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Il compte vite.

— Quatre, cinq…

Il se relève.

— Six…

Il recule d’un pas, prêt à sortir.

— La bombe, dans l’école… dit Jean.

Sa voix ne manifeste rien de l’épuisement qui se lit sur toute sa personne.

— C’est pour ce matin. Neuf heures.

Le cerveau de Camille balaye la somme affolante de ce qu’il va falloir faire en moins de quatre heures.

— Bon, ça, tu nous l’as déjà dit, c’est pas un scoop. Moi, je veux de la nouveauté, de l’original, sinon je te restitue au commando de la mort, et…

Jean le coupe.

— J’ai posé la bombe dans une école maternelle.

Camille se retient à son bureau, tout danse autour de lui.

— Où ça, espèce d’enfoiré ? Quelle école ?

Jean montre ses paumes. Je ne dirai rien de plus.

Camille, affolé, cherche l’âge des gamins en maternelle, deux ans, trois, quatre ? Lui n’a pas eu d’enfant. Une école maternelle… C’est dingue. À Paris, il y en a plus de trois cents ! Quand il tente d’imaginer les victimes, Camille en a des nausées. Comment peut-on faire une chose pareille ? Jean regarde fixement le plancher. Visiblement, rien ne compte que lui, sa mère, sa demande, le monde entier peut crever, la mort de cent mômes ne lui semble pas disproportionnée face à un billet pour l’Australie… Camille a envie de le tuer. Il pourrait aussi essayer de le convaincre, mais c’est sans espoir. Buté, fermé. Au cours des interrogatoires précédents, il a tenté de l’impressionner, de jouer sur la peur, la pitié, la compassion, sur la complicité, on l’a confié aux durs des durs, rien n’a servi à rien.

— Vous savez ce que je demande, reprend Jean. C’est à vous de voir. J’ai l’impression que vous n’êtes pas encore prêt, je sais pas ce qu’il vous faut…

Il dodeline de la tête, semble désolé.

— En attendant, reprend-il, si vous avez besoin de moi, il faut me laisser dormir un peu.

Les menottes sont trop courtes pour qu’il pose la tête sur ses avant-bras, alors il se penche, colle sa joue droite à même la table, ferme les yeux.

Instantanément, sa respiration ralentit.

Il dort.

5 h 25

On a tiré du lit des fonctionnaires, des techniciens, des ingénieurs, on leur a envoyé des véhicules, des motards pour ouvrir la route, on a rouvert des bureaux, activé des systèmes informatiques, on a mobilisé toutes les données disponibles. Si vite que l’on fasse, tout prend du temps, un temps fou.

Au cours des six derniers mois, quasiment toutes les écoles maternelles de la capitale ont connu des travaux, les services techniques expliquent qu’ils doivent profiter des vacances scolaires pour intervenir. Il faut aussi compter avec toutes les interventions jouxtant les écoles, dans les rues limitrophes, les parkings, etc. Le plus difficile est de juger de leur importance ; les travaux doivent avoir duré plusieurs jours et avoir provoqué une ouverture suffisante pour que Garnier puisse venir y enfouir une bombe de la taille d’un obus. Dans celle-ci, on a refait l’électricité, dans cette autre, on a remplacé les sanitaires, on affiche les plans, on interroge les techniciens qui se consultent fiévreusement : possible de placer une bombe ou pas possible ? La pression est infernale. Il y en a même un qui a fait une crise de nerfs.

— On ne peut pas me demander ça !

Cette responsabilité l’angoissait, le submergeait ; on l’a raccompagné chez lui, on a fait venir son adjoint. Ils sont une quinzaine, de toutes spécialités, voirie, plomberie, terrassement, toiture… Une bombe : possible ? Pas possible ?

Pour le moment, on ne trouve aucune école dans laquelle ou près de laquelle des tranchées ont été pratiquées au cours des huit derniers mois.

Si on prend en compte toutes les possibilités de cacher un obus, les égouts, les caves, les sous-sols, les parkings, etc., cette bombe devient une aiguille dans une meule de foin.

— Ton école, Jean, on ne la trouve pas…, dit Camille.

Jean regarde la pendule murale.

— C’est une question de temps. Vous allez la trouver, je vous assure.

Il n’a pas tort.

Parce que, une quinzaine de minutes plus tard, à l’autre bout de Paris, dans un bureau décentré de la préfecture de police, un type décroche le téléphone, tape du poing sur la table rageusement jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un décroche :

— Ça y est, on l’a !

Dès que l’information lui parvient, Camille se rue dans la salle d’interrogatoire, ouvre la porte à la volée, court sur Jean Garnier, lui saisit l’épaule. Terrifié, Garnier tente de se protéger le visage, mais ses mains sont toujours liées à la table en fer.

— École Charles-Frécourt ? hurle Camille. C’est ça, Jean ? Frécourt, dans le 14e ?

Les techniciens continuent de peigner les fichiers, mais on n’a trouvé que celle-ci, située rue Philibert-Beaulieu. Tout correspond. Il y a trois mois, affaissement soudain du sol à l’extrémité de la cour de récréation, la directrice affolée appelle la mairie qui appelle les techniciens qui appellent une entreprise, les parents d’élèves s’inquiètent en voyant le goudron de la cour enfoncé comme sous le choc d’une météorite, on pose des barrières, on diagnostique une fuite de canalisation qui a fragilisé, miné le sous-sol et, quatre jours plus tard, on profite du week-end pour ouvrir la cour, creuser une tranchée ; en fait, il faudra près d’une semaine pour venir à bout de cet effondrement, les gamins passaient leur temps agrippés aux barrières, à vingt mètres des ouvriers, comme au spectacle.

Jean Garnier ne répond pas, il fixe Camille puis baisse les yeux.

5 h 40

Cette fois, pas de précautions, pas le temps. Avec les riverains, les journalistes, on s’expliquera plus tard. L’urgent, c’est d’intervenir, de trouver cette bombe, de la désamorcer, on regarde sa montre en courant vers l’école. La police a bouclé tout le secteur de la rue Jardin-Beaulieu, les pompiers arrivent dans la foulée et, derrière eux, les ouvriers. Déjà, les démineurs de la Sécurité civile scannent la cour.

Basin a étalé les plans de l’école directement sur le sol, il donne des ordres en parlant au téléphone avec Camille.

Il ne voyait pas les choses comme ça.

Camille reçoit ce doute comme un coup de poing.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demande-t-il.

6 h 20

— Les ouvriers ont ouvert la cour, a expliqué Camille au juge d’instruction, mais on savait déjà que c’était impossible. La tranchée était trop étroite pour que Garnier y descende et enfouisse, sans qu’on le voie, un obus de cette taille.

D’ailleurs, Jean l’a confirmé.

— Vous ne m’avez pas laissé le temps… Je vous l’aurais dit.

On a vraiment envie de le tuer parfois.

Le juge, maintenant, exige la confrontation avec la mère et Camille n’a plus de raison de s’y opposer.

Rosie est plus tendue encore que la première fois. Maigre, flétrie. Son visage exprime une angoisse absolue. Camille prend quelques instants pour observer cette femme et se poser, pour la millième fois, les mêmes questions. Entre la mort de l’amie de Jean et la menace de cette vague d’explosions, qu’y a-t-il ?

Quel secret entre la mère et le fils ?

La seule manière de le comprendre est de les placer face à face. Pourtant, on a beau être à moins de trois heures de l’explosion, Camille ne s’y fait pas. L’impression d’être au bord du puits et de devoir plonger. Il s’y résout, mais contre lui-même.

— Votre fils menace de faire sauter une école maternelle, madame Garnier ! Vous voyez ce que ça veut dire ?