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L’Autre est blessé, mais c’est un professionnel.

Dans les ministères, un professionnel, c’est quelqu’un qui fait remonter l’information. Donc l’information remonte. Puis elle redescend. Et c’est toujours non.

— Ils n’y croient pas, conclut Camille.

Il va lui falloir vingt minutes pour prendre sa décision.

Vingt minutes pour discuter avec Jean Garnier.

Et trente secondes pour dire au juge :

— Maintenant, c’est à vous de voir. Moi, ça ne me concerne plus. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je rentre chez moi, je suis crevé.

2 h 10

Paris est désert, on roule vite, Camille profite d’un feu vert pour extraire son mobile de sa poche. Au feu suivant, il compose le sms pour Anne : « L’invitation pour (le reste de) la nuit est toujours valable ? » Au troisième feu, il reçoit la réponse : « La porte est ouverte depuis hier… » Normalement, ensuite, il n’y a plus de feu, mais Camille est contraint de s’arrêter par le nouveau message sur son mobile. C’est le juge : « Camille, venez tout de suite à Matignon, je vous envoie une escorte ? »

« Mon cœur, désolé, je suis convoqué chez le Premier ministre… »

« Tu n’as jamais inventé prétexte aussi nul ! »

« Pourtant, c’est vrai, je t’assure, je suis en route ! »

« Tu vas passer la nuit avec lui ? »

« Normalement non, sauf s’il me demande, je me vois mal refuser. C’est un Premier ministre quand même ! »

« Tu demandes un logement social pour moi ? Dans le 7e… »

« OK. S’il faut que je couche, je fais quoi ? »

« S’il te propose un logement dans le 5e, le 6e ou le 7e, tu couches. Si c’est ailleurs, tu reviens et c’est moi que tu baises. »

« Deal. »

2 h 30

Le Premier ministre n’est pas extraordinairement sexy. Ils ne le sont jamais. On dirait même que c’est un critère. Mais c’est un homme très poli, très civilisé ; il se lève, serre la main de Camille avec chaleur (« Très heureux, commandant ! »), il désigne un fauteuil. Dans son immense bureau, il y a huit ou neuf autres personnes. Quand Camille s’assoit, tout le monde s’assoit. Le Premier ministre désigne alors le magnétophone posé sur la table basse.

— On m’a fait part de votre hypothèse, commandant, mais j’aimerais me la voir confirmer.

— Jusqu’ici, et contrairement aux apparences, Jean Garnier a tout fait pour ne causer aucune mort. Rue Joseph-Merlin, il a posé son obus alors que l’échafaudage était déjà en place, il a placé la bombe assez bas et dans une position peu favorable aux dégâts maximums. À Orléans, il a seulement fait semblant de s’être trompé. Ainsi, sa bombe a explosé à un moment où les risques humains étaient quasiment inexistants. Pour la bombe no 5 que nous avons retrouvée, c’est tout sauf un hasard ; les calendriers de visite sont accessibles sur Internet. Garnier a choisi une chambre télécom dont il était certain qu’elle serait visitée hier afin que nous pourrions la désamorcer sans aucun dommage. Toute sa stratégie, depuis le début, consiste à nous faire croire à sa dangerosité. Pour le moment, nous en sommes à trois bombes. La première nous traumatise, la deuxième nous impressionne, la troisième nous catastrophe… Et c’est assez bien vu parce que nous dansons sur un volcan, avec ce type. Il en a posé sept en tout, nous en avons repéré trois : rue Joseph-Merlin, dans l’école maternelle d’Orléans et dans la chambre télécom sous le cinéma ; il en reste quatre. On est sûrs qu’elles vont exploser dans la semaine à venir, je fais le pari qu’il a prévu de ne pas faire de victimes mais, même si j’ai raison, personne ne peut être certain que la chance va nous accompagner encore longtemps. Nous sommes dépendants de ses manipulations, de son matériel, de ses calculs empiriques. Il est organisé, débrouillard, mais c’est un amateur. Et s’il a fait une seule erreur, nous la payerons cash. Au prix fort.

Camille hésite un court instant. Et il enfonce le clou.

— Si curieux que cela paraisse, monsieur le Premier ministre, Garnier n’est pas un assassin.

Silence.

— Mais mon hypothèse, c’est qu’il va le devenir malgré lui. Tôt ou tard, sur les quatre bombes restantes, quelque chose va clocher, c’est inévitable. Et là, il y aura des morts.

Le Premier ministre plisse les lèvres en signe de compréhension.

— Et à ce moment-là, ajoute Camille, nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. D’autant qu’il nous prévient clairement.

Il se penche alors vers le magnétophone et le déclenche sans demander l’autorisation à personne.

— Non (c’est la voix de Jean), ça ne s’est pas passé comme ça…

Camille appuie sur le bouton d’avance rapide puis de nouveau sur ON.

— Pour les premières bombes, vous avez raison, dit Jean. Je ne voulais pas tuer des gens. Sauf pour la dernière…

— Explique-moi ça…

— Vous comprenez, si ma dernière bombe doit exploser, c’est que j’aurai raté mon coup avec les précédentes. C’est que mon truc n’aura pas marché du tout. Je n’aurai plus rien à perdre. Alors, pour la dernière bombe, j’ai programmé quelque chose… de vraiment meurtrier.

Silence.

— Dévastateur… Je vous assure, commandant, vous devriez me croire.

Camille arrête le magnétophone.

— Vous proposez quoi ? demande un type en costume, Camille ne sait pas de qui il s’agit.

— De les libérer, lui et sa mère, en échange des bombes restantes. Je ne pense pas qu’ils vont aller loin…

Les libérer. L’opposition est palpable. Pas loin, ça veut dire quoi ? Ils sont neuf fonctionnaires qui se regardent, sceptiques, on voit mal où ça conduit et ce qu’il a en tête, le petit flic. C’est le moment qu’attend Camille pour planter la dernière banderille.

— Avec son dernier obus, Garnier va faire des dégâts considérables. Quelqu’un ici sait peut-être comment on va expliquer à la presse et au public les deux premières explosions et celle qui va mettre un point d’orgue à son feu d’artifice, mais il va falloir se creuser parce que ça ne va pas être facile.

— Commandant, dit le Premier ministre avec un sourire sincère, vous voulez nous laisser quelques minutes ?

Camille s’assoit dans un salon grand comme quatre fois son appartement. Il rallume son mobile. Message d’Anne :

« Alors ????? Ça marche pour le logement social ? »

« Peux pas encore dire. Il est dans la salle de bains, il se fait beau… »

« Et t’es sûr que ce sera dans le 7e ??? »

« Il dit que ça dépendra de ma prestation. »