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Il se trouvait sur une place aux dimensions titanesques. Elle était bordée d’immenses bâtiments en pierre, certains rectangulaires, d’autres en forme de pyramide, tous de style inconnu mais certes impressionnants. Il leur trouvait quelque chose d’étrange et quelques instants plus tard il comprit pourquoi : il n’y avait aucune arche. Ce peuple ne semblait pas utiliser d’arches dans ses constructions. Et pourtant, leurs bâtiments étaient immenses et, de toute évidence, solides. Leurs façades étaient décorées par des fresques géométriques élaborées peintes en couleurs vives. Une interminable rangée de colonnes se dressait devant eux, qui représentaient des personnages sauvages, barbares, ressemblant à des guerriers en tenue de combat ; il n’y en avait pas deux semblables. Les colonnes étaient peintes elles aussi : de rouge, de bleu, de vert, de jaune, de marron. Au centre de la place se trouvait un autel en pierre surmonté d’une statue représentant un tigre à deux têtes ; et sur les côtés, d’étranges représentations d’un homme recroquevillé sur lui-même, la tête sur le côté. Quelque dieu, sans doute, car chaque statue avait au niveau du ventre un plateau en pierre sur lequel reposaient des offrandes de fruits et de céréales divers.

Une foule s’affairait autour d’eux, les gens étaient tels que Marcus les avait décrits, les gens du peuple habillés de simples tuniques, les nobles dans leurs robes et couvre-chefs resplendissants, tous à pied, comme si les litières leur étaient inconnues. Il n’y avait pas non plus la moindre trace d’un cheval. Tout ce qui pouvait être porté l’était à dos d’homme, même les charges lourdes. Ce genre d’animal ne doit pas exister dans ce pays, songea Drusus.

Personne ne semblait faire attention à lui tandis qu’il avançait parmi la foule.

Son escorte le guida jusqu’à la pyramide à toit plat à l’autre extrémité de la place et jusqu’en haut des interminables escaliers qui menaient au sommet du temple.

Olaus le Scandinave l’y attendait, dans toute sa splendeur royale, le fameux sceptre en pierre verte à la main. Deux autochtones somptueusement habillés pour la circonstance, des prêtres de haut rang sans doute, étaient à ses côtés. Il se leva lorsque Drusus fut à sa hauteur et tendit le sceptre vers lui d’un geste auguste et solennel.

Cette vision avait quelque chose de tellement surprenant que l’espace d’un instant, Drusus sentit ses jambes défaillir. Même l’empereur de Rome, le César Augustus Saturninus Imperator, ne dégageait pas une telle présence. Saturninus, que Drusus avait déjà rencontré plusieurs fois lors d’audiences privées, était quelqu’un de grand, d’imposant, de majestueux, la royauté personnifiée. Mais malgré tout, il n’en demeurait pas moins un homme en tunique pourpre. Mais cet Olaus, ce roi Scandinave du Yucatan, tenait plus d’un – comment le définir ? – un dieu ? Un démon ? Quelque chose de prodigieux et d’effrayant, de presque surnaturel.

Son costume lui-même avait un aspect effrayant : une peau de tigre autour de la taille, un collier d’énormes pierres vertes orné d’un pendentif en dents d’ours sur son torse nu, de longs bracelets en or, de lourdes boucles d’oreilles, et une couronne aux motifs compliqués de plumes bariolées et de joyaux étincelants. Mais ce costume incongru, si effrayant fut-il, n’était qu’un élément participant à l’effet démoniaque produit. Le personnage lui-même complétait le tableau. Olaus était plus grand que n’importe quel homme rencontré par Drusus, il le dépassait de plus d’une tête et Drusus était déjà de taille honorable. Son corps était une énorme colonne massive, avec des épaules larges, un torse saillant. Quant à son visage…

Quel visage, en effet ! Une puissante mâchoire carrée, des yeux noirs comme la nuit nichés dans de proéminentes orbites et une monstrueuse bouche figée en un perpétuel rictus. Alors que la plupart de ses compatriotes étaient en général blonds ou roux, Olaus arborait une large tignasse noire en bataille, une barbe touffue qui lui masquait les joues et une bonne partie du cou. C’était la face d’un monstre, un monstre à l’apparence humaine, cruel, implacable, impitoyable, infatigable. Mais dans le regard brillait l’intelligence d’un homme.

La description de Marcus ne l’avait pas préparé à cet homme. Drusus se demanda s’il était censé le saluer par quelque révérence ou quelque chose dans le genre. Quoi qu’il en soit, il ne le ferait pas. Mais la chose semblait pourtant s’imposer devant un tel personnage.

Olaus s’approcha de lui, tellement près que c’en était presque gênant et dit, dans un latin approximatif mais néanmoins clair : « Vous êtes le général ? Comment vous appelez-vous ? Quel est votre grade ?

— Je m’appelle Titus Livius Drusus, fils du sénateur Lucius Livius Drusus. J’assume le grade de légat légionnaire auprès de Saturninus Augustus. »

Le Scandinave lâcha un grognement, tirant sur le feulement, indiquant qu’il avait bien compris, mais qu’il n’était pas impressionné. « Je suis Olaus le Danois, devenu roi de cette terre. » Il indiqua l’homme sur sa gauche, un individu renfrogné au profil aquilin, presque aussi somptueusement vêtu que lui, et fit les présentations : « Voici Na Poot Uuc, le prêtre du dieu Chac-Mool. Et l’autre s’appelle Hunac Ceel Cauich, maître du feu sacré. »

Drusus acquiesça de la tête. Na Poot Uuc, songea-t-il. Hunac Ceel Cauich. Le dieu Chac-Mool. Ce ne sont pas des noms mais des sons.

Le Scandinave fit un geste de la main et le prêtre de Chac-Mool apporta un bol taillé dans cette pierre verte que l’on appréciait visiblement par ici et le maître du feu sacré le remplit de cette liqueur dont avait parlé Marcus. Drusus en but prudemment quelques gorgées. C’était à la fois doux et épicé, et risquait fort de lui monter à la tête s’il en abusait. Quelques gorgées polies et il leva les yeux, voulant faire comprendre qu’il en avait assez. Le prêtre de Chac-Mool lui signala qu’il devait en boire un peu plus. Drusus fit semblant de s’exécuter, et lui rendit le bol.

Le Scandinave avait rejoint son trône. Il fit signe qu’on lui apportât le breuvage d’hydromel et il en but un plein bol d’une seule traite avant de plonger son regard effrayant dans celui de Drusus. Il commença alors et sans autre préambule à faire le récit de ses aventures dans le Nouveau Monde. L’histoire était difficile à suivre, car les connaissances en latin d’Olaus ne devaient pas être brillantes au départ et visiblement il ne l’avait pas parlé depuis un bon nombre d’années. Sa grammaire était plus qu’approximative et chaque phrase était ponctuée de mots nordiques issus de sa langue gutturale ainsi que, selon Drusus, de quelques mots de dialecte local. Drusus fut néanmoins capable de recoller les morceaux et de comprendre l’essentiel de son histoire.

À savoir qu’après que Haraldus et ses compagnons l’eurent laissé au Yucatán pour prendre la mer vers l’Europe et annoncer à l’empereur la découverte du Nouveau Monde, Olaus s’était rapidement imposé par sa puissance et avait été reconnu comme un homme important parmi ces gens qu’il appelait les Mayas. Drusus fut incapable de savoir si c’était bien leur nom ou quelque invention d’Olaus. Mais il doutait fort qu’il ait un quelconque rapport avec le mois romain qui se prononçait de la même manière. Il n’eut guère de précisions quant au sort des autres Scandinaves restés dans le Nouveau Monde avec Olaus, et il se garda bien de l’interroger à ce sujet : il savait trop bien à quel point les hommes scandinaves pouvaient s’offusquer facilement et laisser éclater leur tempérament meurtrier. Mettez-en sept dans une pièce et vous en retrouverez quatre le lendemain matin, et l’un d’eux serait bien capable de mettre le feu au bâtiment et laisser brûler les trois autres. Les compagnons d’Olaus devaient certainement être morts à l’heure qu’il était.