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Maximilianus continuait de parler en un flot continu, chaque phrase construite avec un sens aigu du style et précis dans sa grammaire, comme s’il avait déjà ébauché sa lettre depuis plusieurs semaines, se la repassant mentalement jusqu’à ce qu’elle soit parfaite, qu’il ne lui restât plus désormais qu’à la lire à haute voix afin qu’Antipater puisse la traduire en grec byzantin.

Il s’agissait effectivement d’un document d’abdication. À la stupeur d’Antipater, Maximilianus ne se contentait pas de céder sa place sur le trône, mais il désignait Andronicus comme son successeur légal, le digne exécuteur du pouvoir impérial.

Il y avait bien sûr le problème de la descendance de Maximilianus qui n’avait jamais eu d’enfant et donc pas d’héritier officiel au trône, Germanicus n’étant guère apte à occuper la fonction. Mais, de toute évidence, Maximilianus offrait sa couronne à Andronicus, non seulement par droit de conquête mais par décision explicite du monarque déchu. Était-il nécessaire d’aller aussi loin ? S’il n’avait pas choisi de mourir, et personne ne le lui reprocherait, ne pouvait-il pas reconnaître la défaite par une simple lettre de reddition et tourner une page de l’histoire dans laquelle il conserverait une certaine dignité ?

Maximilianus continuait de parler et Antipater comprit aussitôt que ce document avait un deuxième but, plus caché.

« Je termine mon règne étant un vieil homme… » ce qui n’était pas vrai, il avait à peine plus de cinquante ans, «… et le poids du pouvoir a fini par m’épuiser, je n’aspire aujourd’hui qu’à mener une vie paisible consacrée à la lecture et la méditation dans quelque lieu de l’immense domaine de Votre Majesté Impériale. Je souhaite suivre l’exemple du César Diocletanius qui, après avoir régné vingt ans durant très précisément, comme moi, renonça volontairement à son immense pouvoir pour s’installer dans la province de Dalmatie, à Salona, où se trouve encore aujourd’hui le palais dans lequel il se retira. L’humble requête du César Maximilianus, Majesté, est que me soit accordé le droit de suivre les traces de Diocletanius, et si je puis me permettre et selon votre bon plaisir, cela s’entend, d’occuper son palais à Salona, où j’ai déjà eu l’occasion de séjourner au cours de mon règne et qui est devenu pour moi une résidence agréable où je serais heureux de me retirer dès à présent… »

Antipater connaissait bien le palais de Salona. Il avait pratiquement grandi dans son ombre. C’était un palais de taille respectable, une petite ville pourrait-on dire, au bord de la mer, avec d’énormes murs fortifiés et sans aucun doute luxueusement meublé. De nombreux Césars l’avaient utilisé lors de visites sur la superbe côte dalmate. Andronicus lui-même y avait peut-être séjourné, d’autant plus que la Dalmatie était sous contrôle byzantin depuis les deux dernières décennies.

Et voilà que Maximilianus, déchu, demandait qu’on le lui laisse – ou plutôt mendiait auprès de l’empereur, demandant « humblement », s’adressant soudain à Andronicus en l’appelant « Votre Majesté », avec cette formule « selon votre bon plaisir ». En offrant le titre royal à Andronicus sur un plateau d’argent, sans rien demander en retour sinon le droit de se réfugier derrière les murs imposants du palais de Diocletanius pour le restant de ses jours.

Quel déshonneur ! Quelle disgrâce ! Quel écœurement !

Antipater détourna le regard. Il n’osait pas laisser l’empereur voir tout le mépris qui s’y lisait.

L’empereur continuait de dicter. Quelques mots avaient échappé à Antipater, mais quelle importance ? Il pourrait toujours remplir les blancs avec quelque chose d’approprié.

«… je demeure, mon cher cousin Andronicus, votre dévoué serviteur, offrant mon vibrant témoignage de votre sagesse et de votre bienveillance, et vous prie d’accepter mes félicitations pour vos glorieux accomplissements au cours de votre règne – cordialement, Maximilianus Julianus Philippus Romanus César Augustus Imperator et Grand Pontife, et cetera… et cetera… »

« Eh bien », dit Justina lorsque Antipater lui fit un résumé du document d’abdication le lendemain soir, après avoir passé une autre journée pluvieuse à le rédiger proprement sur un parchemin. « Andronicus n’est pas tenu d’accorder quoi que ce soit à Maximilianus, n’est-ce pas ? Il pourrait choisir de lui couper la tête si ça lui chantait.

— Il ne fera pas cela. Nous sommes en 1951. Les Byzantins sont des gens civilisés. Andronicus ne voudra pas passer pour un Barbare. De plus, politiquement parlant, ce serait une erreur. Pourquoi faire passer Maximilianus pour un martyr et un héros aux yeux d’une éventuelle résistance anti grecque qui pourrait se former dans les provinces les plus coriaces de l’Ouest, quand il peut lui faire une bise sur la joue et l’envoyer à Salona ? De toute façon, l’Empire d’Occident lui appartient. Autant commencer son règne de manière pacifique.

— Alors, tu penses qu’Andronicus acceptera ?

— Oui, bien sûr. S’il fait preuve d’un minimum de bon sens.

— Et ensuite ?

— Ensuite ?

— Nous, dit Justina. Que nous arrivera-t-il ?

— Ah, oui. Oui. L’empereur a dit deux ou trois choses à ce sujet. »

Justina prit une profonde inspiration. « Vraiment ? »

Antipater continua, gêné. « Après avoir terminé de me dicter sa lettre, il m’a proposé de l’accompagner à Salona, où tout autre endroit qu’Andronicus choisirait pour lui. « J’aurai toujours besoin d’un secrétaire, même à la retraite, a-t-il dit. Surtout si l’on m’envoie dans une région grecque de l’Empire, ce qu’Andronicus fera certainement afin de me garder sous surveillance. Epouse ta petite Grecque et viens avec moi, Antipater. »C’est ce qu’il a dit mot pour mot. « Épouse ta petite Grecque. Et viens avec moi. »

Les yeux de Justina se mirent à briller. Son visage s’était empourpré, ses seins se gonflaient au rythme de sa respiration qui s’accélérait. « Oh, Antipater ! C’est merveilleux ! Tu as accepté, naturellement ! »

En fait, il ne l’avait pas fait, pas vraiment. Pas du tout, même. Il n’avait pas refusé non plus, pas tout à fait. Pas du tout. Il n’avait donné à César aucune réponse précise.

Il répondit, une certaine gêne dans la voix : « Tu sais que je serais ravi de t’épouser, Justina. »

Elle le regarda d’un air perplexe. « Et en ce qui concerne suivre César en Dalmatie ?

— Eh bien, je suppose que…

— Tu supposes quoi ? Quel autre choix avons-nous ? »

Antipater hésita, les mains brassant maladroitement l’air autour de lui. « Je ne sais pas comment t’expliquer, Justina. Mais je vais quand même essayer. Ce que César me demande est, disons… lâche. Honteux. Indigne d’un Romain.

— Peut-être. Et quand bien même ce serait le cas, quel mal y a-t-il ? Tu crois qu’il est préférable de mourir en Romain, c’est ça que tu es en train de me dire ?

— Je te l’ai déjà dit, Andronicus ne lui fera aucun mal.

— Je parlais de nous.

— Pourquoi voudrait-on nous faire du mal, Justina ?

— Nous en avons déjà parlé. Comme tu me l’as fait remarquer, tu es un officiel de la cour. À leurs yeux, je suis une citoyenne grecque qui s’est compromise avec les Romains. Ils vont certainement purger la vieille bureaucratie. Je suppose qu’on ne t’exécutera pas, mais tu passeras certainement un sale quart d’heure. Moi aussi. Pire que toi, je pense. Tu seras vraisemblablement assigné à quelque tâche subalterne et dégradante. Et en ce qui me concerne, ils me trouveront bien un usage sordide. Comme le font toujours les soldats conquérants. »