fautif et non ce messager. Il n’avait jamais donné à Marcus l’ordre de partir en mission de reconnaissance, mais simplement de désigner une patrouille. Les remparts à moitié érigés, il était beaucoup trop tôt pour envoyer des éclaireurs en reconnaissance : alerter prématurément les autochtones de leur présence était bien la première chose que Drusus voulait éviter, ce qui risquait désormais d’arriver si les éclaireurs faisaient irruption dans un de leurs villages sans prendre de précautions. De toute façon, il n’avait jamais eu l’intention d’envoyer Marcus en personne accompagner les éclaireurs. Les éclaireurs étaient sacrifiables, pas Marcus.

Il réalisa que c’était une chose qu’il aurait dû anticiper. Marcus était désormais un homme libre, cherchant systématiquement à prouver son sens du civisme. À plus d’une reprise, il avait pris des risques inutiles lorsque lui et Drusus patrouillaient sur les frontières africaines. Bien sûr, en certaines circonstances, on se doit de prendre des risques délibérés.

— Drusus lui-même venait de le faire en passant une partie de la nuit avec ses hommes. Mais il y avait des risques nécessaires et des risques idiots. Imaginer que Marcus ait pu allègrement comprendre ses ordres de travers le rendait furieux.

Mais il ne pouvait rien y faire dans l’immédiat. Il lui faudrait régler cela avec Marcus au retour de la patrouille et lui interdire de prendre de tels risques à l’avenir.

Mais le jour passa, le soleil se coucha et à la nuit tombée, le groupe d’éclaireurs n’était toujours pas rentré.

Drusus n’avait pas discuté avec Marcus de la durée de la mission de reconnaissance. Il n’avait d’ailleurs jamais eu en tête de laisser la patrouille passer la nuit hors du camp, pas la première nuit ; mais seul Jupiter savait ce que Marcus pouvait bien avoir en tête. Peut-être avait-il l’intention de continuer à chercher jusqu’à ce qu’il trouve quelque chose d’intéressant.

Le jour se leva. Toujours pas de Junianus. À midi, profondément exaspéré et de plus en plus inquiet, Drusus envoya une deuxième patrouille à la recherche de la première en lui ordonnant qu’en aucun cas elle ne devait passer la nuit hors du camp. Mais elle revint au camp moins de trois heures plus tard et en voyant l’expression du capitaine, un Thracien du nom de Rufus Trogus, Drusus comprit qu’il y avait un problème.

« Ils ont été capturés, commandant », dit Trogus sans autre formalité.

Drusus fit un effort pour masquer sa consternation. « Où ? Par qui ? »

Le Thracien fit un compte rendu rapide et précis. À mille pas dans les terres à l’ouest et deux cents pas au nord, ils étaient tombés sur des traces de lutte, branches brisées, sol remué, un fourreau au sol, un javelot, une sandale. Ils avaient suivi un chemin formé par les branches cassées sur une centaine de pas à l’ouest ; puis la forêt s’était refermée, effaçant toute trace de présence humaine, la moindre branche brisée. Comme si les agresseurs, après avoir attaqué la patrouille par surprise, s’étaient mystérieusement évanouis dans la nature avec leurs prisonniers.

« Vous n’avez trouvé aucun corps ?

— Aucun, commandant. Pas la moindre trace de sang.

— Nous pouvons toujours nous féliciter de cela, je suppose », dit Drusus.

Mais c’était une bien triste situation. Deux jours après son arrivée, il avait déjà perdu une demi-douzaine d’hommes, dont son meilleur ami. À l’heure qu’il était, les autochtones pouvaient être en train de les torturer, ou pire encore. Il venait aussi d’avertir les habitants de ce pays qu’une force d’invasion venait de débarquer sur leurs côtes. Ce qu’ils auraient de toute façon fini par découvrir tôt ou tard, bien sûr. Mais Drusus aurait aimé être plus informé sur sa situation face à l’ennemi avant d’en arriver là. Et surtout, après avoir achevé la construction du camp, les équipements pour les sièges, préparé les autres machines de guerre, réaccoutumé les chevaux de la cavalerie à la terre ferme et tout ce qui s’ensuivait.