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— Dans Match ? fit Cécile rieuse, mais les autres lui firent : « Chut-t-t ! »

— … « Comme vous y allez ! répondit la Reine-mère. Mon fils est encore plus beau que son portrait dans Match, et vous, ma fille, vous n’êtes qu’une gardeuse d’oies ! Je veux bien pourtant vous faire passer la nuit au palais, histoire de rire… » On conduisit la petite avec sa robe de coton et ses sabots dans la chambre somptueuse, où le lit était déjà fait, avec tous ses matelas, ses beaux draps en dentelles et le petit pois glissé entre le sommier et les matelas. Les femmes de chambre déshabillèrent la petite, défirent ses grands cheveux d’or qui tombaient jusqu’à terre, ondulés comme la mer lorsque souffle une petite brise… Habillée de ses cheveux seuls, l’enfant monta l’échelle qu’il (allait appuyer contre le lit, pour se hisser à son sommet…

Le téléphone, grossier comme toujours, vint couper la parole à M. Georges. Martine laissa tomber la main de Cécile… « Vas-y, toi… « dit-elle très bas, la voix étranglée. Cécile courut dans le petit vestibule :

— Allô ! Allô !.. faisait sa voix. Oui, oui, Jacques, c’est moi…

Mais la porte se fermait, elle l’avait repoussée du pied, et sa voix disparut : elle devait parler très bas…

— Depuis le temps qu’elle fréquente ce garçon, il serait temps qu’il fît sa demande officiellement…

Décidément, M’man Donzert était très nerveuse ce soir. Tout le monde se taisait, attendant Cécile. Elle ne fut pas longue, et s’asseyant à nouveau devant une Martine pâle et immobile, lui tendait sa main :

— Alors, Père ?… La petite est au sommet du lit, dit-elle, continue…

— Bon… — M. Georges renversa sa calvitie, réfléchit un instant et continua : — La voilà donc sous le ciel du lit, toute menue dans ses grands cheveux… On tire les rideaux du lit, on éteint les lumières, et tout le monde s’en va. La nuit descend sur le Palais… Une longue nuit noire. Le matin, la Reine-mère, entourée de toutes ses dames d’honneur, fait son entrée dans la chambre à coucher où les prétendantes-fiancées subissaient leur épreuve. On ouvre les rideaux de satin blanc, brodé d’étoiles d’argent, qui tombaient du ciel de lit, et l’on découvre un lit tout défait, les draps de travers, les couvertures qui pendent, et là-haut, là-haut la petite, les cheveux emmêlés sur les oreillers bouleversés, toute pâle, des cernes mauves autour de ses yeux immenses… Avant qu’on ait pu lui poser une seule question sur la raison de tout ce désordre, la voilà qui éclate en sanglots, et on entend sa petite voix : « Je vous demande pardon, Majesté… mais j’ai passé une nuit atroce, je n’ai pas fermé l’œil, j’ai mal partout, des courbatures et des douleurs… Je ne sais ce qu’il y a dans ce lit, on dirait un pavé, un roc, juste au niveau des reins, c’est simplement horrible… Cela n’aurait pas été pire si j’avais couché sur un tas de cailloux !.. » — « Dans mes bras ! s’écria la Reine-mère, voilà enfin une vraie princesse ! Je te donne mon fils, le Prince, pour mari. Soyez heureux ! » Le Prince vint saluer la Princesse, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

— C’est bien beau tout ça, mais je n’ai pas de prince à ma disposition pour en donner un à chacune de mes princesses sur le petit pois…

M’man Donzert se leva pour aller à la cuisine ; c’était l’heure de l’infusion qu’on avait l’habitude de prendre avant de se mettre au lit. Elle cria aux deux filles :

— Reposez-vous, mes enfants, ne bavardez pas trop tard…

Cécile et Martine couchaient dans la même chambre, comme au village. Une salle de bains commune les séparait de la chambre des parents. Il y avait un roulement pour le bain complet : Martine le soir, Cécile le matin, et les parents, qui ne prenaient leur bain qu’une fois par semaine, avaient droit à la salle de bains tout le dimanche. Comme ça, jamais on ne se dérangeait.

Cécile et Martine se déshabillaient. Elles avaient chacune sa coiffeuse, toute en miroir, et sur laquelle, en ordre parfait, étaient alignés des produits de beauté. Et il y en avait ! elles se servaient à la boutique de M. Georges, même quand ça n’était pas des échantillons, et puis, Martine rapportait de l’Institut de beauté toutes les nouveautés dans ce domaine, au fait des propriétés miraculeuses de chacun de ces produits… Elles s’amusaient à essayer toutes les teintes à la mode des fards, tous les nouveaux parfums qu’elles pouvaient avoir en réclame chez M. Georges et à l’Institut, qui en lançait à chaque saison… En plus, Martine et Cécile raffolaient des boîtes, il y en avait un grand nombre sur leurs coiffeuses, en porcelaine, cristal, opaline, nacre, bois, précieux… Entre les deux coiffeuses, sur un petit rayon, trônaient deux Saintes Vierges de Lourdes, les vers luisants de leurs nuits. Elles se déshabillaient, les robes aussitôt pendues dans le placard, le linge de chacune sur une petite chaise Louis XV laquée gris et recouverte d’un satin vert d’eau : on aimait beaucoup le vert d’eau dans la maison… Et puis, comme Martine préférait le bleu ciel et Cécile le rose, cela faisait une moyenne. Les couvre-lits étaient également vert d’eau, en satin artificiel, matelassés. Aux murs, il y avait les mêmes images qu’au village, des stars et starlettes et pin-up, de préférence nues, elles trouvaient que cela allait mieux dans une chambre à coucher. Entre les deux lits une table de chevet et, côté extérieur, un petit fauteuil crapaud au chevet de chacune.

— Quand je serai mariée, — Martine enlevait sa culotte et se dirigeait vers la salle de bains, toute nue, — j’aurai un matelas à ressorts…

Quand elle avait terminé ses ablutions, Cécile était, comme d’habitude, déjà au lit. Si Martine préférait le bleu ciel et Cécile le rose, elles aimaient toutes les deux les chemises de nuit forme Empire, la taille haute sous les seins, les petites manches bouffantes… Martine, devant la coiffeuse, se mettait de la crème, Cécile l’avait déjà fait et, couchée sur le dos, essayait de ne pas graisser la taie d’oreiller, ses cheveux blonds bien tirés et attachés avec un ruban.

— J’aurai un matelas à ressorts, répéta Martine, en se couchant, c’est cher, mais avec les facilités de paiement…

Elle éteignit et remonta un peu la sonorité de la radio, qui éclairait la chambre comme une veilleuse vivante, et faisait la pige aux Saintes Vierges.

— Je n’ai pas voulu le dire tout à l’heure… quand M. Georges racontait l’histoire de la princesse… dit Martine, mais le fait est que je ne suis pas très bien couchée ! Et toi ?…

— Moi, ça va… j’ai fait mon creux…