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Comme à l’accoutumée, les idées de psychotropes, de sérum de vérité, tous ces trucs de romancier, ont refait surface et, une fois de plus, ils ont été évacués par les professionnels : les sujets réagissent de manière trop variable, mélangent les faits réels et l’imaginaire au point que vérifier leurs propos prend quasiment autant de temps qu’attendre l’explosion de leurs bombes…

Avant qu’ils achèvent l’exposé de leurs théories, le président les a interrompus d’un revers de main, c’est un homme pragmatique ; il ne répugnerait pas à des remèdes inavouables, mais c’est trop tard.

— Sa force, Président, c’est le temps, lui dit-on. Il nous menace d’une bombe par jour et se constitue prisonnier après l’explosion de la première, c’est bien calculé. Dans un tel délai, les services ont fait ce qu’ils pouvaient faire, mais…

Le président ne le laisse pas terminer.

— Bien sûr, bien sûr…

Personne ne sait ce qu’il pense vraiment, mais on va le savoir assez vite parce que cette histoire va faire des dégâts. Pas seulement dans les écoles, les magasins et les endroits où Garnier a enterré des obus, dans la hiérarchie aussi. Il est rare qu’une affaire d’une telle ampleur ne fasse pas des victimes collatérales dans l’administration.

On n’en est pas encore là.

Le président relit la note du ministre de l’Intérieur. Ce qui est insupportable, c’est de constater à quel point on est démuni !

Bon alors, cette note… Le président hoche la tête, plan ORSEC, oui, principe de précaution, élémentaire…

Il faut s’y résoudre.

À 7 h 16, le président donne l’ordre de préparer l’évacuation de toutes les écoles maternelles de Paris.

Toutes.

Trois cent quarante-neuf écoles. Quarante-cinq mille gamins.

Aussitôt, la machine se met en branle ; on rédige les ordres de mission, bruits précipités de pas dans les couloirs, ça bourdonne de partout, les téléphones sonnent, on s’interpelle d’un bureau à l’autre. Il faut organiser des accueils, sécuriser le pourtour des écoles, réquisitionner des véhicules, trouver et dépêcher des personnels, plusieurs centaines, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’interdire l’entrée dans les écoles, il faut des moyens pour regrouper les enfants, les transporter dans des gymnases, des salles municipales, prévoir des ravitaillements, des postes de secours, c’est absolument colossal. En deux heures ! C’est quasiment infaisable mais, dans quelques minutes, le président n’aura qu’à allumer la mèche et toutes les administrations concernées démarreront à fond de train. Et elles sont capables de réussir.

Mais avant, il y a quelque chose de plus urgent que l’évacuation, c’est la communication. Ce matin, les Parisiens vont se réveiller quasiment en état de guerre ; des camions de pompiers, des secours militaires vont sillonner la capitale dans tous les sens et on devra leur dire que leurs enfants sont menacés par une bombe… On voit l’effet d’ici, l’opposition hurlant à la mort, exigeant des explications, la saisie du Parlement. Quoi ? Un type seul met en échec le pays tout entier, on croit rêver ! Le président, quand il était encore dans l’opposition, aurait adoré cette situation : un gouvernement incapable d’assurer la sécurité de nos enfants ! Et qui cède devant la menace d’un terroriste isolé ! Une défaite en rase campagne ! « Avec ce gouvernement, la lâcheté ne le cède qu’à l’incompétence ! », il adorait ce genre de phrases quand il pouvait les prononcer.

Aujourd’hui, il est président, c’est différent.

Il consulte ses conseillers en communication, écoute ses ministres et réfléchit à sa position personnelle. Il tranche. Le Premier ministre parlera le premier, lui se réserve pour après, on va faire…

Et d’un coup, tout retombe.

Fini le plan ORSEC, finies la communication de crise et la riposte politique. Plus rien. On annule tout parce que Camille Verhœven a téléphoné, son message est arrivé jusqu’à l’Élysée à la vitesse de la lumière.

Il y a tout juste quatre minutes, Garnier a parlé, un Garnier épuisé, blême, presque sans voix, juste un filet, il fallait se pencher pour comprendre ce qu’il voulait dire. Il était déjà éprouvé, la rencontre avec sa mère l’a visiblement achevé.

— La deuxième bombe…

Camille s’est penché, il ne comprenait rien et ça lui faisait un sale effet, comme d’un tortionnaire qui ne parviendrait pas à comprendre ce que lui dit la personne qu’il a martyrisée. À cet instant, son mobile a vibré dans sa poche. Camille a dit « merde ! », s’est contorsionné pour rester en position tout en essayant d’extraire son téléphone de sa poche, c’était un sms d’Anne : « Passé la nuit toute seule… c’est bien triste. » Quel décalage !

— Hein, quoi ? demande Camille qui a entendu « je suis… ».

Garnier chuchote dans son oreille :

— … parce que je suis sympa.

Camille se recule, surpris.

— Toi, sympa ? C’est pas le mot qui me viendrait à l’esprit…

Garnier tangue sur sa chaise, prêt à tomber, Camille se penche de nouveau.

— Cherchez pas, murmure Garnier. L’école…

Voilà enfin du nouveau, Camille enfourne le mobile dans sa poche sans répondre. Le bluff est en passe de céder devant la violence de la circonstance, Camille ressent un soulagement profond, jusque dans ses doigts.

— C’est ça, Jean ? Il n’y a pas de bombe, c’est ça ?

Il lui parle en lui tenant la nuque dans la main.

— Dans une école, si… dit Jean. Mais pas à Paris.

Aussitôt, on annule tout, le plan ORSEC, les évacuations. On reconsidère la situation.

La bombe est dans une école en province.

Catastrophique.

— Il y a seize mille écoles maternelles en France, dit le ministre de l’Intérieur. Deux millions de gamins à évacuer. C’est totalement impossible.

On a beau retourner le problème dans tous les sens, à moins de vouloir provoquer une panique générale, impossible de dire à tous les directeurs d’école du pays : « Un dingue a posé une bombe dans une école, peut-être dans la vôtre, et on est incapables de l’arrêter, alors vous allez tous quitter les écoles et vous éloigner aussi rapidement que vous le pourrez. »

Le ministre de l’Intérieur, lui aussi, est un homme pragmatique.

— Les parents, les grands-parents, les proches, ça nous ferait environ trois millions d’adultes à gérer.

D’autant qu’au-delà des parents d’élèves, l’affolement va se généraliser à toutes les populations parce qu’il faudra expliquer à la presse qu’on en est seulement au début, qu’on attend l’explosion de cinq autres bombes après celle-ci et qu’on est incapable de les localiser…

Pas davantage possible de lancer une campagne d’inspection de toutes les écoles, il faudrait quadriller la France entière, ça prendrait des mois.

D’autant que personne ne peut savoir si Garnier dit vrai ou s’il bluffe.

Une seule chose à faire, attendre 9 heures.

Ça rend fou.

Les flics, les politiques, les techniciens, tout le monde s’assoit, chacun médite sur la capacité des démocraties modernes à résister aux agressions.

Basin l’a dit à Camille.

— On pense que le terrorisme, c’est très sophistiqué, mais en fait, pas vraiment.

8 h 15

Lucas, Théo, Khalidja, Chloé, Océane et les autres se tiennent par la main et se rendent dans le fond de la cour. Il a fallu des semaines, non, des mois, pour obtenir le bon de commande de la mairie, mais Mme Garrivier est têtue. Elle rêvait d’un petit potager, elle a dû plaider, expliquer, argumenter, bon Dieu, pour une tonne de terre et quelques cailloux ! Mais enfin, elle y est arrivée. Il y a quelques mois, on lui a aménagé son potager. Les enfants ont fait pousser des tomates, des haricots, des fleurs, ils raffolent de cette activité. Mme Garrivier aussi ; son père était agriculteur.