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Après consultation d’un Capito visiblement mal en point, Drusus fit installer une rangée de ses propres archers sur la plage, pour répondre aux attaques des flèches mayas, tirées au hasard dans la jungle. Ce qui eut un succès très relatif : une douzaine de Mayas morts furent retrouvés après l’attaque. Ils portaient une sorte d’armure, faite en coton piqué. Mais les Romains avaient perdu une vingtaine d’hommes sous les flèches tombées du ciel lors de la deuxième attaque et une trentaine lors de la troisième. Le camp était perpétuellement infesté de serpents qui eux aussi continuaient leur travail de sape, d’autres hommes succombèrent aussi sous les piqûres d’autres insectes non déterminés.

La fièvre était un ennemi supplémentaire – les hommes tombèrent malades par douzaines – et les provisions commencèrent à manquer sérieusement, la tempête ayant vidé la forêt des ses cochons sauvages et de ses cerfs. Marcus Junianus prit Drusus à part : « Nous sommes battus, comme l’a été la première expédition. Nous devrions reprendre la mer et rentrer chez nous. » Drusus secoua la tête en signe de dénégation, bien que convaincu que c’était la meilleure chose qu’il leur restât à faire. Mais l’ordre de retraite devait impérativement venir de Capito et le consul était perdu dans les brumes de quelque rêve fiévreux.

Les jours passèrent ainsi. Chaque aube nouvelle apportant son lot de pertes humaines à cause de la maladie, la faim ou tout simplement l’épuisement quand les attaques régulières des flèches n’achevaient pas le travail. « Nous détruirons les murs de leur ville », déclara Capito dans un de ses rares moments de lucidité, mais Drusus savait bien que la chose était impossible. Ils avaient déjà suffisamment de mal à gérer leur propre situation au camp en cherchant de la nourriture et de l’eau potable et en repoussant les incessantes pluies de flèches.

À l’aube du vingt-troisième jour, un petit groupe d’hommes, une cinquantaine peut-être, arrivèrent en titubant sur la plage du côté sud, amaigris, le visage ravagé. Il s’agissait des derniers survivants du camp de Masurius Titianus. Ils avaient coupé à travers la forêt à la recherche d’autres Romains. Quant à Titanius, il avait succombé à son tour et tous leurs navires avaient été emportés dans la tempête.

« Il nous faut quitter cet endroit, déclara Drusus à Capito qui le regardait d’un œil vitreux. Nous n’avons aucune chance. Leurs archers nous décimerons à tour de bras un peu plus chaque jour et si nous survivons à la fièvre, Olaus le Danois enverra une armée finir le travail.

— L’empereur nous a envoyés ici pour conquérir cette terre, dit Capito, en se redressant sur son lit et en regardant autour de lui dans un vague sursaut de vitalité. Ne sommes-nous pas des Romains ? Oserons-nous nous présenter à Rome devant l’empereur pour lui faire part de notre lamentable échec ? » Il s’effondra, épuisé, en murmurant des paroles incompréhensibles ; pourtant Drusus devait encore le considérer comme son supérieur.

Au vingt-huitième jour, plusieurs centaines de Mayas se présentèrent sur la plage, armés de lances. C’était de petits bonshommes basanés pratiquement nus, hormis leurs chapeaux de plumes et leurs armures en coton. Drusus mena la contre-attaque lui-même, bien qu’il lui eût été difficile de trouver des hommes suffisamment valides pour combattre. Les Mayas résistèrent étonnamment bien face aux épées et boucliers des Romains mais finirent par être repoussés, au coût de trente vies romaines. Encore quelques batailles comme celle-ci, songea Drusus, et ce sera la fin.

Capito succomba à la fièvre le lendemain.

Drusus s’assura qu’il reçoive les honneurs d’un enterrement digne du rang d’un consul tombé en terre étrangère pour l’Empire. Lorsque les dernières paroles furent chantées et la dernière pelletée de sable jetée sur sa tombe, il prit une profonde inspiration et se tourna vers ses lieutenants. « Nous en avons terminé ici. Tous aux navires ! Aux navires ! »

Cette fois, sur plus de quarante mille hommes envoyés par Rome pour la deuxième fois à la conquête du Nouveau Monde, seulement six cents rentrèrent vivants. Des centaines périrent en mer lors du voyage de retour, dont l’équipage entier du bateau que Drusus avait confié à Marcus Junianus. Pour lui, le plus dur fût de perdre Marcus au cours de cette entreprise stupide. Il avait beau prendre du recul par rapport à sa mort, comme l’aurait fait un Romain de l’ancienne époque, il était incapable de cacher sa peine et sa douleur. Il devait aux dieux une mort, certes, mais pas celle de Marcus, et il savait qu’il porterait avec lui le chagrin et la responsabilité de sa disparition jusqu’à sa propre mort.

Le pénible voyage de retour l’avait grandement affaibli. Il lui fallut deux semaines de repos dans la maison familiale du Latium avant d’être suffisamment fort pour aller faire son rapport à l’empereur qui le reçut dans la villa royale de Tibur, vieille de mille ans.

Saturninus semblait avoir vieilli depuis la dernière fois que Drusus l’avait vu. Il était très différent de l’image qu’il en avait gardée – il s’était quelque peu affaissé et ses cheveux noirs luisants étaient désormais poivre et sel. Après tout, nous vieillissons tous, songea Drusus. Mais il n’y avait pas que cet éclat de jeunesse qui avait disparu chez l’empereur. L’aura de vitalité qui avait habité ce personnage si impressionnant semblait aussi l’avoir quitté. Le temps qui passe, songea Drusus, ou était-ce simplement le souvenir qu’il gardait d’Olaus le Danois, cet homme qui dégageait une puissance et une férocité sans limites, qui rendait aujourd’hui l’empereur moins impressionnant.

L’empereur demanda à Drusus, de manière presque détachée, de lui faire part du sort de la deuxième expédition. Drusus répondit d’un ton posé et dénué de toute émotion, décrivant d’abord la terre, le climat et la splendeur de la cité maya. Puis il en vint au désastre lui-même : il y avait d’abord eu une succession de problèmes, disait-il, la chaleur, les serpents, les scorpions, les fourmis rouges, la maladie, l’hostilité des autochtones et, pour couronner le tout, une terrible tempête. Il évita de parler d’Olaus le Danois. Il lui semblait peu opportun d’annoncer à l’empereur qu’un sauvage venu du Nord avait bâti dans cette terre du bout du monde un empire capable de tenir tête à Rome : cela risquait seulement d’énerver l’empereur et de le pousser à exiger qu’on ramène cet individu à Rome sous les fers.

Saturninus écouta toute l’histoire avec le même air détaché, posant une ou deux questions à l’occasion, mais affichant visiblement un manque d’intérêt flagrant. Drusus allait maintenant aborder la partie la plus délicate de son rapport, la synthèse de ses réflexions sur sa mission dans le Nouveau Monde.

Il fallait procéder prudemment. Il faut toujours éviter de faire la leçon à un empereur, Drusus le savait ; on ne peut que faire des suggestions, pousser son interlocuteur vers ses propres conclusions. Il faut toujours se montrer particulièrement prudent lorsque l’on a compris que le projet qui tenait tant à cœur à l’empereur s’avère irraisonné et impossible à réaliser.