« T’es en forme, j’espère ! »
« T’as vu l’heure ???? »
« J’ai la même heure que toi et je suis TRÈS en forme. »
« Je me concentre et… »
— Commandant ?
Camille lève la tête.
— Monsieur le Premier ministre vous demande…
4 heures
— Ce que j’ai obtenu de mieux, Jean, c’est que tu nous livres l’adresse des bombes juste avant le décollage. On ne peut pas attendre que tu sois arrivé en Australie. C’est ça ou rien. Et si ça ne te convient pas, ce ne sera plus de mon ressort, tu devras parler avec quelqu’un d’autre.
Jean a longuement réfléchi, puis :
— Non, ce sera trois heures après le décollage.
— Impossible, Jean ! Tu obtiens ce que tu demandais, mais tu ne peux pas imposer toutes tes conditions.
Il faudra près de vingt minutes pour parvenir à un accord. Jean donnera les coordonnées des bombes restantes au moment du décollage.
— Si nous n’avons pas ton message à l’instant du décollage, l’avion fait demi-tour et te redépose à l’aéroport avec ta maman chérie, c’est clair ?
C’est dingue que Jean soit d’accord avec de telles conditions. Lui qui a programmé son affaire quasiment de main de maître tombe dans un panneau pareil ! Il résiste à peine :
— Et qu’est-ce qui me garantit qu’une fois que j’ai envoyé le message, l’avion ne fera pas demi-tour ?
Depuis le début de la conversation, la voix de Camille s’est faite rauque. On pense que c’est la fatigue, mais pas du tout, c’est la déprime. Imaginez. Vous discutez avec un condamné à mort à brève échéance et vous avez mission de lui parler comme s’il avait toute la vie devant lui…
— Personne n’a intérêt à ce que tu restes ici, explique Camille patiemment. Parce qu’on va devoir t’arrêter officiellement, instruire ton affaire et te déférer devant les tribunaux. On devra alors expliquer qu’on a menti sur deux explosions survenues dans l’espace public et on va passer pour des cons qui ont négocié avec un trou du cul comme toi deux millions en espèces sur les impôts de nos concitoyens et un billet pour l’étranger sous une fausse identité fabriquée par l’État français lui-même !
Ça lui convient, à Jean, cette théorie. C’est incroyable.
Autour de lui, tout le monde pense : « Quel con, ce type ! » Les amateurs font toujours ce genre d’impression aux experts. Ils passent pour des glands.
Une heure de plus a été nécessaire pour faire mine de discuter avec Jean de nombreux détails qui n’ont en fait aucune importance et ne servent qu’à crédibiliser l’accord.
En vérité, Pelletier a expliqué à Camille :
— Jean envoie son message via l’équipe à bord, avec les adresses des bombes, on vérifie… et on le serre aussitôt.
À l’entendre, c’en est décourageant de simplicité.
Camille a envie de demander à Pelletier si, lui aussi, il le prend pour un con. Parce que, évidemment, ça ne se passera pas ainsi. Évidemment que les spécialistes de l’intervention ne vont pas s’embarrasser de détails, personne n’a intérêt à ce que Jean devienne le bâton merdeux du gouvernement.
Sans compter que si, par malheur, Jean traîne un peu et laisse passer, par exemple, une heure avant de lancer son message, il faudra l’arrêter pendant le survol d’un espace aérien étranger, ce qui devient compliqué.
Les techniciens assurent que l’équipe qui montera dans l’avion pourra serrer Jean sans problème dès réception du feu vert. On a déjà pris toutes les précautions. Camille pense que des experts de l’élimination furtive occuperont les sièges devant Jean et sa mère, ainsi que ceux de derrière, que deux ou trois d’entre eux, en hôtesse et en steward, doubleront le personnel navigant… Si Jean respecte sa partition, il se fera discrètement garrotter avant que l’appareil soit au point de non-retour sur sa piste d’envol. Ça ou un équivalent, dans tous les cas, ça ne sera pas beau à voir. Furtif et efficace, mortel en quelques secondes. Pour Rosie aussi. Après quoi, l’avion freine, s’arrête, un véhicule se gare sous l’avion, le commandant informe ses passagers que cet arrêt n’est pas dû à une avarie technique de manière à n’affoler personne, mais au malaise d’un couple de passagers. Là-dessus, on ouvre les portes, on évacue les corps et on repart comme en 14. Personne, à bord, n’y comprendra rien, on s’en fout, l’important, c’est d’avoir l’occasion de débarquer le cadavre de Jean et celui de sa mère dans les jolies civières déjà prêtes pour la circonstance.
Au pire, si Jean traîne un peu pour délivrer son message, on recourra à une variante : l’avion effectuera un demi-tour, les couloirs aériens sont déjà réservés et seront protégés.
On verra, se dit Camille.
Depuis le début, rien ne se passe selon les règles du genre, il ne pense pas une seconde que l’affaire va se terminer comme on l’imagine.
Pour le moment, il organise, planifie, négocie et, comme l’équipe de crise est composée de plusieurs institutions, c’est encore lui qui reçoit les conseils des collègues, les instructions de la hiérarchie.
Jean n’a pas inspecté les deux valises, les vêtements de Rosie et les siens qu’on est allé chercher chez lui.
— Tu veux vérifier ? demande Camille.
Jean sait parfaitement qu’on y a dissimulé des dispositifs pour le suivre à la trace.
— Ça n’a pas d’importance, dit-il en claquant le couvercle.
Les billets de banque lui font davantage d’effet. La négociation a abouti à deux millions. Une valise pleine de pognon en grosses coupures a de quoi émouvoir même les plus blasés.
Enfin, on lui remet les passeports. Il les ouvre, hoche la tête.
Il devient Pierre Mouton. Rosie s’appelle Françoise Lemercier ; il n’aime pas ça du tout, Jean, il le dit :
— Mouton, je trouve ça ridicule.
Camille trouve aussi que baptiser Mouton un type qu’on envoie à l’abattoir, c’est assez nul.
— C’est à prendre ou à laisser.
Jean accepte.
Puis il regarde les billets d’avion.
— Je peux vérifier ?
On lui désigne un poste informatique. On s’attendait à ce qu’il soit un féru du clavier, mais ce n’est pas le cas du tout, il tape lentement, avec application.
Il vérifie l’existence du vol. Il vérifie aussi les réservations.
Il semble soulagé.
4 h 30
Enfin, Rosie arrive.
Son visage est clair, reposé, ce n’est plus la même femme.
Dès qu’elle aperçoit Jean, elle se précipite dans ses bras, mais le jeune homme reste de marbre, les bras ballants, le regard fixé dans le vide. Rosie n’en est nullement troublée, c’est sans doute qu’elle est maintenant avec son Jean.
Quand elle se détache de lui, il la regarde à peine. On les laisse ensemble dans la pièce le temps qu’ils se changent pour le départ.
Les caméras qui renvoient leur image les montrent à trois mètres l’un de l’autre, comme s’ils étaient dans des pièces différentes. Jean s’habille les sourcils froncés, concentré sur sa tâche. Rosie ne cesse de lui jeter des regards admiratifs.
Lorsqu’ils reviennent dans la pièce, elle regarde les flics comme des élèves qui ont encore beaucoup à apprendre.
Camille lui tend un téléphone mobile.
— C’est sur cet appareil que tu prépares ton message avant le décollage, rappelle Camille une dernière fois. Message détaillé, on veut les lieux précis. Les bombes qui restent sont toutes à Paris ?